"Sur le Tage, un jour de brouillard..."
Un peu dans la même lignée que la citation du Règne de la Quantité de Guénon vendredi dernier - je vous explique plus précisément ce qui me taraude d’ici peu -, quelques lignes extraites de la préface qu’Abellio écrivit pour le livre de Dominique de Roux sur la révolution des Oeillets, Le cinquième Empire (1977) :
"Dominique de Roux nous présente ici une vision romancée de la récente révolution portugaise telle qu’il l’a vécue, dans l’étrange climat d’irréalité où elle baigna. Toute révolution est un théâtre d’ombres, et celle-ci plus que toute autre abonda en personnages fantastiques et passagers, à l’imagination ardente et folle, qui crurent transformer en destin leur illusion du moment. Cette irréalité pourtant ne fut pas de leur seul fait, elle naquit de leur rencontre avec le lieu paradoxal de leur action, un Portugal immuable, fondamental, définitif, que cette modernité révolutionnaire de simple importation ne concernait pas. C’est en visionnaire transcendant l’histoire que Dominique de Roux oppose à ces constructions nouvelles et instables ce mythe du « Cinquième Empire » qui naquit en même temps que le Portugal indépendant, lorsque son premier roi, don Alfonso Henrique, fut proclamé sur le champ de bataille d’Ourique après sa victoire sur les Maures, en 1139, et que le Christ lui promit à cette occasion que son pays recevrait le royaume de la mer afin de transmettre le message universel de son Dieu. Cinquième Empire, mythe de ce Portugal lui-même universel, missionné pour l’éternité et désormais comme fondu dans l’immense étendue océanique de son rêve, non point pays de conquérants ou de bâtisseurs, mais de découvreurs, de messagers, de navigateurs sans fin tenant leur raison d’être et leur force de cette absence de fin. (…)
Toute l’histoire du Portugal témoigne de cette projection dans un futur aussi indéfini que les grandes navigations où ce peuple se chercha, ouvert sur la mer, non sur la terre, et comme parti pour un grand retour au plus lointain et pourtant au plus intime de soi. A la fin du XVe siècle, ce sont les Portugais de Jean II qui s’en allèrent en Éthiopie à la recherche du fabuleux royaume du Prêtre Jean, ce gardien du Graal venu d’Asie, roi caché et empereur du dernier jour, dont toute la chrétienté rêvait.
Eux encore - et ce « sébastianisme » est presque une religion populaire - qui attendent le retour glorieux de don Sébastian, le roi disparu dans la bataille d’Alcazar-Quivir contre les Maures en 1578, et dont on sait qu’il doit réapparaître sur le Tage un jour de brouillard. Personne n’a assisté à sa mort. On sait seulement qu’il a dit : « Mourir, oui, mais lentement. » Quant au Père Antonio Vieira, noble figure de missionnaire, un des plus grands écrivains portugais, il se mit, après la mort de Jean IV, en plein XVIIe siècle, à annoncer la résurrection de ce roi qui devait selon lui revenir pour fonder une monarchie chrétienne universelle sous l’égide du Portugal."
La suite de ce beau texte demain…
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