De Jésus-Christ à Han Solo...
En pleine lecture du Nouveau Testament (saint Jean, plus précisément), je songe ces jours-ci à ma thèse (ici : http://cafeducommerce.blogspot.com/2018/02/montrer-le-fond-de-la-mer-le-montrer-et.html) selon laquelle le cinéma, brisant le cours décadent (le mot est d’autant plus justifié que cette idée m’était venue entre autres à la lecture de considérations de Jean Clair sur A rebours) de l’art moderne, avait su, pendant quelques décennies, redonner à l’homme, à la figure humaine, sa dignité - avant que la vidéo, le transhumanisme, le catharisme LGBT, l’indifférence maçonnique à toute dignité supra-humaine de l’homme, etc., ne viennent permettre à l’ « art » moderne de reprendre son cours de destruction…
(Une illustration facile ou symbolique serait fournie par les deux derniers épisodes à ce jour de Star wars : de la rencontre bazinienne et émouvante des visages et corps vieillis de Harrison Ford et Carrie Fisher, à l’épouvantable nécrophilie expérimentale autour de l’image filmée de Peter Cushing…)
Je pourrais aujourd’hui reformuler ceci en écrivant que le cinéma a été, comme ce fut auparavant le cas pour la peinture, avant qu'elle ne renonce à cette mission, un art de l’incarnation. Si je continue dans un sens biblique et repense aux passages où le Christ se dit "la lumière", il n’en faudrait pas beaucoup pour que je glose sur le nom des inventeurs du cinéma, voire sur leur nationalité - les Lumière étaient français, pas anglais ou allemands… J’en resterais à la définition du cinéma selon André Bazin : "Le cinéma est le voile de Véronique posé sur le visage de la souffrance humaine" et enchaîne maintenant, une fois cet état d’esprit exposé, sur la citation du jour, Jean Clair encore :
"Il n’y a que deux attitudes face à l’énigme du visage, ou bien trancher la tête, comme les Révolutionnaires ou les adorateurs d’Allah, à défaut de pouvoir supporter l’embarras de la face, ou bien, d’un mouvement contraire, l’imprimer, en conserver l’image, et tenter de comprendre, aussi longtemps qu’on peut, ce qui se cache en elle, et en chérir l’énigme.
Il y a l’Islam, mais avant lui il y a eu les héroïnes de la Bible, pour pratiquer la décollation des hommes.
Dans le Nouveau Testament apparaît une sensibilité différente : la naissance de la tendresse pour autrui, et par conséquent un amour pour son visage, que manifeste le christianisme et qu’incarne Véronique. Au lieu de l’épée, elle usera de son linge pour essuyer un visage, comme déjà détaché, décollé de son corps, celui du futur Crucifié dont elle entreprend de garder l’empreinte.
Il y a des tableaux, au XVe siècle, où Judith et Salomé saisissent par les cheveux les têtes tranchées du saint ou du tyran pour les exhiber à la hauteur de leur ventre, et pour les tendre à bout de bras, comme un trophée. Dans d’autres peintures, d’une confondante réversibilité, c’est aussi à la ceinture, et avec le même geste, que Véronique tient et déplie le voile contenant imprimée la tête ensanglantée du Christ, pareille à celle d’un décapité, mais c’est pour en conserver cette fois, pieusement, le modèle.
« Véronique », latinisation de Berenikê, ou Beronikê, c’est « Bérénice » : celle qui « porte la victoire ». Véronique est la première femme à triompher de la mort, et de ce triomphe, c’est dans sa main qu’elle retient l’image, une simple image imprimée, qui survit."
"Une simple image imprimée, qui survit, vingt-quatre fois par seconde…" - J’ajouterai à ce texte certes un peu rapide et général mais touchant qu’on y trouve implicitement l’intuition d’un certain rapport aux femmes dans le christianisme : alors que dans un premier temps (vétéro-testamentaire si l’on veut) elles peuvent pratiquer une violence comparable à celle des hommes, elles consacrent ensuite leur propre féminité en apportant une autre approche (néo-testamentaire si l’on veut) - mais à partir de et en reproduisant d’une certaine manière leur premier comportement, tout en en changeant complètement le sens. (Et cela me semble caractéristique des rapports entre Nouveau et Ancien Testaments - ou comment ne pas être marcioniste…)
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