"Les jardins intérieurs sont supprimés". Balzac et Bernanos...

Rien de tel que de feuilleter un livre de Jean Clair pour se sentir de bonne humeur : 

"Les Illusions perdues : Balzac voit très justement ce « rapetissement » général de la vie dont Paris, plus que d’autres capitales d’Europe, commence de souffrir, jusqu’à ne plus offrir que des logis étroits, aux pièces exiguës et rares, aux plafonds bas, aux escaliers obscurs. 

La question semble l’avoir obsédé : il y revient dans ses Petits-bourgeois, en 1843 : la dégradation de l’urbanisme parisien accompagne le rétrécissement des moeurs : les vieux palais des XVIIe et XVIIIe siècle sont démolis pour faire place à des édifices à la façade maussade. On les divise en petits appartements, les plafonds sont abaissés, on réduit la hauteur des étages, les jardins intérieurs sont supprimés. Une nouvelle couche sociale a entamé la lente ascension vers les rentes, après la Révolution de 1830. Elle occupe les espaces laissés libres par la vieille bourgeoisie, par l’aristocratie de robe et par la noblesse ancienne. L’avidité mesquine de cette petite bourgeoisie ronge les milieux et les lieux qui gardaient encore le souci du decorum et l’aisance des époques écoulées. 

Bruxelles, Milan, Madrid, Berlin, ne connaîtront pas pareille dégradation et, aujourd’hui encore, conservent la jouissance de vastes logements aux proportions calculées sur la mesure humaine. Élever des enfants, recevoir des amis, posséder une bibliothèque, voire constituer une collection, n’est pas en ces villes accueillantes un problème insoluble. 

A l’inverse, la réduction de l’habitation à Paris, si nette après 1830, favorisera cette existence cellulaire et célibataire, racornie, moisie, étriquée, frileuse, qu’est l’existence d’un Parisien, qui cache ses quelques misérables biens, compte ses sous, et surtout ne reçoit guère. Elle se perpétuera de nos jours dans ces traits de lésine et de méfiance que les étrangers nous reprochent. Pareille mesquinerie se change à l’occasion en vindicte populaire…"

("Ne reçoit guère..." : recevoir chez soi, c'est donner aux autres, on est (ou plutôt, on n'est pas assez) dans le don/contre-don si fondamental.)

Le règne de l’envie - péché capital. Coupons, au propre ou au figuré, les têtes qui dépassent.  Pour être remplacé, il faut être remplaçable : les Français seront d’autant plus facilement remplacés qu’ils auront eux-mêmes effectué, depuis plus de deux siècles, une partie du boulot, en supprimant, faisant taire, ou avortant, au sens propre ou figuré, les personnalités les moins interchangeables, les moins remplaçables.