"La société française découvre ce type de questions..."
Suite directe du texte d’hier :
"Dès les années 1760, le roi a favorisé les cours d’obstétrique et poussé à l’installation de matrones et de sages-femmes. Avec son appui, Mme Marguerite Boursin du Coudray dispense dans tout le pays un enseignement livresque et pratique, utilisant des mannequins. Entre 5000 et 10000 accoucheuses ainsi que 200 chirurgiens sont formés en vingt-cinq ans, médicalisant la naissance et créant un nouveau groupe social où des femmes acquièrent une spécialité reconnue. Même les paroisses rurales les moins susceptibles d’être touchées par l’esprit des Lumières sont influencées par cette laïcisation du rapport au corps et à la transmission de la vie. Dans le même temps, mais plutôt à destination des couches urbaines lettrées, l’allaitement maternel devient une véritable mode sociale. Dans ce phénomène surprenant à bien des égards et qui va prendre des significations nouvelles pendant la Révolution, se conjuguent de multiples causes directes et indirectes. L’attention portée aux enfants mais aussi l’espoir d’avoir des soldats se combinent avec le succès - pour partie de scandale - du livre Jean-Jacques Rousseau, L’Émile, qui, en 1762, prône cette alimentation « naturelle ». Nombre de particuliers s’en inspirent et élèvent leurs enfants « à l’Émile », tandis que l’administration (…) subventionne l’allaitement maternel, faisant chuter le nombre des enfants mis en nourrice.
Il convient de comprendre ces discours dans leurs contradiction mêmes. La mécanique des femmes, pour emprunter l’expression à Louis Calaferte, est une de ces « machines célibataires » qui créent du désir, des inhibitions et des conflits, sans être liées stricto sensu à des valeurs sociales normatives ou prescriptives, et qui donc suscitent d’innombrables réactions. Il ne faut pas chercher de cohérence à ces réflexions, ces attitudes, ces prises de position qui témoignent simplement du fait que la société française découvre ce type de questions et qu’elle tente d’y répondre dans tous les domaines de la vie quotidienne. Rousseau illustre là encore la réalité de l’époque. Il a longtemps projeté de faire un ouvrage sur l’histoire des femmes. Mais, partagé entre l’envie d’insister sur leur place et celle de dénoncer leur rôle nocif, puisqu’elles féminiseraient la société par excès d’amour, il n’arrivera jamais à l’écrire."
Quand je lis un livre d’histoire, je me dis que les gens font des erreurs de bonne foi (c’est une généralité, pas une référence particulière à ce texte ou au précédent). Quand je vois mes contemporains commettre ce qui me semble être une erreur politique importante, je les trouve soit stupides, soit de mauvaise foi. Mais est-il vraiment possible d’échapper à ce deux poids deux mesures ? Les erreurs du présent, nous espérons encore pouvoir les empêcher, et nous n’en connaissons pas avec certitude ni distance les conséquences potentiellement tragiques pour nous et nos proches.
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