jeudi 9 mai 2019

"Le trône et l’autel, maxime révolutionnaire."

Suite à la lecture des analyses de J. Starobinski, j’ai rouvert les Fusées de Baudelaire, je vous en extrais quelques perles - je ne prétends pas qu’elles incitent à l’optimisme un Français de 2019 : 

"Les nations n’ont de grands hommes que malgré elles, - comme les familles. Elles font tous leurs efforts pour n’en pas avoir. Et ainsi, le grand homme a besoin, pour exister, de posséder une force d’attaque plus grande que la force de résistance développée par des millions d’individus."

(Ceci est encore plus vrai en régime égalitaire démocrate ; en monarchie, après, tout, il y a une forme de cohérence à ce que le roi soit un grand homme, cela ne va pas en tout cas contre l’idéologie du système.)

"Les pays protestants manquent de deux éléments indispensables au bonheur d’un homme bien élevé, la galanterie et la dévotion."

"Peuples civilisés, qui parlez toujours sottement de sauvages et de barbares, bientôt, comme dit d’Aurevilly, vous ne vaudrez même plus assez pour être idolâtres." 

(Que ces peuples civilisés soient maintenant devenus officiellement anti-racistes ne change rien à l’affaire.)

"L’homme, c’est-à-dire chacun, est si naturellement dépravé qu’il souffre moins de l’abaissement universel que de l’établissement d’une hiérarchie raisonnable. 

Le monde va finir. La seule raison pour laquelle il pourrait durer, c’est qu’il existe. Que cette raison est faible, comparée à toutes celles qui annoncent le contraire, particulièrement à celle-ci : qu’est-ce que le monde a désormais à faire sous le ciel ? - Car, en supposant qu’il continuât à exister matériellement, serait-ce une existence digne de ce nom et du dictionnaire historique ? Je ne dis pas que le monde sera réduit aux expédients et au désordre bouffon des républiques du Sud-Amérique, - que peut-être même nous retournerons à l’état sauvage et que nous irons, à travers les ruines herbues de notre civilisation, chercher notre pâture, un fusil à la main. Non ; - car ce sort et ces aventures supposeraient encore une certaine énergie vitale, écho des premiers âges. Nouvel exemple et nouvelles victimes des inexorables lois morales, nous périrons par où nous avons cru vivre. La mécanique nous aura tellement américanisés, le progrès aura si bien atrophié en nous la partie spirituelle, que rien parmi les rêveries sanguinaires, sacrilèges ou anti naturelles des utopistes ne pourra être comparé à ses résultats positifs. Je demande à tout homme qui pense de me montrer ce qui subsiste de la vie. De la religion, je crois inutile d’en parler et d’en chercher les restes, puisque se donner encore la peine de nier Dieu est le seul scandale en pareilles matières. La propriété avait disparu virtuellement avec la suppression du droit d’aînesse ; mais le temps viendra où l’humanité, comme un rêve vengeur, arrachera leur dernier morceau à qui croiront avoir légitimement hérité des révolutions. Encore, là ne serait pas le mal suprême. 


L’imagination humaine peut concevoir, sans trop de peine, des républiques ou autres état communautaires, dignes de quelque gloire, s’ils sont dirigés par des hommes sacrés, par de certains aristocrates. Mais ce n’est pas particulièrement par des institutions politiques que se manifestera la ruine universelle, ou le progrès universel ; car peu m’importe le nom. Ce sera par l’avilissement des coeurs. Ai-je besoin de dire que le peu qui restera de politique se débattra péniblement dans les étreintes de l’animalité générale, et que les gouvernants seront forcés, pour se maintenir et pour créer un fantôme d’ordre, de recourir à des moyens qui feraient frissonner notre humanité actuelle, pourtant si endurcie ?"