vendredi 25 octobre 2019

Droite des valeurs…

Au début du Recul de la mort, Paul Yonnet cite des lignes assez ridicules issues d’un livre trotskiste co-écrit par Michel « Cercle de Minuit » Field et Jean-Marie Brohm en 1975, Jeunesse et révolution, et rappelle ensuite quelques faits bruts : 

"1975, date de la publication de Jeunesse et révolution, n’est pas n’importe quelle date. David Cooper, apôtre de l’antipsychiatrie, vient de publier Mort de la famille, en Grande-Bretagne, puis, presque simultanément, en France. Et c’est dans un véritable bain de réjouissances funèbres qu’est annoncée autant que souhaitée « la mort de la famille », le grand thème de ces années où la jeunesse devient le premier des substituts au prolétariat défaillant de Mai 68. Mais c’est aussi l’avènement de Valéry Giscard d’Estaing à la présidence de la République, et avec lui celui du libéralisme sexuel et moral. En quelques nuits du 4 août mémorables, dès Giscard élu, une Assemblée nationale dominée par la droite vote avant la fin du mois de juin 1974 des lois autorisant le remboursement des contraceptifs, l’accès gratuit des mineurs aux moyens contraceptifs - hors la mise au courant ou la consultation de leurs parents - et le passage des majorités civique et civile de vingt et un à dix-huit ans. La légalisation de l’avortement (interruption volontaire de grossesse) fait l’objet d’un projet de loi gouvernemental déposé en novembre 1974. Cette fois, l’appui des parlementaires de gauche est nécessaire à la constitution d’une majorité d’idées : il n’en reste pas moins que c’est pour l’essentiel le texte proposé par l’exécutif, Giscard président, Chirac premier ministre, Simone Veil ministre de la Santé, qui est voté [un an avant la parution du livre de Field et Brohm, rappelle ici P. Yonnet en note]. Il y a certes une rupture, mais à ne pas surestimer, car le terrain a été préparé par les années Pompidou. En 1973, Pierre Messmer, le Premier ministre de Pompidou, a déposé un projet de loi libéralisant l’avortement. Jean Taittinger, ministre de la Justice, et Michel Poniatowski, ministre de la Sécurité sociale et de la Santé, en sont cosignataires. Après la loi du 28 décembre 1967 (dite « loi Neuwirth », du nom de son ardent promoteur et défenseur, à l’Assemblée nationale), qui a légalisé la mise en vente de produits contraceptifs et l’information contraceptive, le gouvernement de Jean-Jacques Chaban-Delmas [tous ces gens-là sont de parfaits gaullistes, note de AMG], également Premier ministre de Georges Pompidou, auprès duquel il a précédé Pierre Messmer, s’engage résolument dans l’application de la loi et la mise en place du maillage de l’Hexagone par un réseau de structures aptes à informer sur la contraception, mais aussi à délivrer des produits contraceptifs : c’est le décret du 24 avril 1972 qui définit les établissements d’information, de consultation et de conseil familial, ainsi que les centres de planification et d’éducation familiale. Il y a continuité avec le gouvernement de son successeur, qui, plus fermement encore, oriente définitivement l’action de l’État en ce sens. Messmer et Poniatowski font adopter la loi du 11 juillet 1973, qui porte création d’un Conseil supérieur de l’information sexuelle, de la régulation des naissances et de l’éducation familiale (CSIS). La séance inaugurale de ce Conseil a lieu en mars 1974, et Poniatowski, son président, est on ne peut plus clair sur la finalité de la politique du gouvernement : « Il est indispensable de rendre accessibles à tous les couples les techniques de la contraception » ! A l’Assemblée nationale, il s’est auparavant signalé par un long et vigoureux plaidoyer en faveur du développement de la contraception, face au député gaulliste Lucien Neuwirth (UDR), qui l’interrogeait sur cette dimension de l’action du gouvernement  (question d’actualité à l’Assemblée nationale, le 12 mai 1973). Point n’était besoin, on le voit, de « faire la révolution » [allusion au livre de Field et Brohm], puisque la majorité politique, de droite qui plus est, s’en chargeait. Et point n’était besoin, faut-il le préciser, de « faire la révolution en Occident capitaliste », puisque, presque partout dans les pays occidentaux démocratiques, l’avortement était légalisé, se légalisait ou allait se légaliser, la contraception médicalisée, autorisée, se diffusait, les majorités civique et civile, ou étaient abaissées, ou étaient en voie de l’être. Dans le temple du capitalisme et de la religion modernisée, aux États-Unis, la Cour suprême avait autorisé l’avortement le 22 janvier 1973, donnant une base légale aux États qui le pratiquaient déjà sans restriction (dont l’État de New York, où l’on avait procédé, depuis 1970, en deux ans et demi, à cinq cent mille avortements), et rendant caduques toutes les lois sur l’avortement qui l’interdisaient, au motif qu’elles violaient la Constitution américaine puisqu’elles transgressaient le droit de la femme à décider librement de mettre ou non un terme à une grossesse. 

La droite française (appuyée par la gauche et, parfois, sur la gauche) ne faisait là que poursuivre l’oeuvre de réformes fondamentales engagées depuis 1965, quand Jean Foyer [le bien nommé, ricane AMG] était le garde des Sceaux du gouvernement Pompidou, sous la férule du général de Gaulle. Le principe central de ces réformes était l’émancipation de la femme dans la famille, la mise à égalité des conditions juridiques de la femme et de l’homme, au-delà, dans la société. Ainsi, voilà cinq ans, lorsque Field et Brohm vitupèrent contre l’autoritarisme paternel, que la puissance paternelle a été transformée en autorité parentale (par la loi du 4 juin 1970, votée par cette fameuse chambre parlementaire justement issue d’une réaction de rejet de Mai 68), et qu’au surplus  l’autorité parentale est entièrement dévolue à la mère, en cas de naissance hors mariage, même si les deux parents ont conjointement reconnu l’enfant."

Etc., etc. Il n’y a donc dans ce processus aucune rupture entre gaullistes et libéraux giscardiens, même si certains gaullistes ont pu à titre individuel s’y opposer. 


Et ce serait évidemment mentir par omission que de ne pas rappeler (ce n’est pas le sujet de P. Yonnet) que les premières années de la présidence Giscard, avec ses « mémorables nuits du 4 août », sont aussi celles du regroupement familial… Fermez le ban !