vendredi 9 août 2019

"Il y a des damnés..."

J’ai stoppé ma lecture de L’hiver de la culture de Jean Clair : je me suis aperçu à la moitié du livre que je l’avais déjà lu.

 - Cette publicité pour l’état actuel de mon cerveau étant faite, deux extraits du livre de Bonnard sur saint François d’Assise, sans rapport particulier entre eux, même pas le fait que Rousseau y soit à chaque fois évoqué : 

"L’homme moderne, qui croit tout avoir, parce qu’il manie les mots de toutes choses qu’il n’a pas, ne doute point d’aimer beaucoup la nature. Il est vrai que les romantiques en ont tiré un grand parti. Encore ne veulent-ils y oublier les autres hommes que pour s’y dilater eux-mêmes. Jean-Jacques, qui leur donne l’exemple, est assurément celui dont les sensations sont les plus sincères et les plus profondes ; mais elles recouvrent quelque chose de trouble et d’amer. Quand il s’est réfugié dans la nature, il s’y roule dans une espèce d’innocence impure. En embrassant des arbres, en adorant des fleurs, il trompe une avidité qui ne s’est pas satisfaite ailleurs et les jouissances qu’il goûte ainsi sont comme les voluptés de l’impuissance."

"François a l’âme trop saine pour ne pas désirer de vivre toujours davantage. L’Enfer ne lui fait horreur que comme le lieu d’une moindre vie et, sans doute, est-ce moins pour lui l’endroit où l’on brûle que l’endroit où l’on gèle. Lui qui se plaisait tellement à contempler le feu, il a dû penser déjà ce que saint Thomas a doctement exprimé un peu plus tard, quand voulant retirer au séjour infernal son prestige splendide de fournaise, il dit qu’il y a autant de différence entre le feu de l’enfer, terne et lugubre, et les flammes qui nous éblouissent, qu’entre celles-ci et leur image, peinte sur un mur. 


François aime, sans que ses transports l’induisent à déraisonner. Il n’est pas forcé, comme un Jean-Jacques, de continuer par des égarements de l’esprit les effusions de son coeur. Il ne dit pas que les brigands sont bons, mais simplement qu’il faut les chérir. Il n’est personne dont il désespère, mais personne, non plus, dont il soit obligé de répondre, puisqu’il appartient à une religion où il est admis qu’il y a des damnés, c’est-à-dire des hommes, sans qu’on puisse jamais préjuger lesquels, dont Dieu lui-même renonce à rien faire. François aime les hommes sans dépendre d’eux. Si même ils le laissaient seul et se mettaient tous d’accord contre lui, il n’en resterait pas moins le Solitaire de l’Amour. De là ses chants, sa gaieté, son allégresse d’homme sans bagage. Il était au pouvoir de n’importe qui de lui causer de grandes peines. Mais il n’était au pouvoir de personne de tuer sa joie."