jeudi 23 août 2018

"La pointe, ou L’Art du génie."

J’avais pensé, pour se changer un peu les idées, proposer à votre jugement quelques passages de la préface donnée par Marc Fumaroli à la première édition intégrale française du livre de B. Gracian, La pointe ou L’Art du génie (Arte de ingenio, Tratado de la agudeza, 1642 pour l’édition originale espagnole, 1648 pour l’édition définitive (rebaptisée Agudeza y Arte de ingenio)… et 1982 pour une traduction française en bonne et due forme). Il me semble qu’il sera plus rapide et efficace de commencer par vous retranscrire le début de l’introduction, par les deux traducteurs, Michèle Gendreau-Massaloux et Pierre Laurens. Ces lignes ont leur intérêt propre ; vous les faire connaître m’épargnera (je le souhaite) des commentaires laborieux les prochaines fois. 

"« Agudeza » (cf. italien « acutezza », du latin acutum) : non pas tant ici la « pointe d’esprit », ni même l’esprit de pointe, que la pointe de l’esprit, ce qu’il y a en lui de plus acéré, et pénétrant : angle aigu de l’intelligence, que les philosophes de la Renaissance (Bovelles) opposent à l’angle obtus de la mémoire, laquelle se recommande par sa capacité. L’acuité donc, mais justement le Dictionnaire de l’Académie, qui n’accueille « Pointe » qu’avec suspicion, n’a pas de place à l’époque pour le terme d’acuité. 

« Arte de Ingenio », l’Art du Génie : quelle autre traduction rendrait justice à l’ambition inouïe de l’auteur, saurait préserver l’acuité paradoxale de ce monstre de langage, oxymore né de l’association des deux concepts antithétiques de l’ars et de l’ingenium, la méthode qui enseigne une stratégie, et, naturelle et non transmissible, la force inventive (ingenio, genio, gigno) de l’esprit ? 

On voit quelle distance nous prenons d’emblée à l’égard des titres sous lesquels cette oeuvre, nouvelle encore dans notre langue, apparaît longtemps dans les catalogues de la librairie française : si la forme « Art de l’esprit » nous semble déjà faible, que dire de « Traité des pointes et Art du Bel esprit » et autres titres réducteurs qu’un certain « esprit français » a imposé à ce qui fut, surtout en dehors de nos frontières et d’abord en Espagne, mais parfois en France même, un « pari héroïque » sur le pouvoir poétique de l’esprit."


Voilà pour l’entrée en matières… Si vous pataugez un peu, ne vous en faîtes pas, nous débroussaillerons tout cela. Pour l’heure, il suffit de retenir qu’il va y avoir des histoires d’héroïsme et de conflit entre la France et l’Espagne ; que ceci a lieu autour de la notion de « Pointe », laquelle est une forme d’acmé ou de surgissement du génie improvisateur au sein d’un univers de règles. Ce surgissement par sa force et sa promptitude mettant tout le monde d’accord. Tout le monde ? Oui, tout le monde. Mais pas n'importe quel tout le monde. A suivre...