"Pour le pourboire et pour le coup de botte". Vallès vu par Bloy.
"Il a passé à sa vie à raconter cette chose inouïe : la misère d’un jeune homme ! Il est vrai qu’il offre une panacée qui n’est pas nouvelle, la panacée de Jean-Jacques et de Michelet : tous ouvriers. Voilà tout, absolument tout. Je viens d’avaler les trois volumes Charpentier et je consens à devenir moi-même Jules Vallès si on.y découvre autre chose. Cet arracheur de toutes les dents du crocodile social a jugé convenable de déclarer la guerre aux étudiants de Paris qu’il appelle « fils de bourgeois ». (…)
Bloy évoque les passages dans lesquels Vallès critique durement ses propres parents, puis :
Jamais, peut-être, le bourgeois n’avait été montré plus répugnant, plus abominable qu’il ne montre les auteurs de ses jours. Alors, pourquoi « fils de bourgeois » ? Pourquoi cette épithète de démarcation appliquée à toute une classe de jeunes gens d’extraction variée, dont quelques-uns, sans doute, ont la lâcheté de ne pas cracher sur leur mère, mais qui sont peut-être aussi pauvres qu’on puisse l’être sous l’oeil des chastes étoiles et qui ne feront pas fusiller à leur place d’infortunés porte-blouses pour se venger d’avoir traîné l’habit guenilleux du bachelier sans le sou ?
« Je suis peut-être né pour être domestique. » L’auteur de Vingtras pousse ce cri involontaire, ou plutôt il accable la société de cette ironie comme d’une montagne lancée par un Hécatonchyre. Je ne puis m’empêcher d’être persuadé que ce mot est l’expression stricte de la simple vérité.
Oui, Vallès, vous étiez né pour donner des assiettes et pour frotter les appartements. Peut-être même seriez-vous monté derrière la voiture, mais j’en doute, il faut des grâces que vous n’avez pas. Vous racontez que vous avez été beaucoup aimé des femmes, et c’est cette circonstance qui m’a éclairé sur votre véritable vocation.
Oui, Jules, vous êtes un déclassé de plus, le cent millième dans une société de déclassés. Voyez plutôt vos deux homonymes [Ferry et Grévy] du gouvernement. Ce sont vos frères, arrêtez-vous de leur lancer des excréments au visage. Ils étaient nés, comme vous, pour le pourboire et pour le coup de botte. Ils portent si bien ça sur leurs figures ! (…) Ces deux hommes d’État ont, comme vous, raté leur vocation, mais ils se sont résignés, l’un à être premier ministre et l’autre quasi empereur, tandis que vous manquez totalement de résignation.
Hélas ! vous auriez si bien décrotté les bottes de ces bourgeois dont vous conspuez la progéniture ! Tout me le prouve ! Votre physionomie de cordonnier sinistre, d’abord ; votre mépris absolu de l’art et du beau ; votre haine enragée de la misère, de la sainte misère qui eût fait de vous un homme si vous n’aviez pas eu, comme Richepin et tant d’autres, une âme de domestique ; votre adoration pour tout ce qui est médiocre et bas, adoration furieuse qui est votre vraie frénésie, et la dominante de votre nature ; enfin votre dextérité suprême quand il s’agit de se tirer des pieds, à des distances infinies de toute barricade, pendant que les pauvres diables qu’on a soûlés de rodomontades et de vociférations se font démolir la carcasse pour la plus grande gloire de vos idiotes et hypocrites rengaines de révolté."
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