mercredi 18 juillet 2018

"La dernière de nos Républiques..."

L’AF vue par Girardet, suite.

" - Quand donc avez-vous quitté l’Action française ? 

La guerre a représenté une coupure de fait. Mais je crois que, de toute façon, je me serais éloigné de Maurras, lentement, pas à pas, de la même façon que je m’en étais approché. L’engagement dans l’Action française n’avait rien de comparable à l’engagement de type communiste : il ne présentait aucun caractère totalitaire ; il ne s’emparait pas, sauf chez quelques-uns, mais ils étaient rares, de l’être tout entier ; il ne mobilisait pas dans leur intégralité l’esprit et le coeur ; il laissait à ceux-ci de larges disponibilités, de larges marges de liberté. D’où la possibilité de voir les liens se distendre ou se rompre progressivement, sans connaître la tragédie de la rupture qu’ont vécue tous les anciens du P.C…

Et puis, l’Action française se voulait une école. Comme toute école, il était normal qu’elle fût un lieu de passage. Beaucoup, en effet, de mon âge et des générations antérieures, sont passés sur ses bancs pour des temps plus ou moins longs. Reste à savoir ce qu’ils ont retenu de l’enseignement qu’ils ont reçu…

 - Et vous, qu’en avez-vous retenu ? 

Le bilan, tout compte fait, cinquante ans plus tard, me paraît plutôt positif. Si l’on admet que, dans la France du XXe siècle, tant d’intellectuels (pardonnez le terme, il me gêne mais je n’en trouve pas d’autre) ont connu la tentation de l’engagement, celui-là ne me semble pas pire que beaucoup d’autres. Il apprenait au moins à appliquer aux choses de la politique une certaine logique, les lois d’un certain raisonnement, à développer par conséquent l’esprit d’analyse et l’acuité critique, à explorer le contenu des mots, à se méfier de leurs seules résonances. En d’autres termes, c’est en fonction même de la méthode qui se trouvait enseignée qu’il était possible de se libérer du dogmatisme intrinsèque de cet enseignement. 

Il faut y ajouter l’apprentissage de l’irrespect à l’égard des pouvoirs et du pouvoir, de ses détenteurs, de ses représentants et de ses serviteurs : disposition d’esprit que le cours même de la dernière de nos Républiques ne semble pas exceptionnellement favoriser. Y ajouter encore le souvenir de tant de livres qui auraient pu ne pas être lus. Y ajouter enfin la reconnaissance à l’égard de tant d’amitiés, et qui ont échappé, elles, à toutes les remises en cause.

C’est assez pour ne pas faire le dégoûté, non ?"

Au sujet de ces amitiés, je m’en voudrais de ne pas citer pour finir ces quelques lignes sur Philippe Ariès, historien célèbre, catholique et monarchiste : 


"Ma dernière rencontre avec Ariès se situe en 1984, deux ou trois jours avant sa mort. Il repartait pour Toulouse où il s’était fixé. Nous avons déjeuné ensemble. Philippe très fatigué, mais bavard comme il l’a toujours été, coupant nos propos de son rire interminable et aigrelet. Me raccompagnant à l’autobus, il me dit avec la plus totale simplicité : « Nous ne nous verrons plus. Je suis prêt, et plutôt content. Mais c’est vraiment dommage que tu ne croies pas en Dieu… »"