lundi 5 août 2019

"Voir survivre un peu de cette gentillesse divine..."

Si l’on voulait, on pourrait chipoter, dire qu’il y a quelque chose de rousseauiste ou de festiviste dans cette envolée de Bonnard sur l’âme d’enfant de saint François d’Assise, mais ce serait là méconnaître toute la lucidité de l’auteur de l’Éloge de l’ignorance quant à la petitesse et au narcissisme de notre Moi ; on peut donc se laisser bercer par ce qui suit en toute quiétude : 


"Beaucoup d’entre nous ont connu d’abord cette vie limpide, ces sentiments sans limite, cette auguste crédulité. Mais bien loin d’en être restés capables, à peine pouvons-nous ranimer le souvenir de cette féerie disparue. Dans le génie même, il est très rare de voir survivre un peu de cette gentillesse divine. Je n’en vois pas d’autre exemple que ceux de Mozart et de Buster Keaton [pas pu m’empêcher !]. (…) On pourrait dire de François qu’il est la seule âme que la vie n’ait pas fanée, le seul enfant qui ait grandi au lieu de mourir. Au lieu de développer les facultés qui caractérisent en nous l’être adulte, et d’acheter cet accroissement par l’abandon de nos premières qualités, François s’en est tenu à celles-là, pour les épanouir toujours davantage, de sorte qu’elles ont pris en lui cette grandeur pure, ces couleurs profondes qu’on voit aux fleurs des montagnes. Il est moins un homme qu’un enfant augmenté et magnifié. Cela est assez difficile à concevoir : il est plus grand que nous, sans avoir été notre égal."