vendredi 29 mars 2019

Énonciation et provocation.

Chestertonien un jour, chestertonien toujours ? En tout cas, chestertonien ce jour. G. K. évoque une thèse de son ami H. Belloc, à qui certains protestants reprochent de professer "l’horrible opinion [selon laquelle] la Réforme protestante fut le naufrage de la chrétienté", et enchaîne ainsi, avec son talent personnel pour la logique et l’énoncé de propositions générales à travers un modèle précis :  

"Personnellement, j’aurais pensé qu’il était évident à quiconque, de quelque bord qu’il soit, qu’il s’agissait concrètement et objectivement du naufrage de la Chrétienté. Par exemple, je suppose que ce serait une évidence pour quiconque désire ou même débat de la réunification du monde chrétien. Il y eut assurément un vaisseau ou un véhicule uni, qui s’est tout aussi certainement brisé en plusieurs morceaux. Sans doute certains pensaient-ils que le navire était un trois-mâts archaïque aux planches pourries, dont l’éclatement était inéluctable, et que ceux qui en réchappèrent sur des chaloupes furent chanceux. Mais ce qui est sûr, c’est que le navire s’est bel et bien brisé et que les embarcations rescapées étaient différentes du vaisseau d’origine. L’on pourrait aussi bien nous tenir grief de penser que l’émergence des royaumes féodaux et des nationalités modernes est liée au déclin et à la chute de l’Empire romain. 

Ce n’est là qu’un symptôme de bigoterie, mais qui mérite une remarque en introduction. L’une des particularités de ce genre de bigoterie est son impossibilité à distinguer provocation et énonciation de faits implacables. Si je dis que la Réforme fut une rechute dans la barbarie, un retour à tout ce qu’il y avait de pire dans les Ages sombres, sans en garder les meilleurs éléments ; une idolâtrie de textes hébreux morts, remplis de visions et de symboles, sans qu’aucun Daniel ne soit là pour en interpréter les rêves ; un brutal déferlement de luxe et de vanité dissimulé par un vulgaire hurlement évangéliste ; un ramassis de voleurs et de pillards, une poignée de lunatiques paradant à leur tête, radotant et écumant, en guise de mascottes porte-bonheur ; le retour du manichéisme, cette singerie hirsute de l’ascèse, conspirant avec le diable à la destruction du monde [c’est la phrase la plus importante, elle reprend une thèse de G. K. dans un autre texte, je vous cite ça à l’occasion] ; si d’aventure je disais cela, je conviendrais que ces remarques à propos du protestantisme ont une tournure légèrement provocante. Mais dussé-je déclarer, avec M. Belloc, que le protestantisme fut le naufrage de la Chrétienté, je considérerais qu’il s’agit là d’une vérité historique élémentaire, tout comme si je disais que la guerre d’Indépendance américaine causa une fracture dans l’Empire britannique. La nuance entre ces deux types de propos dépasse les capacités de discernement du bigot sectaire, qu’ils sortent de notre bouche ou de la sienne propre."

De façon comparable, si vous parlez du Grand Remplacement, on vous traitera de provocateur - et de mythomane. Si vous citez à l’appui de vos idées des rapports de l’UE demandant plus d’immigration en Europe, vous êtes un provocateur - et un salaud. Si vous dites en revanche que l’Europe a besoin de sang neuf et d’immigration, que l’immigration massive est une chance pour elle, alors vous n’êtes plus dans la provocation, vous voilà miraculeusement revenu dans le domaine des faits ! - H. Belloc aurait dû écrire que le protestantisme avait renouvelé la Chrétienté à un moment où celle-ci en avait besoin, et on ne l’aurait pas accusé de provocation…


(Tristesse par ailleurs d’avoir fini Pourquoi je suis catholique. Mais nous n’avons pas fini d’en parler !)