Evacuateurs et fouilleurs.
J'ai souvent pensé à ouvrir des sites parallèles, l'un consacré au rugby, l'autre à l'opéra : le fait que j'ai déjà du mal à m'occuper de ce café avec autant de soin que je le souhaiterais suffit à m'en dissuader. Contentons-nous donc brièvement, l'actualité aidant et s'il y en a que ça intéresse, à stigmatiser le manque d'intelligence ("situationnelle", disait-on dans le temps) des rugbymen français, incapables de changer de stratégie en cours de match, d'adresser notre petit salut de rigueur au bon professionnel qu'était Pavarotti, pas une lumière non plus d'ailleurs - ce qui fait qu'il était à son meilleur dans les personnages vaillants-mais-un-peu-cons : le duc de Mantoue, Otello, le prince Calaf (ce qu'il a fait de mieux ?) - avec une exception notable pour le Ricardo du Bal masqué (il est vrai tellement sympathique, intelligent, patriote, consciencieux, qu'il en devient vite un peu con).
Ces parenthèses fermées, continuons à faire travailler les autres, Léon Bloy en l'occurrence, à notre place. On comprendra sans peine ce qui me plaît dans ce passage anglophobe, scatologique et un rien misogyne :
"L'inexpiable guerre du Transvaal, qui a déshonoré tout un grand peuple, est le chef-d'oeuvre le plus authentique de cette concupiscence déchaînée, et les suites qu'on peut avoir dépassent en hideur atroce et mortelle ce que les poètes sont capables d'inventer.
Dix ou vingt mille hommes nourris comme des animaux sont encagés littéralement sur des périmètres immenses. Esclaves d'une compagnie minière qui ne permet pas même aux enfants de venir embrasser leurs pères, les misérables travaillent sans pardon à l'extraction du minerai diamantifère. Si, tentés par l'exorbitante valeur des pierres et l'apparente facilité de les dérober, quelques-uns succombent, ils doivent s'attendre à des châtiments affreux, si leurs maîtres les surprennent. Leur sang, alors, s'ajoute au torrent de sang préalablement répandu pour la conquête monstrueuse de ce pays, transformé en une colonie de l'enfer par l'avarice de quelques banquiers.
La surveillance y est diabolique. Il y a, ô mesdames, la chambre de purge ! Quand un de ces forçats plus ou moins volontaires est libéré, avant de sortir il lui faut passer par là. Car les malheureux en avalent quelquefois, de ces cailloux merveilleux qui valent des prairies et des forêts. Les mondaines parfumées, fières de leurs bijoux, peuvent, sans courbature d'imagination, évoquer ce riant décor. Evacuateurs et fouilleurs travaillent pour elles. L'éblouissement des mangeuses d'hommes et la réalisation de leurs plus beaux rêves est dans cette chambre. Leur parure est le rendement des deux équipes. Sans doute il y a eu du sang et il y en aura encore, c'est bien entendu, toujours du sang, puisque les douces femelles des tigres en demandent ; maintenant il y a cette autre chose que les chiens les plus superbes savent apprécier... !"
(Le Sang du Pauvre, X.) On est bien peu de chose !
Libellés : A. Hepburn, Bloy, nécrologie, Pavarotti, Puccini, rugby, Verdi
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