"Suspects et comploteurs..."
Je blogue dès le matin. C’est souvent le cas le week-end - et aujourd’hui, nous ne savons pas de quoi l’après-midi sera faite…
A la fin de son dernier article (https://blog.mondediplo.net/les-forcenes - je n’en ai lu pour l’heure que les extraits publiés par Le Salon beige), Frédéric Lordon évoque, au sujet des poursuites judiciaires contre les initiateurs d’une guillotine en carton, « l’histoire populaire des effigies », ajoutant, à juste titre : "Au mépris surtout de ce qu’à fermer jusqu’aux formes symboliques de l’expression de la colère, après en avoir fermé toutes les formes politiques, [les médias] devraient se demander quelles solutions d’expression ils lui laissent."
Or, je découvre dans le livre de J.-C. Martin un intéressant complément d’information, qui donnerait à penser que dans l’espèce de république chimiquement pure (et moralement impure) qu’est le régime LREM, il n’y a rien d’étonnant à ce que l’on s’en prenne aux effigies, comme si on assimilait symbolique et réel :
"L’affichage des opinions est rapidement répandu dans le pays, notamment par la cocarde, que les voyageurs qui veulent traverser le pays sans heurt sont, de fait, obligés de porter dès la fin de 1789. Ce qui est demandé, au-delà de l’uniformité apparente, est plus profond : il s’agit de participer à la vie de la nation sans restriction. La Chronique de Paris de l’été 1790 mène campagne contre les marques distinctives qui peuvent différencier les individus, mêlant la suppression des titres sur les tombes des nobles, à l’abandon de la pratique de la poudre chez les hommes pour avoir une tête « à la romaine » ! La finesse de la peau des mains signale, dès 1790, suspects et comploteurs. L’Ami du peuple dénonce les « hommes travestis en femmes », les « jolis messieurs bien frisés et gentilles donzelles bien coiffées ». La crainte que l’habit soit un masque s’inscrit dans la vie sociale. Le 31 janvier 1790, les processions carnavalesques sont interdites à Paris, considérées comme indigne d’un peuple « libre » qui n’a pas besoin de se cacher pour exprimer ses idées et ses convictions. Le travestissement, notamment celui des femmes en hommes, qui avait toujours inquiété les autorités, devient hors la loi. La transparence des attitudes ainsi attendue…"
Par-delà cette histoire d’effigie et cette interdiction républicaine précoce de ce qui relève du carnavalesque, on rappellera les propositions et remarques de certains, cette semaine, suite à l’affaire de la cagnotte, d’une transparence absolue des noms des donateurs, voire, plus généralement, de la disparition des pseudonymes sur Twitter et autres réseaux sociaux - l’état d’esprit quant à ce que l’on peut et doit exiger d’un peuple « libre » (les guillemets sont de J.-C. Martin, qui ne m’apparaît pas comme un contre-révolutionnaire fanatique, loin de là) est le même. Et indifférenciation pour indifférenciation, on en profitera pour rappeler que nos amis les LGBT sont loin de faire l’éloge du secret : vous pouvez faire ce que vous voulez de votre corps, mais il ne faut pas que ce soit caché, ni fugace, et encore moins amusant. On n’est pas là pour rigoler !
Ce qui est frappant d’ailleurs, dans les deux cas, c’est l’assimilation volontariste des actions à une identité, y compris, dans le cas des LGBT, pour des gens qui jouent quand ils le veulent sur le trouble dans le genre blablabla : si vous avez crié « Vive le Roi ! » il y a vingt ans, vous êtes suspect de royalisme pour toujours, quoique vous fassiez ; si vous avez de temps en temps un goût pour le travestissement ou si vous avez connu quelques expériences homosexuelles, vous êtes bi, la question est résolue - et dans ce cas, il faut l’assumer, le dire, le proclamer, etc. L'intimité et la discrétion sont suspectes.
Bon samedi républicain à tous !
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