A bon entendeur.
Chaque série se rapprochant à chaque étape de sa propre fin, la France se rapproche chaque jour que Dieu fait de sa dissolution, nous-même de la mort (infarctus, bavure, Sida, "belle mort", etc.) : il est réconfortant que l'on puisse encore lire un peu de Vincent Descombes, pour en apprendre sur soi.
"Qu'est-ce qui rend croyable une opinion, demande Condorcet ? Quels sont les motifs de sa crédibilité ? Ils peuvent être réels ou faux, car il y a de bonnes raisons de croire, mais aussi de mauvaises raisons. Condorcet distingue trois espèces de motifs de crédibilité :
1° les motifs réels (qui tiennent à la façon rationnelle d'acquérir des opinions) ;
2° le motif de l'habitude (les préjugés) ;
3° le motif de l'autorité attachée à celui qui émet l'opinion.
Comme on voit, Condorcet applique une classification qui est déjà celle dont se servira Max Weber pour construire sa typologie des trois formes de légitimité : rationalité, tradition, charisme (ou prestige). Or la difficulté est la même chez Weber et chez lui. Parmi les trois formes de légitimité qui nous sont proposées, il y a une authentique légitimité (celle qui est qualifiée de rationnelle) et deux qui sont spécieuses. Il en va de même pour les motifs de croire : il y a des motifs de croire les opinions réellement dignes d'être crues, et il y a de (faux) motifs de croire des opinions qui, en réalité, ne sont pas croyables.
L'épistémologie qu'esquisse Condorcet est mentaliste. Il est ici pris au piège d'une philosophie assimilant la croyance du sujet à un état interne sur lequel ce sujet peut nous renseigner parce qu'il est le mieux placé pour s'introspecter. Soit un individu qui doit juger si l'opinion p est vraie. Condorcet l'invite à s'examiner lui-même. Quel sentiment éprouve-t-il lorsqu'il considère que p ? A-t-il les mêmes sentiments qu'envers des résultats scientifiques bien établis ? Ou bien sent-il qu'au fond il ne le croit pas ? La subjectivation des critères du vrai est ici complète. Le sujet doit déterminer s'il croit réellement les choses qu'il se vante de croire. Un examen de son sentiment doit lui apprendre s'il cède à une habitude, à une autorité extérieure ou à un sentiment réel d'évidence.
Mais comment exclure que les sujets procédant ainsi arrivent à des résultats divergents ? L'individu A s'examine et conclut qu'il croit réellement que p. B parvient à la conclusion opposée : il croyait croire que p, mais il découvre qu'en réalité il ne le croyait pas réellement, mais seulement en apparence.
Que se passe-t-il lorsqu'il y a divergence ? L'individu A dit qu'il croit que p, mais il le dit sur la foi de sa conscience qui lui présente son état subjectif comme celui de quelqu'un qui croit que p. (Ici, ne demandons pas à quoi ressemble un tel état, ce serait ruiner toute la manoeuvre du philosophe.) A dit croire que p, mais cela ne prouve pas qu'il est dans cet état doxastique. En réalité, le fait que A dise qu'il croit que p ne prouve qu'une chose : s'il est sincère, il croit, à tort ou à raison, qu'il croit que p. Mais qu'en est-il de son état réel de croyance ? De son côté, B a dit qu'il croyait tout à l'heure croire que p, mais qu'il vient de s'apercevoir qu'en réalité il ne le croyait pas réellement. Mais qu'en est-il de sa croyance présente relativement à sa croyance passée ? Est-ce une croyance réelle ou seulement une croyance qu'il professe sans réellement la sentir en lui ? Toute cette analyse de la croyance en termes d'état ressentis comme plus ou moins intenses par le sujet conduit ainsi à des incohérences.
Dire que je crois que p, ce n'est certainement pas prononcer un jugement sur le point de savoir si je crois que p. Le philosophe du sujet voudrait insérer un rapport à soi de type réfléchi entre le sujet de croyance et l'expression de sa croyance, mais aucune place n'a été ménagée dans le langage pour une telle opération subjective. La seule façon de décider si je crois que p, c'est de considérer que j'ai de solides raisons de croire que p. Ce n'est pas en m'examinant moi-même que je pourrai jamais faire la différence entre les motifs réels de crédibilité et ceux qui ne sont pas réels."
(Le complément de sujet, Gallimard, 2004, pp. 364-365).
Rendez-vous très bientôt, pour les conséquences de ce raisonnement !
(Messages personnels : à M. Cinéma : cette photo vient de cet intéressant blog ; à M. Aliéné : je vous réponds sous peu, life's a bitch
...and so I am, ajoutait Michelle Pfeiffer dans le temps. Le temps que j'ai perdu, justement. A bientôt donc !)
"Qu'est-ce qui rend croyable une opinion, demande Condorcet ? Quels sont les motifs de sa crédibilité ? Ils peuvent être réels ou faux, car il y a de bonnes raisons de croire, mais aussi de mauvaises raisons. Condorcet distingue trois espèces de motifs de crédibilité :
1° les motifs réels (qui tiennent à la façon rationnelle d'acquérir des opinions) ;
2° le motif de l'habitude (les préjugés) ;
3° le motif de l'autorité attachée à celui qui émet l'opinion.
Comme on voit, Condorcet applique une classification qui est déjà celle dont se servira Max Weber pour construire sa typologie des trois formes de légitimité : rationalité, tradition, charisme (ou prestige). Or la difficulté est la même chez Weber et chez lui. Parmi les trois formes de légitimité qui nous sont proposées, il y a une authentique légitimité (celle qui est qualifiée de rationnelle) et deux qui sont spécieuses. Il en va de même pour les motifs de croire : il y a des motifs de croire les opinions réellement dignes d'être crues, et il y a de (faux) motifs de croire des opinions qui, en réalité, ne sont pas croyables.
L'épistémologie qu'esquisse Condorcet est mentaliste. Il est ici pris au piège d'une philosophie assimilant la croyance du sujet à un état interne sur lequel ce sujet peut nous renseigner parce qu'il est le mieux placé pour s'introspecter. Soit un individu qui doit juger si l'opinion p est vraie. Condorcet l'invite à s'examiner lui-même. Quel sentiment éprouve-t-il lorsqu'il considère que p ? A-t-il les mêmes sentiments qu'envers des résultats scientifiques bien établis ? Ou bien sent-il qu'au fond il ne le croit pas ? La subjectivation des critères du vrai est ici complète. Le sujet doit déterminer s'il croit réellement les choses qu'il se vante de croire. Un examen de son sentiment doit lui apprendre s'il cède à une habitude, à une autorité extérieure ou à un sentiment réel d'évidence.
Mais comment exclure que les sujets procédant ainsi arrivent à des résultats divergents ? L'individu A s'examine et conclut qu'il croit réellement que p. B parvient à la conclusion opposée : il croyait croire que p, mais il découvre qu'en réalité il ne le croyait pas réellement, mais seulement en apparence.
Que se passe-t-il lorsqu'il y a divergence ? L'individu A dit qu'il croit que p, mais il le dit sur la foi de sa conscience qui lui présente son état subjectif comme celui de quelqu'un qui croit que p. (Ici, ne demandons pas à quoi ressemble un tel état, ce serait ruiner toute la manoeuvre du philosophe.) A dit croire que p, mais cela ne prouve pas qu'il est dans cet état doxastique. En réalité, le fait que A dise qu'il croit que p ne prouve qu'une chose : s'il est sincère, il croit, à tort ou à raison, qu'il croit que p. Mais qu'en est-il de son état réel de croyance ? De son côté, B a dit qu'il croyait tout à l'heure croire que p, mais qu'il vient de s'apercevoir qu'en réalité il ne le croyait pas réellement. Mais qu'en est-il de sa croyance présente relativement à sa croyance passée ? Est-ce une croyance réelle ou seulement une croyance qu'il professe sans réellement la sentir en lui ? Toute cette analyse de la croyance en termes d'état ressentis comme plus ou moins intenses par le sujet conduit ainsi à des incohérences.
Dire que je crois que p, ce n'est certainement pas prononcer un jugement sur le point de savoir si je crois que p. Le philosophe du sujet voudrait insérer un rapport à soi de type réfléchi entre le sujet de croyance et l'expression de sa croyance, mais aucune place n'a été ménagée dans le langage pour une telle opération subjective. La seule façon de décider si je crois que p, c'est de considérer que j'ai de solides raisons de croire que p. Ce n'est pas en m'examinant moi-même que je pourrai jamais faire la différence entre les motifs réels de crédibilité et ceux qui ne sont pas réels."
(Le complément de sujet, Gallimard, 2004, pp. 364-365).
Rendez-vous très bientôt, pour les conséquences de ce raisonnement !
(Messages personnels : à M. Cinéma : cette photo vient de cet intéressant blog ; à M. Aliéné : je vous réponds sous peu, life's a bitch
...and so I am, ajoutait Michelle Pfeiffer dans le temps. Le temps que j'ai perdu, justement. A bientôt donc !)
Libellés : Bunuel, Condorcet, conscience, Descombes, Weber
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