jeudi 16 mai 2019

"Cette demeure de Dieu dont chaque homme qui fait ce qu’il peut Avec son corps est comme un fondement secret..."

Dans L’annonce faite à Marie, le personnage de l’apprenti, d’abord présenté comme un horrible pédant assumant le versant comique de la pièce, nous offre, à propos de son maître Pierre de Craon, bâtisseur de cathédrale du côté de Reims…, deux belles tirades : 

"Le maître cherche ses vitraux et c’est pourquoi il nous envoie ici prendre du sable ; 
Quoique ce ne soit pas son métier, 
Tout l’hiver il a travaillé au milieu de ses fourneaux. 
Faire de la lumière, pauvres gens, c’est plus difficile que de faire de l’or, 
Souffler sur cette lourde matière et la rendre transparente, « selon que nos corps de boue seront transmués en corps de gloire », 
Dit saint Paul.
Et de toutes couleurs il dit qu’il veut trouver
La couleur-mère, telle que Dieu même l’a faite. 
C’est pourquoi dans de grands vases purs emplis d’une eau éclatante
Il verse l’hyacinthe, l’outremer, l’or gras, le vermillon, 
Et regarde ces belles roses intérieures, ce que ça fait dans le soleil et la grâce de Dieu, et comment cela tourne et s’épanouit dans le matras. 
Et il dit qu’il n’y pas une couleur qu’il ne puisse faire tout seul avec son esprit. 
Comme son corps fait du rouge et du bleu.
Car il veut que la Justice de Rheims brille comme l’Aurore au jour de ces noces."

"Je me rappelle comment il a puni l’un de nous qui restait tout le temps dans son coin à dessiner : 
Il l’a envoyé toute la journée sur les échafauds avec les maçons pour les servir et leur passer leurs auges et leurs pierres, 
Disant qu’au bout de la journée il saurait deux choses ainsi mieux que par règle et par dessin : le poids qu’un homme peut porter et la hauteur de son corps. 
Et de même que la grâce de Dieu multiplie chacune de nos bonnes actions, 
C’est ainsi qu’il nous a enseigné ce qu’il appelle « le Sicle du Temple », et cette demeure de Dieu dont chaque homme qui fait ce qu’il peut 
Avec son corps est comme un fondement secret ; 
Ce que sont le pouce et la main et la coudée et notre envergure et le bras étendu et le cercle que l’on fait avec, 
Et le pied et le pas ;
Et comment rien de tout cela n’est le même jamais. 
Croyez-vous que le corps fût indifférent au père Noé quand il fit l’arche ? Est-ce qu’il est indifférent, 
Le nombre de pas qu’il y a de la porte à l’autel, et la hauteur à laquelle il est permis à l’oeil de s’élever, et le nombre d’âmes que les deux côtés de l’Église contiennent réservées ? 
Car l’artiste païen faisait tout du dehors, et nous faisons tout de par-dedans comme les abeilles, 
Et comme l’âme fait pour le corps : rien n’est inerte, tout vit. 
Tout est action de grâces."


Je me disais en recopiant ce dernier texte qu’il ne serait peut-être pas inutile de le faire connaître à ceux qui veulent nous rendre Notre-Dame « plus belle » qu’auparavant, mais pourraient-ils même le comprendre ? Le rapport chrétien au corps, eux qui sans vraiment sans rendre compte détestent le corps, comment pourraient-ils l’appréhender ? 

(Peut-être qu’il faudra reconstruire une autre Notre-Dame nous-mêmes.)