vendredi 27 avril 2007

Over the rainbow.

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Il y a beaucoup à dire sur et à partir du dernier livre de Jacques Bouveresse, Peut-on ne pas croire ?. En guise de mise en bouche, voici un extrait (p. 140-141) où l'auteur s'appuie sur Renan pour énoncer une distinction me semble-t-il pertinente :

"On ne peut, bien entendu, interdire à personne d'utiliser, si ça lui chante, le mot "christianisme" pour désigner quelque chose comme une combinaison des articles fondamentaux du credo postmoderniste avec une croyance aux vertus de la charité (chrétienne ou non). Mais ce qui me frappe, je l'avoue, une fois de plus, est le degré de laxisme conceptuel et de confusionnisme intellectuel auquel la "pensée faible" est capable d'atteindre à certains moments et qui, s'il n'est pas de nature à me rapprocher du christianisme, est sûrement encore moins susceptible de me réconcilier avec le mode de pensée et d'écriture postmoderne. Renan, qui, dans ses Souvenirs d'enfance et de jeunesse, avoue sa préférence pour Saint-Sulpice et les sulpiciens plutôt que pour ceux qui cherchent à réformer et à adapter le catholicisme, la justifie en disant qu'il vaut mieux, à tout prendre, persévérer honnêtement dans le faux que cultiver le vague pour satisfaire les besoins de l'époque :

"Ils manquaient de critique en s'imaginant que le catholicisme des théologiens a été la religion même de Jésus et des apôtres ; mais ils n'inventaient pas pour les gens du monde un christianisme revue et adapté à leurs idées. Voilà pourquoi l'étude (dirai-je la réforme ?) sérieuse du christianisme viendra bien plutôt de Saint-Sulpice que de directions comme celle de M. Lacordaire ou de M. Gratry, à plus forte raison de M. Dupanloup, où tout est adouci, faussé, émoussé, où l'on présente le christianisme non point tel qu'il résulte du concile de Trente et du Vatican, mais un christianisme désossé en quelque sorte, sans charpente, privé de ce qui est son essence. Les convertions opérées par les prédications de cette sorte ne sont bonnes ni pour la religion ni pour l'esprit humain. On croit avoir fait des chrétiens : on a fait des esprits faux, des politiques manqués. Malheur au vague ! mieux vaut le faux. La vérité, comme a dit très bien Bacon, sort plutôt de l'erreur que de la confusion."

Renan parle du "pathos prétentieux qui a envahi de nos jours l'apologétique chrétienne" et déclare lui préférer nettement la compétence en matière de dogme, la modestie et la sobriété sulpiciennes. Je ne suis pas sûr que, pour des raisons qui sont un peu du même genre que les siennes, il ne faille pas préférer un honnête dogmatisme à la rhétorique conciliante et faussement modeste que le postmodernisme utilise pour défendre la religion. (...) Le vague compréhensif et oecuménique que cultive ouvertement la pensée postmoderne permet sans doute (...) de faire d'un bon nombre d'incroyants des chrétiens qui jusque à présent ne savaient pas qu'ils l'étaient. Mais je me suis toujours demandé, en pensant à ce que disait Renan, si en réalité le posmotdernisme n'a pas réussi, avant tout, à augmenter dans des proportions considérables l'armée des esprits faux et des politiques manqués."



Evidemment, tout cela n'empêche pas de se poser la question de l'évolution d'une religion - puisque les religions, qu'on le veuille ou non, évoluent.

D'une façon générale, ce livre entre autres qualités pousse chacun à assumer ce qu'il dit lorsqu'il évoque la religion - "Vous qui croyez, prenez vos responsabilités", lit-on dans le Coran. J'y reviendrai.


En attendant et pour finir, de Bouveresse passons aisément à Musil :

"Il doit vraiment y avoir eu quelque chose dans les époque passées (...), sinon il n'eût pas été possible que tant de gens convenables fussent d'accord avec [les pratiques du sacrifice et du cannibalisme]. Peut-être pourrions-nous exploiter cela sans faire de grands sacrifices ? Et peut-être ne sacrifions-nous aujourd'hui encore tant d'humains que parce que nous n'avons jamais posé clairement la question du véritable dépassement des idées primitives de l'homme. Ce sont là des problèmes obscurs et difficiles à exprimer."

"Je suis moi aussi très radical, à ma manière, et il n'est pas de désordre que je déteste plus que le désordre intellectuel. Je voudrais voir les idées non seulement élaborées, mais encore organisées. Je voudrais non seulement l'oscillation, mais la densité de l'idée."

L'homme sans qualités, ch. 102 et 103.

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