samedi 2 avril 2011

"Cela je l'affirme, comme le disait l’astrophysicien russe Tsiolkovsky, 1 + 1 = 2..."

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(Photo piquée à L'Organe.)


"And you know something is happening here, but you don't know what it is..."

Moi aussi je peux mettre des citations en anglais pour démarrer mes articles, ça fait cool. - Bref, dans la série les trous du cul ont la peau dure, que ceux qui avaient eu la chance de ne pas s'en rendre compte le sachent : après avoir fermé sa grande gueule durant quelques années, pour s'être trompé avec autant de constance que de véhémence dans l'inénarrable American Black Box, Maurice Dantec est de retour, et il est toujours aussi pénible.

Si vous avez du temps à perdre, vous pouvez lire ce texte sans queue ni tête, publié sur un site lui-même déprimant.

(quelle merde, ce Ring, tout ce que je déteste ou presque, les petits merdeux de droite même pas méchants et qui se croient drôles, avec le prétentieux salonnard Bilger pour caution « adulte », quelle pitié.

Avec l'âge on se rend compte qu'il est souvent plus aisé de parler avec un homme de droite qu'un homme de gauche, que le premier peut être plus ouvert à la discussion que le second, qui finit bien souvent par employer un argument d'autorité. Mais ce qui est vrai dans une conversation libre, sans témoins, ne vaut pas quand les droitards se retrouvent entre eux : on a l'impression que c'est alors à qui sera le con de droite le plus authentique.
)

Pour ceux qui veulent s'épargner ce pénible détour, voici quelques extraits et commentaires, qui ne feront que prouver que ma longue analyse de 2007 sur ce triste sire, si elle me semble, avec le recul, un peu lourde, visait parfaitement juste. En gros : Dantec est un charlatan. En détail, et sur son dernier texte : instruit par l'expérience et le ridicule d'avoir eu tort sur des points où il claironnait si fort, et avec tant d'agressivité, ses certitudes, il devient un peu plus prudent. Et ce qui motive cette réaction de ma part, je le précise, ce n'est pas le peu d'intérêt de l'oeuvre polémique de M. G. Dantec, mais les techniques rhétoriques qu'il utilise pour embrouiller son lecteur, techniques qu'il est toujours bon de signaler, tant on peut les retrouver ailleurs.

Ma thèse d'ensemble est simple : M. G. Dantec est le M. Defensa du pauvre. Là où celui-ci dépeint avec autant de justesse qu'il lui est possible la confusion actuelle du monde, celui-là croit pouvoir s'autoriser de cette confusion pour être confus - tout en sous-entendant qu'il est le seul à avoir tout compris.

Pour cela, autant prendre un concept vague, non défini, dont l'allure provocatrice et paradoxale est censée permettre de se prémunir contre les critiques trop précises : ainsi des « Chinois » qui se révoltent actuellement, au Maghreb et ailleurs. Un peu de métaphore, un peu de métaphysique marxisante, l'espoir qu'avec un peu de chance les Chinois de Chine se rebelleront aussi bientôt et viendront donner, rétrospectivement, un aspect prophétique à ce qui pour l'heure ne veut pas dire grand-chose, et permet surtout de mettre dans le même sac Tunisiens, Égyptiens, Libyens, Gazaouis, Syriens, etc., sans prendre trop la peine d'étudier les différences entre ces peuples -

voilà le procédé principal utilisé par M. Dantec pour pouvoir énoncer des généralités sans grand intérêt, qui se résument finalement à cette idée plutôt simple : « on ne sait pas trop ce que tout ça va donner ». Quelques tours de passe-passe stylistiques doivent aider à emballer l'affaire :

- la supposition gratuite, ça ne mange pas de pain :

"Cela je l’affirme, mais je ne suis pas un prosélyte d’occasion, les Chinois ont été le berceau de l’Islam, mais comme disait l’astrophysicien russe Tsiolkovsky, « qui a dit que l’Homme était fait pour rester au berceau ?». Un jour, les Chinois eux-mêmes convoqueront son nécessaire dépassement, et pour ce qui le concerne, une remise en question fondamentale des préceptes fondateurs du Coran, une analyse froide et objective d’où ce mixage improbable d’hérésies diverses les a conduits durant plus d’un millénaire, alors qu’ils le démontrent chaque jour depuis qu’ils ont décidé d’abattre leurs tyrans : ils sont probablement un des plus grands peuples du monde. S’ils étaient restés, ou devenus chrétiens, une Grande Europe unie et circumméditerranéenne existerait depuis le Moyen-âge, le berceau mésopotamien de la civilisation écrite intégré à la tête chercheuse technique des Celtes et des Germains gréco-romanisés."

Si mon père était ma mère... Ceci dit, pour qui a lu American Black Box, il est assez piquant de voir maintenant M. Dantec parler des musulmans, fussent-ils « Chinois », comme "probablement un des plus grands peuples du monde".

- la phrase qui ne veut rien dire mais qui en jette :

"Après s’en être pris à des employés de bureau hautement verticalisés [le 11 septembre], puis à des touristes parfaitement horizontalisés d’une discothèque balinaise…" ; notons au passage pour les curieux que la suite de cette phrase dénote une conception pour le moins laxiste de la grammaire. Mais Maurice Dantec est un grand écrivain, donc il doit avoir le droit de mal écrire.

- la polémique imprécise :

"Vous devez continuer d’être sacrifiés, en toute bonne conscience, pour les antisémitismes de tinettes jazzophiles et les ténias réconciliateurs-égalitaires…", un coup pour Nabe, un coup pour Soral, mis dans le même sac justement sur un point où ils ne sont pas d'accord, vraiment pas de chance.

- et bien sûr, c'est de bonne guerre, la précaution rhétorique à l'aide de laquelle on espère se prémunir contre les critiques :

"Les événements survenus ces tous [sic] derniers jours sembleraient vouloir contredire entièrement ce que je viens d’affirmer."

Ce qui ressemble plus à un aveu qu'autre chose.


Je m'arrête là, ça ne vaut pas plus d'efforts - d'autant que je dois avouer qu'un doute me taraude : et si c'était un gag ? Ce texte aurait paru le 1er avril, je me serais posé de sérieuses questions. C'est la spécificité de M. Dantec, finalement, ce en quoi il est bien de son époque : il est aussi grotesque que le serait sa parodie par un pasticheur malveillant.



Profitons maintenant d'avoir pris le temps de rouvrir ce comptoir, pour vous offrir une consommation d'un autre niveau. Je remets toujours au lendemain le début de la rédaction d'un texte sur Simone Weil, dont l'oeuvre me fascine mais me rend, pour ce qui est de l'analyser, aussi timide qu'un puceau devant les formes de Catherine Zeta-Jones. Sans doute cela vient-il de son intransigeance qui, si elle n'interdit pas la critique, vous pousse à ne pas vous lancer, même dans le plus simple compte-rendu de ses textes, sans avoir fait l'effort de vous hisser, sinon certes au même niveau qu'elle, du moins au-delà de vous-même ; ce n'est, par définition, pas aisé.

Cela heureusement n'empêche pas de lui laisser la parole, ni même, sans prétention, de croire retrouver au détour d'un de ses Cahiers une tension entre Durkheim et Musil à laquelle on est personnellement sensible :

"Destruction d'une cité, d'un peuple, d'une civilisation : quelle action mieux que celle-là donne à l'homme la fausse divinité ? Déjà tuer un homme, son semblable, l'élève [l'homme qui tue, pas l'homme tué] en imagination au-dessus de la mort. Mais tuer du social, ce social qui est au-dessus de nous, que nous ne pouvons jamais comprendre, qui nous contraint dans ce qui est presque le plus intérieur de nous-mêmes, qui imite le religieux au point de s'y confondre sauf discernement surnaturel."

Deux autres ?

"L'essence de Dieu n'est pas sujet, ni objet, mais pensée."

"La joie est le sentiment de la réalité." - Ou pourquoi Dantec est triste...

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