dimanche 16 décembre 2018

"Le ressort magnifique qui met tout en mouvement…."

Les frères Goncourt encore… Mais, pour commencer, eux-mêmes citent Montesquieu et les Lettres persanes

"Il n’y a personne qui n’ait quelque emploi à la Cour, dans Paris ou dans les provinces, qui n’ait une femme, par les mains de laquelle passent toutes les grâces et quelquefois les injustices, qu’il peut faire. Ces femmes ont toutes des relations les unes avec les autres, et forment une espèce de république, dont les membres toujours actifs se secourent et se servent mutuellement : c’est comme un nouvel état dans l’État ; et celui qui est à la Cour, à Paris et dans les provinces, qui voit agir des ministres, des magistrats, des prélats, s’il ne connaît les femmes qui les gouvernent, est comme un homme qui voit bien une machine qui joue, mais qui n’en connaît point les ressorts."

Et les Goncourt d’enchaîner : 

"La femme du XVIIIe siècle ne représente pas seulement la faveur et la fortune des lettres : elle personnifie encore la mode et le succès des arts. Ces grâces du temps, les arts, relèvent d’elles. Elle leur donne l’accord et le ton, elle les encourage et leur sourit. Elle fait de l’idéal avec son goût, leur vogue et leur approbation. Et de Watteau à Greuze, pas de grand nom s’élève, pas un génie n’est reconnu, s’il n’a eu le mérite de plaire à la femme, s’il n’a caressé, touché, flatté son regard et courtisé son sexe. La femme en effet n’est point seulement, depuis 1700 jusqu’en 1789, le ressort magnifique qui met tout en mouvement : elle semble une puissance d’ordre supérieur, la reine des pensées de la France. Elle est l’idée placée au haut de la société, vers laquelle les âmes sont tendues. Elle est la figure devant laquelle il faut qu’on s’agenouille, la forme qu’on adore. Tout ce qu’une religion attire à elle d’illusions, de prières, d’aspirations, d’élancements, de soumissions et de croyances, se tourne insensiblement vers la femme. La femme fait ce que fait la foi, elle remplit les esprits et les coeurs, et elle est, pendant que règnent Louis XV et Voltaire, ce qui met du ciel dans un siècle sans Dieu."


"Ce qui met du ciel dans un siècle sans Dieu."… Ponctuellement, les femmes certes peuvent mettre du ciel, que le monde soit ou non sans Dieu ; mais sur la durée, c’était trop leur demander, c’était, tout simplement, de l’idolâtrie - et le réel (synonyme de Dieu ? je vous laisse répondre) finit par reprendre ses droits, durant les événements tragiques de la fin du siècle. Événements dont on sait qu’ils ont opéré, pour le moins, un recentrage violent sur les valeurs masculines. J’arrête ici mes commentaires ; une citation de plus venue du même livre demain, et je vous fais, avec l’aide de l’auteur dudit livre, une petite synthèse tout de suite après.