"La sentimentalité est une échappatoire..."
Hier 3 août, c’était l’anniversaire de la mort de Flannery O’Connor, ce que j’apprends aujourd’hui tout à fait par hasard, et alors que je m’apprêtais à recopier ce qui suit. Tout lecteur de Bloy, lorsqu’il écrit le mot hasard, repense à la définition qu'en donnait le polémiste périgourdin : la Providence des imbéciles ; néanmoins, en décrivant cet enchaînement de faits, je peine à voir ce que la Providence m’y réserverait… Il est vrai que Dieu écrit droit avec des lignes courbes, comme le disait Claudel - il avait lu ça chez un auteur espagnol je crois, un jésuite pourquoi pas ? -, et n'ayant rien d'autre à dire je laisse la parole à Mlle O’Connor :
"La complexité du problème qui se pose au romancier catholique résulte en partie de la présence de la grâce telle qu’elle apparaît dans la nature, et l’essentiel est pour lui que sa foi ne soit pas dissociée de son sens dramatique ni de sa vision de ce-qui-est. Pourtant, de nos jours, personne ne semble plus désireux de les voir dissociés que ces catholiques qui exigent que l’écrivain restreigne son champ visuel à la nature.
Si l’on pouvait dépister le catholique moyen dans le marais du courrier des lecteurs, et partout où il montre l’oreille, il se révélerait plus manichéen que l’Église ne le lui permet. En séparant autant que possible la nature de la grâce, il réduit sa conception du surnaturel à de pieux clichés, et en littérature se montre incapable de reconnaître la nature sinon sous deux formes : la sentimentale et l’obscène. Il préfère la première, bien que plus expert en la seconde, mais la similitude entre les deux lui échappe. Il oublie que la sentimentalité est un excès de sentiment, une distorsion qui porte à surestimer l’innocence, alors que l’innocence, quand on lui attache un trop grand prix dans la condition ordinaire des hommes, tend à se murer en son contraire, en vertu de je ne sais quelle loi naturelle. Nous avons perdu notre innocence dans la Chute, et nous ne la recouvrons que parce que le Christ a donné sa vie pour nous et que nous participons lentement à notre rédemption. La sentimentalité est une échappatoire : elle esquive ce processus en sa réalité concrète pour accéder prématurément à un faux état d’innocence qui évoque fortement son contraire. Inversement, la pornographie est sentimentale par essence, car elle oublie la finalité exigeante du sexe, et par là même le dissocie de sa signification dans cette vie pour n’en faire qu’une fin en soi."
Cette variation sur la pornographie, le sentimentalisme et le Qui veut faire l’ange fait la bête est l’essentiel de ce que je voulais citer aujourd’hui, elle donnera peut-être lieu à quelques commentaires personnels ; je vous recopie en sus le paragraphe suivant :
"A juste titre, on déplore souvent que la littérature religieuse ait tendance à minimiser l’importance et la dignité de la vie ici et maintenant, en faveur de celle de l’autre monde ou en faveur des miraculeuses manifestations de la grâce. Quand le roman se conforme à sa nature vraie, il doit renforcer notre sens du surnaturel en le fondant sur la réalité concrète, observable. Si l’écrivain fait usage de ses yeux dans l’absolue certitude de sa foi, il doit s’en servir en parfaite honnêteté, et son sens, comme son acceptation du mystère ne peuvent qu’être accrus. Observer les éléments les plus impurs n’est pour lui qu’un acte de confiance en Dieu. Mais s’il en est ainsi pour l’écrivain, sans doute n’en va-t-il pas de même pour le lecteur. Ce qui, pour l’écrivain, est la voie du salut, peut être celle du péché pour le lecteur [qu’il soit ou non croyant, note et interprétation de AMG], et le romancier catholique qui observe cette possibilité regarde Méduse en face et se sent transformé en pierre."
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