lundi 2 avril 2018

"Des migrations organisées..."

Morand, encore. Dans ses voyages notamment, c’est un auteur qu’il faut prendre au sérieux et à la légère, en même temps.

"Il faut du courage pour tirer les singes, et en général les animaux qui ne redoutent pas encore l’homme. Souvent, des singes blessés descendent des arbres en criant, et en pleurant vous montrent leur plaie. 

J…, consul de France, m’a raconté qu’un jour, au Guatemala, sur la côte du Pacifique, dans une jungle encore inexplorée, il avait lâché en pleine forêt vierge un coup de fusil et qu’aussitôt tous les oiseaux étaient accourus, curieux de ce bruit nouveau."

"A table, le trésorier payeur général discute avec un collègue le prix que son cuisinier noir paye ses épouses. Une femme, au Cameroun, sur la côte, s’achète parfois mille francs (ou du moins l’équivalent en têtes de bétail). Mais il suffit de remonter vers l’intérieur pour que les prix descendent bientôt jusqu’à cinquante francs. Ce qui rapporte aux hommes plus que la vente de leurs moitiés, c’est leur location, sous forme d’amende d’adultère. Pareille en cela au vieux droit saxon, encore appliqué par les tribunaux anglais et où toute offense se traduit par une indemnité, la coutume nègre permet au mari trompé d’exiger des dommages-intérêts. Beaucoup de Noirs ont douze femmes, réparties dans différents villages et, sur chacune, à tour de rôle, ils perçoivent la taxe d’adultère : d’où un joli revenu."

"Deux choses séparent les hommes : la langue et la couleur de la peau. Il me paraît cependant qu’on va vers l’unité : par suite des exodes généralisés, des migrations organisées, on arrivera bientôt à une seule couleur. Quant à la langue, je ne crois pas à l’avènement d’une langue unique ; le monde parlera d’ici peu, très incorrectement d’ailleurs, deux ou trois langues ; la langue natale pour les usages familiaux, sentimentaux, etc. ; la langue anglaise pour les rapports hors frontières ; les élites, qui veulent voir clair dans leurs idées, apprendront le français."


Sur ce dernier point, Morand n’a semble-t-il pas tort, puisque si l’éducation dite nationale semble tout faire pour affadir, diluer, massacrer notre langue et son subtil et irrésolu mélange de logique et de complexité parfois irrationnelle, les étrangers, eux, continuent à comprendre qu’elle a des potentialités d’analyse et de clarté exceptionnelles. Ce qui confirmerait l’intuition de certains déclinistes comme Jean de Viguerie : notre langue devient une sorte de nouveau latin, une langue morte mais supérieure aux langues vivantes, qui sert encore à transmettre des idées… - en attendant Godot ?