jeudi 4 octobre 2018

"Cette délicate articulation..."

Pierre Manent, dernier numéro de L’incorrect, qui ressemble au dernier numéro d’Éléments (une pincée de Zemmour, des considérations sur l’Europe de l’Est ; P. Manent à la place d’A. de Benoist…) : 

"Je dirais qu’aujourd’hui particulièrement, le christianisme se tient sur une ligne de crête entre deux tentations opposées : d’une côté les droits individuels sans règles ni limites, de l’autre la tentation de retrouver une loi divine indiscutable, qu’il s’agisse de l’islamisme ou bien d’un certain évangélisme américain. On ne peut qu’être frappé de la présence conjointe dans notre société de ces deux revendications contradictoires qui s’alimentent mutuellement : la vie sans loi ou la vie tout entière à l’ombre de la Loi… Le christianisme, dans sa complétude orthodoxe du moins, est adéquat à la situation humaine, que le fondamentalisme et l’individualisme radical faussent grandement. 

Le christianisme nous permet de vivre selon notre condition en éclairant celle-ci : nous sommes une liberté sous la loi. Les deux éléments sont également importants. Le christianisme nous a délivrés de la Loi de l’Ancien Testament qui marquait les corps, commandait la nourriture, les ablutions, pour ainsi dire tous les gestes de la vie, mais il ne nous a pas délivrés de l’obéissance à la loi de la nature qui parle à la conscience, ni de l’obéissance à la grâce qui incline la volonté. Cette délicate articulation entre la loi de grâce et la liberté est ce que nous avons de meilleur pour explorer les chemins propres à l’humain. Une liberté sous la loi, cela veut dire une liberté exercée sous le regard de la conscience personnelle, celle-ci nourrie et éduquée par la double expérience puisée dans la cité et dans l’association religieuse. Cela suppose un équilibre subtil et toujours à construire entre la liberté et la communauté, équilibre sans cesse perdu et retrouvé qui donne sa ligne de force au mouvement spirituel de l’Europe. Or, avec l’idéologie des droits de l’homme, nous avons la liberté sans la communion [celle-ci se faisant par le « principe d’association propre au christianisme, la charité », je synthétise, note de AMG] . A l’inverse, avec le fondamentalisme, nous avons la communauté sans la liberté."

Peut-être citerai-je la suite de cette interview, qui aborde plus précisément le sujet, mais ce qui est dit ici permet déjà de comprendre pourquoi, d’une certaine façon (car je connais des gauchistes matérialistes conséquents et très anti-musulmans - des femmes, d’ailleurs), les LGBT-féministes-libertaires-etc. et les expansionnistes musulmans (pléonasme ?) marchent « conjointement » : pour les premiers, tout est construction sociale, pour les seconds tout est construction divine. Dans les deux cas, ce qui est humain est dévalorisé, comme un leurre ou un simulacre. Étant entendu que la façon dont on dévalorise cette humanité peut être paradoxale, sinon contradictoire, je l’ai déjà évoqué ici : derrière les attaques contre les « constructions sociales », il y a un rêve de retour à la nature, à l’état de nature, voire à l’animalité, dont on comprend bien qu’il puisse marcher du même pas que la défense des animaux (comme un retour inconscient de l’interdit de l’inceste, fondateur de l’humanité…) - et en même temps on a des craintes de pucelle à l’égard de la sexualité, mais seulement la sexualité normale, celle qui permet (mais pas exclusivement, à l’inverse de celle des animaux) de procréer… 


Je dois vous laisser, c’est l’anniversaire de ma femme ce soir, la « construction sociale » qu’est notre famille


 

ne me permet pas, et elle à bien raison, d’y arriver en retard. A demain !