Après l'Europe, la France.
(24.10. Ayant informé les intéressés de l'existence de ce texte, j'ai reçu quelques remarques de la part de Etienne Chouard. J'y réponds dans le post-scriptum. M. de la Hosseraye m'a de son côté fait savoir qu'il me ferait part de ses impressions d'ici quelque temps. 27.10. Compléments actualisés en fin de post-scriptum. Prolongements dans une note ultérieure).
"Je suis libre, délivrez-moi de la liberté !" (Claudel).
MM. Etienne Chouard et Thibaud de la Hosseraye ont été, sur Internet, les héros de la campagne référendaire. Ils se complétaient à cette époque presque parfaitement. Le premier, « citoyen de base », vous-et-moi, avait démarré un combat auquel rien ne semblait l’avoir préparé, qu’en tout cas il ne se doutait pas avoir à livrer quelques semaines auparavant et qui, ce n’est pas le moindre de ses mérites, ne l’a démonté ni découragé, au contraire. Le second, arrivé dans les dernières semaines de la bataille, apportait une lecture plus polémique et plus informée des enjeux proprement politiciens du référendum. Ce qui ne l’empêchait certes pas de se référer à quelques grands principes, de même que de son côté Etienne Chouard se mettait petit à petit à durcir le ton (il n’a pas cessé depuis). Mais enfin il y avait une vraie complémentarité. A travers des itinéraires et des tempéraments différents, E. Chouard et T. de la Hosseraye parvenaient au même résultat et vivaient les mêmes mésaventures de confrontation au mépris et au stalinisme du milieu politico-médiatique – subissant de la part de celui-ci ce que J.P. Voyer appela poétiquement un « si-je-t’attrape-je-t’encule » ; mésaventures qu’ils nous ont alors avec conviction fait partager.
Tous deux ont emporté la victoire que l’on sait le 29 mai. Tous deux, pour employer le vocabulaire d’Alain Badiou ont tenu à rester fidèles à l’événement de leur découverte de l’infamie de la classe politique française actuelle. A un mois d’intervalle – le 11 septembre pour M. de la Hosseraye, le 9 octobre pour M. Chouard – ils nous livrent des interventions plus constructives, respectivement : La voie française dans le monde qui vient et Les grands principes d’une bonne constitution. C'est bien le moins pour qui les a lus avec intérêt avant le référendum de leur être fidèle aujourd'hui, de continuer à les lire, et, pour qui a le temps, de leur répondre.
Prenant acte de ce que l'on ne peut plus désormais parler de complémentarité entre ces deux apprentis philosophes (l'expression n'a rien de péjoratif, dois-je le préciser), j'ai d'abord pensé bâtir mon analyse sur le modèle, toutes proportions gardées, d'un couple comme je les affectionne : Bossuet-Fénelon, Hegel-Marx, Durkheim-Mauss, Voyer-Badiou (quoique concernant ce tout dernier nom et même si je viens d’utiliser l'un de ses concepts j’ai peine à me séparer du soupçon, que j’espère injustifié, qu’il s’agisse d’un charlatan – talentueux et intéressant, mais tout de même un charlatan) [1]... L’intérêt de ces figures (on pourrait aussi remonter à saint Jean et saint Paul, voire aux rapports entre les deux Testaments, d'un point de vue chrétien tout au moins) est que chaque fois que l’on a l’impression que l’un des protagonistes a résolu le problème, l’autre pointe le bout de son nez pour faire surgir une difficulté – et réciproquement. Je me suis aperçu qu'une confrontation des deux textes de ce point de vue tournait court. Mais comme elle n'est pas néanmoins sans enseignement, c'est par elle que je commencerai. J'ai vite découvert aussi qu'à de nombreux niveaux je me situais résolument du côté de Thibaud de la Hosseraye : c'est donc depuis ce que je crois comprendre à son texte que je critiquerai certains aspects de celui d'Etienne Chouard - ce qui ne m'empêchera d'ailleurs pas de montrer que sur de nombreux autres aspects les deux hommes sont très proches.
M'a quelque peu induit en erreur sur la nature des rapports entre ces deux textes non tant le fait que MM. Chouard et de la Hosseraye ne sont pas d’accord sur de nombreux points et qu'ils ont manifestement, quoique plus ou moins explicitement, rédigé ces textes comme un dialogue entre eux, mais le fait que la confrontation de ces deux textes permet au moins de dresser le tableau non vraiment des solutions qui s’offrent à nous, que des problèmes que ces solutions posent ; et qu'à ce titre ils nous obligent à un va-et-vient de l'un à l'autre.
Précisons d'abord que M. Chouard pose les grands principes d’une constitution à mettre sur pied, si ce n’est par tous, du moins par de vrais représentants du peuple – ce pourquoi d’ailleurs on ne lui cherchera pas ici trop querelle sur des points de détails : il ne s’agit pas encore d’un projet systématique et abouti. M. de la Hosseraye, quant à lui rappelle les principes de la constitution existante, estimant que non seulement elle est parfaitement à même de nous guider encore longtemps, mais même qu’elle le sera de plus en plus, si du moins tout le monde, politiques et surtout citoyens, prend ses responsabilités.
Beaucoup des principes énoncés par Etienne Chouard me semblent discutables, les contre-pouvoirs qu’il appelle de ses vœux parfois illusoires, parfois certainement appelés à ne pas être plus efficaces que les garde-fous du même type qui existent dans la constitution actuelle [2] ; par rapport à ces insuffisances dont je ne sois pas sûr qu’elles soient seulement momentanées, Thibaud de la Hosseraye montre une grande cohérence dans le texte de Debré et de Gaulle – mais que l’on soit convaincu ou non par sa vision, l’on ne peut s’empêcher de penser que ce n’est pas un hasard s’il n’a pas un mot pour la façon dont on peut combler le gouffre entre ce qu’il dit de la constitution et la manière actuelle dont elle est appliquée (et par qui !). M. Chouard parle pour ses projets de réforme d’un "petit côté insurrectionnel" : il suffit de voir à quel point le régime actuel est pratiquement et intellectuellement verrouillé pour conclure que même dans l’optique de M. de la Hosseraye. seul quelque chose comme une "insurrection" peut sauver le régime qui le séduit tant – une sorte de restauration par le peuple d’une constitution gaullienne, sans Général ni qui que ce soit qui semble en mesure d’en jouer le rôle (Fabius, tout de même, bof…) : une mobilisation populaire a plus de chances d’être motivée par un changement de régime. Il est vrai que dès que j’écris ces lignes je me sens moins sûr de moi sur ce point : en réalité, le révolutionnaire, c’est peut-être Thibaud de la Hosseraye ! Car il est finalement plus imaginable que le peuple se mobilise en douceur pour une nouvelle constitution, dans laquelle on peut être sûr que les politiciens actuels, ou du moins dans un premier temps certains d’entre eux, parviendront à retrouver une bonne place, ne serait-ce qu’en avançant l’argument de leur compétence, ce qui signifie qu'ils peuvent encourager, et certains ont commencé à le faire, cette mobilisation en douceur ; mais si on veut les vider pour mettre de meilleurs hommes à leur place, puisque dans le régime actuel ils ont eu tout le temps de faire la preuve de leur incompétence, alors il faudra le faire manu militari (et même là il en restera toujours quelques-uns)… Peut-être que Thibaud de la Hosseraye l’a senti et n’a pas voulu en dire trop sur ce sujet.
Certes, dès que l’on fait des prévisions, on peut dire tout et son contraire. Revenons un peu en arrière. Je cherchais à montrer que M. Chouard montre une conscience plus aiguë que M. de la Hosseraye de la crise de régime qui est la nôtre, quitte à ce que ce que celui-là propose pour l’instant soit moins cohérent que ce que celui-ci voit dans la constitution gaullienne.
(J’ouvre ici une parenthèse. Je n’entrerai qu’exceptionnellement dans les détails juridiques. Non qu’ils soient inintéressants ou que je les maîtrise particulièrement mal, mais parce je les crois secondaires, que certainement ces thèmes nourriront la plupart des commentaires que ces auteurs se sont vus ou se verront adresser, et parce qu’il me semble qu’en réalité les deux auteurs, à ce niveau, tombent d’accord sur de nombreux sujets).
Tenons encore un peu l'hypothèse du "couple". Il est un point sur lequel Thibaud de la Hosseraye ne manque pas de pertinence, c’est quand il montre, dans une optique qui rappelle le Tocqueville de L'Ancien Régime et la Révolution, de quelle manière la Vème République s’inscrit dans une certaine histoire centralisatrice française, et comment ce centralisme colbertiste-jacobin-gaullien peut constituer un rempart contre l’indifférenciation capitaliste au niveau mondial. On n’en déduira pas pour autant, je crois que M. de la Hosseraye va un peu trop vite dans sa démonstration de ce point (section II.4), que le type de constitution auquel pense M. Chouard sera fatalement un cheval de Troie du capitalisme, et ce n’est certes pas sa volonté, mais M. de la Hosseraye pointe néanmoins avec acuité les dangers, dans le contexte actuel, d’un pouvoir uniquement parlementaire. S’inscrivant dans une certains histoire française, le régime actuel est peut-être plus générateur d’union nationale (mais l'est-il en ce moment ?) que ne le serait un régime parlementaire, dans lequel notre propension, par ailleurs louable, à nous disputer trouverait un terrain d’expression par trop fertile. Précisons d’ailleurs, pour aborder un peu le domaine juridique, que Etienne Chouard, qui est toujours à la louable recherche de contre-pouvoirs, confie un pouvoir presque exclusif au Parlement – et se garde bien de dire qui peut le dissoudre, et comment (section III-C). Thibaud de la Hosseraye a beau jeu de lui faire remarquer que dans la constitution actuelle, le fait que le président soit lui aussi élu au suffrage universel forme un contrepoids démocratique au Parlement – mais il peut sembler minimiser les problèmes posés par l’inféodation du Parlement à la présidence. Il est vrai que c’est aux députés à régler ce problème, s’ils y tiennent.
Certes M. de la Hosseraye, qui revendique le droit de ne pas se préoccuper de la genèse de la Vème République, fait l’impasse sur le poids des Etats-Unis dans l’histoire de la France depuis 1944, ainsi que dans le retour du Général au pouvoir en 1958. Mais il est en droit d’estimer que dans ces conditions de Gaulle a mis au point des institutions respectueuses des réflexes culturels français. Quoi qu’il en soit, à mon sens la question n’est pas tellement entre Vème et VIème République mais dans le fait de réussir à déterminer ce qui peut être le plus français en ce moment. Français, ce n’est pas une qualité en soi, oh non, mais c’est ce sur quoi il faut insister en ce moment, comme je le fais de temps à autre sur ce blog, parce que ce qui attaque ce qui reste de l’identité française est très clairement ce contre quoi il faut lutter – l’impérialisme culturel et financier capitaliste. Que "choisir" alors entre des institutions imparfaites mais « françaises » - mais aussi noyautées très tôt par l’atlantisme, dont le moins que l’on puisse dire est qu’il n’est guère affaibli dans les rangs des hommes politiques ; et une nouvelle constitution peut-être voulue directement par le peuple mais (je passe sur la faisabilité) qui risque de noyer l’universel français dans un syncrétisme finalement très capitaliste, ou qui profiterait fatalement, par défaut, au capitalisme.
Je n’ai pas de religion faite sur cette question, mais il me semble que la formuler ainsi est plus pertinent que l’alternative Vème-VIème République. D'un point de vue très général, la question du bon régime, tant que l’on ne dépasse pas certaines limites, me semble assez accessoire, moins importante en tout cas que l’efficacité de ce régime. Mais quoi qu'il en soit, dans le cas présent, il serait bien sûr d'un réductionnisme éminemment médiatique de ne poser le problème qu'en termes de numéro de république, l'éventuelle impossibilité de changer de régime pouvant conduire à légitimer un statu quo qui n'a pas fait ses preuves (j'ai déjà cité cette phrase de Karl Kraus : "L'état dans lequel nous vivons signifie vraiment que le monde sombre : il est stable.").
Ceci dit, revenons à nos deux moutons, et abandonnons ici notre fil conducteur d’une tension entre eux. Ce qui suit ne sera plus va-et-vient, mais constats de différences et de ressemblances.
Les différences. Je l'ai annoncé en introduction, peut-être est-ce sensible dans ce qui précède, à de nombreux égards je me sens plus proche de l'état d'esprit de Thibaud de la Hosseraye que de celui d'Etienne Chouard. Que l'on n'y lise pas en creux un portrait perfide ce celui-ci, mais j'apprécie notamment chez celui-là sa façon de lier souci de la continuité (historique, politique...) et volonté d'ouverture aux autres et à l'avenir. Je vais m'efforcer d'expliciter cela en critiquant certains aperçus de M. Chouard - qui certes propose (ou semble proposer ?) plus de choses que son alter ego - du point de vue de Thibaud de la Hosseraye (rappelons que la mise en ligne des Grands principes... est postérieure d'un mois à celle de Quel avenir...).
Une précision tout de même : je vais ici prendre pour acquis certains points en réalité sujets à discussion, de même d'ailleurs que "l'identité française" évoquée plus haut sans autre forme de précaution. Je réserve à un texte ultérieur une discussion sur ces notions - cela tournera autour de l'égalitarisme et confrontera notamment Thibaud de la Hosseraye et Philippe Muray. Mais chaque chose en son temps : pour le niveau d'analyse où je me situe ici, je peux rester approximatif sur ces points pour moi si difficiles.
Rien ne peut plus donner raison aux déclarations patriotiques de Thibaud de la Hosseraye, rien ne peut plus accréditer ses doutes sur la possibilité d'une constitution universellement valable, objectif déclaré d'Etienne Chouard, au moins au niveau des principes généraux, que ce que l'on peut déceler d'idéologique dans certaines des idées de celui-ci. Je vais évoquer ici la section IV : "Autres principes", dans laquelle l'auteur s'éloigne de l'univers juridique. M. Chouard n'aime pas la guerre. Moi non plus. Il a lu les descriptions d'Arnaud Montebourg sur la façon dont notre Président peut en Afrique nous engager dans des guerres sans même nous en informer - marqué par la découverte de la Françafrique, ce n'est pas moi qui vais le contredire sur ce sujet. Mais de ces deux points inférer que la guerre est toujours une chose négative et qu'elle ne peut se faire qu'après un accord du peuple obtenu par référendum, c'est à la fois méconnaître qu'on ne peut toujours choisir de faire la guerre et qu'il faut parfois se décider très vite. Etienne Chouard avait été jusqu'à prévoir que dans ces référendums, les femmes, "moins va-t-en-guerre que les hommes, plus respectueuses de la vie" pourraient disposer de deux voix chacune - il a depuis retiré cette idée de son texte, aussi ne m'acharnerai-je pas outre mesure à ce sujet, mais cela dénotait tout de même une curieuse conception de la démocratie, d'autant plus étonnante chez un homme qui a démarré sa croisade parce qu'il sentait à quel point le TCE le dépossédait de son pouvoir de choix au profit d'options décidées par avance.
On en dira autant du principe 6 : "Aucun marchand de canons ne devrait pouvoir être candidat à des fonctions électives ni avoir de responsabilité politique." Outre que cela n'empêche en rien, on le sait bien, la corruption des politiciens par ces marchands de canon, c'est de la pure et simple discrimination, une forme d'apartheid.
Et presque autant de l'idée d'"institutionnaliser la beauté des villes et des campagnes". Qu'est-ce que "la beauté" ? Protéger l'environnement est une chose, dont on est libre d'ailleurs de discuter l'importance, mais décréter quelque chose sur la beauté en est une autre. Je n'aime pas les grandes tours et les clapiers, c'est entendu, mais M. Chouard me semble ici aller trop loin.
Je reviens un instant sur le principe des deux votes par femme en cas de possibilité de guerre - où Etienne Chouard a-t-il appris que les femmes n'aimaient pas la guerre ? En est-il si sûr ? Est-ce scientifiquement prouvé, est-ce vrai de toute éternité et pour toujours ? Il y a chez lui une tendance à croire trop aisément universalisables ses propres vérités qui ne peut que gêner.
Le principe 7, relatif à la laïcité, le montre encore : était-il vraiment nécessaire de le faire précéder d'une déclaration tenant "les trois religions monothéistes pour largement responsables des malheurs de l'humanité" ? Outre que ceci est bien injuste à l'égard des Juifs, qui jusqu'à la naissance d'Israël (et encore la part de la religion ici, je ne parle pas de la confession, est-elle difficile à évaluer précisément) n'ont pas vraiment eu la possibilité de "martyriser" grand-monde, M. Chouard, qui aime tant la beauté des villes et des campagnes, devrait se demander si ces trois religions n'ont pas aussi quelque peu contribué, au moins, à l'histoire de la beauté artistique...
Le cas de Thibaud de la Hosseraye, qui justifie le principe de laïcité par la liberté d'aborder les gens sans rien savoir d'intime à propos d'eux et donc par la liberté qu'on a de les découvrir et qu'ils ont de nous donner à savoir de telles choses, cette façon de voir montre que l'on peut très bien légitimer la laïcité sans tomber dans la dévalorisation de la religion ni légitimer le bellicisme fanatique.
Ici comme ailleurs, par des chemins différents les deux utopistes revendiqués arrivent à des conclusions analogues.
Sur le sujet le plus à la mode, le Référendum d'initiative populaire (ou citoyenne) - dont, quant à moi, je ne pense strictement rien -, M. de la Hosseraye ne fait que mettre en garde contre ses dangers comme clé qui ouvre toutes les portes, montre qu'il y a déjà à l'heure actuelle d'autres clés. Il ne s'oppose pas au principe en tant que tel.
Sur la représentativité, MM. Chouard et de la Hosseraye butent, comme toute la philosophie politique avant eux (et là encore ce n'est pas un commentaire dépréciatif) sur ses apories, que je résumerai à la truelle : la représentation, ça ne veut rien dire, c'est la porte ouverte à la dépossession de soi, mais on ne peut faire sans. Thibaud de la Hosseraye note néanmoins que c'est un signe de maturité de se laisser représenter par quelqu'un d'autre, de même lui faire confiance au point qu'il puisse être en désaccord avec vous. Cette conception, qu'il me semble découvrir, n'élimine pas pour autant la possibilité que le représentant ne trahisse purement et simplement le représenté. Mais elle évite de partir à la recherche d'une transparence absolue dans leurs rapports. M. Chouard soulève de son côté la possibilité d'un tirage au sort des représentants politiques - mais s'ils sont incompétents, ne trouvera-t-on pas toujours des éminences grises pour les "aider" ?
Sur l'égalité, on notera avec intérêt que les deux hommes, là encore dans la lignée d'un Tocqueville, évitent la dichotomie artificielle avec la liberté - dichotomie dont il n'est pas difficile de repérer l'origine. M. Chouard place l'égalité en premier, M. de la Hosseraye élabore des liens plus dialectiques, mais cette différence me semble d'autant moins importante que les deux se rejoignent pour célébrer aussi, dans ce contexte, la fraternité et le respect mutuel.
Les points communs entre les deux textes se sont encore accentués depuis que, dans la version datée du 20 octobre, M. Chouard a présenté une théorie du droit de propriété qui n'est pas sans analogie avec celle que l'on trouve chez M. de la Hosseraye, même si celui-ci insiste plus sur le partage. Je me permets d'ailleurs de noter que cela fait penser au texte de Marx dans le Manifeste, où il précise qu'il ne s'agit pas pour les communistes de détruire la propriété en tant que telle, mais la propriété bourgeoise. A ma connaissance, Marx n'est pas beaucoup plus précis que cela, mais on peut trouver un écho à ces préoccupations dans ces textes.
Finalement, à part la question (cardinale, évidemment) de l'élection du Président au suffrage universel, déjà évoquée plus haut, le véritable point de désaccord explicite sur les questions purement constitutionnelles entre les deux hommes réside dans l'estimation de l'importance du mode de scrutin aux élections législatives : M. Chouard estime qu'un scrutin majoritaire mâtiné de proportionnelle peut assurer à la fois un Parlement représentatif et une majorité stable, M. de la Hosseraye estime qu'en absence de Président élu sur un programme le Parlement, quel que soit le mode de scrutin et la majorité, pourra toujours trouver à se déchirer entre partis, alliances et trahisons. Il se peut qu'il ait raison, mais, répétons-le, il n'explique pas pour autant l'actuelle domination du Parlement par le Président.
Evoquer deux textes relatifs à des problèmes constitutionnels sans aborder réellement les questions juridiques a pu laisser le lecteur sur sa faim ; mais c'est tout simplement qu'il m'a semblé que malgré les déclarations de ces deux auteurs sur l'importance de l'organisation politique, l'essentiel à la fois en général et de ce qui les sépare n'est pas d'ordre institutionnel. Thibaud de la Hosseraye est-il catholique ? Je l'ignore, cela ne me regarde pas, mais outre qu'il cite Pascal, Péguy, évoque Bernanos, sa vision d'un achèvement mutuel et réciproque de chacun par chacun, sa conscience du poids de l'histoire, son ambition pour le futur, tout cela m'évoque parmi le meilleur du catholicisme. Quoi qu'il en soit, je crois surtout que Thibaud de la Hosseraye a plus le sens de la communauté qu'Etienne Chouard, qui d'ailleurs, par son insistance sur le respect et sa réflexion sur les limites du droit de propriété dans la seconde version de son texte, semble décidé à combler cette lacune. Ceci n'enlève d'ailleurs rien au fait que M. de la Hosseraye ne propose rien de bien concret - mais moi non plus -, ni qu'il soit peut-être, hélas, trop optimiste sur la persistance d'un "être-français" lorsqu'il claironne - en son propre nom ou au nom des autres ?-, dans sa conclusion : "Nos politiques n'ont aucune idée des sacrifices, y compris financiers, auxquels nous sommes disposés, nous le peuple tout entier de France. pourvu que la raison en soit claire et conforme, jusque dans leurs modalités d'application, à l'incroyable défi d'une République pour le monde qui est le nôtre."
Je viens d'évoquer "le poids de l'histoire" : le catholicisme a une longue histoire que je ne prétends pas bien connaître. Mais j'espère, dans le texte que j'ai déjà annoncé, l'explorer du point de vue si important de l'égalitarisme - ce qui veut dire aussi étudier l'égalitarisme d'un point de vue catholique. Car enfin - je pense entre autres à l'allusion de M. de la Hosseraye aux Français venus du Maghreb -, est-il si nécessaire de se tourner vers l'Islam pour trouver trace d'une communauté d'égaux ?
1.
Résumons de manière très lapidaire ces oppositions : foi collective - foi individuelle ; "idéalisme absolu" - "matérialisme historique" ; la société expliquée par la société - la société expliquée pas seulement par la société ; lutte politique individuelle - lutte politique minoritaire mais collective.
2.
En particulier, on pourrait développer l'histoire du Conseil Constitutionnel, qui a sans doute joué bien plus un rôle de contre-pouvoir que ne le dit Etienne Chouard, du moins jusqu'à ce que le libidineux mitterandien (pléonasme ?) Roland Dumas n'en prenne la présidence et ne ruine la légitimité de cette institution.
PS du 24.10.
D'abord, je signale à M. de la Hosseraye qu'il ne cite pas ses sources concernant les propos du Général.
Mais venons-en tout de suite aux remarques et objections que me fait M. Chouard.
Il précise tout d'abord qu'il n'a rien contre la Vème République si l'on parvient à la réformer "en profondeur" - possibilité à laquelle il ne semble pas donner grand crédit.
Sur ma critique de sa discrimination des marchands d'armes, il est choqué par le terme d'apartheid. Je le crois pourtant juste si on le prend dans un sens large, et cela ne signifie nullement que j'aie le moindre respect pour des gens qui gagnent leur vie de cette manière. Mais encore une fois, je ne vois pas ce que les interdire d'éligibilité peut changer aux possibilités de pots-de-vins, de prévarication, d'hommes de pailles... Et il vaut toujours mieux ne pas donner à ses adversaires des raisons de jouer les martyrs. Ceci posé, cette querelle, qui ne concerne qu'un détail, peut amener à rappeler que ces marchands d'armes jouent un rôle important dans la richesse française et qu'il faudra peut-être un jour que cela change. Ce sera à coup sûr un heureux événement.
Ensuite, si je comprends bien M. Chouard, je me serais emballé dans ma critique de son "institutionnalisation" de la beauté. Il évoque en effet les obligations actuelles des architectes d'être "cohérents avec l'existant" et y voit une possible définition "minimaliste" de la beauté. Si l'on en reste là, très bien. Je rappelle néanmoins que les zones industrielles n'ont pas grand-chose à faire avec la beauté et que l'on sera encore longtemps obligé de faire avec. Cela ne justifie pas tous les abus, mais bon, s'il y a des coins moches ici et là, cela ne me semble pas bien grave - et qui sait s'ils n'acquéreront pas du charme avec le temps ?
Sur l'idée de M. de la Hosseraye selon laquelle laisser une responsabilité aux élus est un signe de maturité, Etienne Chouard insiste fortement sur la nécessité de les contrôler - je n'ai pas dit le contraire, et je ne pense pas que ce soit le cas de M. de la Hosseraye. Il reste qu'il faut se méfier des contrôles permanents et que les élus doivent tout de même avoir une marge d'action.
Venons-en maintenant aux vrais et importants points de désaccord.
La guerre. M. Chouard me rappelle qu'il avait insisté dans son texte sur l'exception à l'obligation d'un référendum avant toute guerre, exception prévue dans le cas d'une agression. J'aurais dû préciser que je n'étais pas d'accord avec cette restriction : il y a des cas où il faut se décider rapidement même sans agression directe (dois-je préciser que je ne pense pas à l'Irak ?). Attaquer l'Allemagne en 1938 ou au début 1939 n'aurait pas donné les mêmes événements que d'avoir attendu qu'elle nous agresse (mais probablement plus de morts du côté français). Et ce que pense le peuple en la matière n'est pas nécessairement le bon choix : sans doute les Français auraient-ils refusé de se battre en 1938. De même et a contrario nos ancêtres furent-ils ravis d'aller se coltiner avec les Allemands en 1914. Je ne cite pas ses exemples dans le but de démontrer qu'il ne sert à rien de demander leur avis aux gens avant une guerre, mais parce que je crois que ce qu'ils pensent alors n'est pas nécessairement le bon choix. M. Chouard n'apprécie pas que je parle de "guerre positive" - cela ne m'enchante pas non plus à dire vrai, et bien sûr ces guerres sont rares, mais je maintiens que c'est un cas envisageable.
Plus généralement, il faut prendre conscience que la guerre n'est pas la même chose pour tout le monde. Il est bien évident que, en Europe, personne n'a très envie d'aller se faire trouer la peau sans une très bonne raison, mais un pays riche comme le nôtre ne fait pas la guerre comme avant ou comme un pays pauvre : il bombarde. Il me semble que si la guerre a pu être quelque chose de tragique certes, mais aussi parfois de grand, cela a cessé le jour où certains des combattants (et ceux qui les commandent) n'ont plus pris les mêmes risques que leurs ennemis - donc quand une supériorité aérienne manifeste permettait de massacrer - comme par hasard, souvent des civils - sans trop de danger. Il n'y a pas à s'étonner que les Américains soient va-t-en-guerre, puisque dans leur histoire ils n'ont que peu vécu de "vrais" conflits (et s'ils se sont montrés victorieux sur les rochers du pacifique contre les Japonais, avant d'employer la plus grande arme de destruction massive jamais inventée, ils se sont pris une belle rouste dans les forêts vietnamiennes). Ce qui signifie que ces gens-là, et certains Européens, peuvent très bien être pour une guerre, puisque justement ils n'en subiront pas les conséquences (cf. le Kosovo). Après, évidemment, quand des métros explosent, on râle - mais là n'est pas tout à fait le sujet.
Tout ceci, je le répète, non pas vraiment contre Etienne Chouard, mais pour apporter d'importantes nuances à son discours.
La religion. D'abord, concernant l'Etat d'Israël, M. Chouard me rappelle ses méfaits envers les Palestiniens. Loin de moi l'idée de les nier, je constatais juste que du point de vue de "l'histoire universelle", les Juifs ont tout de même très largement moins massacré de gens que les Chrétiens et les Musulmans, et encore au début n'était-ce sans doute pas par fanatisme religieux. Il est vrai que chaque jour ils se rattrapent un peu plus.
Ensuite, il évoque à juste titre toutes les horreurs dont les religions se sont rendues coupables. Là encore, je ne les oublie pas - et j'aurais certainement dû les évoquer dans mon texte. Simplement, c'est du passé : d'une part il n'y a donc pas besoin de s'acharner sur ce qui est fait, d'autre part on ne peut vraiment y trier le bon grain de l'ivraie : la religion catholique est notre héritage, nous ne pouvons faire autrement que l'assumer. L'assumer, cela ne veut pas dire revenir en arrière, s'interdire de porter un jugement, répéter les erreurs de nos ancêtres : cela veut dire ne pas se croire si différents d'eux. Ce qu'à ma manière, certes en l'occurrence trop lapidaire, je faisais remarquer en notant que l'on peut aussi justifier le principe de laïcité du point de vue de gens religieux.
Enfin, M. Chouard ne comprend pas ma phrase : "une nouvelle constitution peut-être voulue directement par le peuple mais (...) qui risque de noyer l’universel français dans un syncrétisme finalement très capitaliste, ou qui profiterait fatalement, par défaut, au capitalisme." C'est effectivement un point nodal, et je ne prétends pas avoir résolu cette difficulté. J'ai d'ailleurs signalé qu'à ce sujet je trouvais la démonstration de M. de la Hosseraye trop rapide. Il reste que , d'une part, la voie française vers l'égalité passe peut-être par un président-roi (il faudrait d'ailleurs insister sur sa force symbolique... - une autre fois), et que d'autre part et surtout, si le système parlementaire qu'il cherche à mettre au point débouche sur du désordre, ce sont les forces dominantes de la société qui prendront le relais - et ces forces, en ce moment, ce sont notamment les grands groupes industriels - d'armement, de presse... certes encouragés par la façon dont fonctionne actuellement la Vème République. On voit que je ne crois pas cette question résolue. Et encore laisserai-je de côté la possibilité que les constituants populaires réunis pondent un très mauvais texte - qui sait ?
J'achève sur un point de détail : M. Chouard dans sa lettre précise les conditions de dissolution du Parlement, ce que je lui avais reproché de ne pas faire. J'avoue n'avoir pas bien réussi à comprendre ce qu'il m'écrit à ce sujet : dans la mesure où il m'annonce qu'il va y revenir dans ses Grands principes..., je signale ce point pour mémoire, en attendant d'y voir plus clair. (27.10) Dans la version la plus récente, M. Chouard prévoit la dissolution soit par RIP, ce qui est cohérent (mais pose toujours le même type de problème : avec cette épée de Damoclès, le Parlement peut-il prendre des risques ? Et ne visera-t-il pas toujours à satisfaire les catégories de population les plus influentes ?), soit par le premier ministre, ce qui me semble plus contradictoire, puisque la légitimité de celui-ci ne repose que sur sa désignation par le Parlement - d'où l'avantage d'un Président qui a lui aussi une légitimité populaire.
Autre sujet : je découvre dans une note qui doit dater du 20.10 l'idée de faire voter les adultes pour leurs enfants, "ce qui constituerait un argument de poids pour une politique nataliste." Après avoir rappelé pour mémoire que cette idée a traîné à une époque du côté de M. Le Pen - ce qui n'est pas suffisant à mes yeux pour la disqualifier, précisons-le -, dénonçons cette proposition scandaleusement discriminatoire à l'égard des laiderons, des impuissants et des misanthropes, de ceux qui n'ont pas les moyens de faire plus d'un enfant, de ceux qui font des enfants en nombre impair (si comme E. Chouard on a quatre enfants, il est aisé de se répartir les votes, mais si jamais il y avait tentation d'un cinquième... Qui prend le troisième vote pour lui ?)... Chassez le diable de la discrimination par la porte, il revient toujours par la fenêtre !
Voilà. A suivre ?
"Je suis libre, délivrez-moi de la liberté !" (Claudel).
MM. Etienne Chouard et Thibaud de la Hosseraye ont été, sur Internet, les héros de la campagne référendaire. Ils se complétaient à cette époque presque parfaitement. Le premier, « citoyen de base », vous-et-moi, avait démarré un combat auquel rien ne semblait l’avoir préparé, qu’en tout cas il ne se doutait pas avoir à livrer quelques semaines auparavant et qui, ce n’est pas le moindre de ses mérites, ne l’a démonté ni découragé, au contraire. Le second, arrivé dans les dernières semaines de la bataille, apportait une lecture plus polémique et plus informée des enjeux proprement politiciens du référendum. Ce qui ne l’empêchait certes pas de se référer à quelques grands principes, de même que de son côté Etienne Chouard se mettait petit à petit à durcir le ton (il n’a pas cessé depuis). Mais enfin il y avait une vraie complémentarité. A travers des itinéraires et des tempéraments différents, E. Chouard et T. de la Hosseraye parvenaient au même résultat et vivaient les mêmes mésaventures de confrontation au mépris et au stalinisme du milieu politico-médiatique – subissant de la part de celui-ci ce que J.P. Voyer appela poétiquement un « si-je-t’attrape-je-t’encule » ; mésaventures qu’ils nous ont alors avec conviction fait partager.
Tous deux ont emporté la victoire que l’on sait le 29 mai. Tous deux, pour employer le vocabulaire d’Alain Badiou ont tenu à rester fidèles à l’événement de leur découverte de l’infamie de la classe politique française actuelle. A un mois d’intervalle – le 11 septembre pour M. de la Hosseraye, le 9 octobre pour M. Chouard – ils nous livrent des interventions plus constructives, respectivement : La voie française dans le monde qui vient et Les grands principes d’une bonne constitution. C'est bien le moins pour qui les a lus avec intérêt avant le référendum de leur être fidèle aujourd'hui, de continuer à les lire, et, pour qui a le temps, de leur répondre.
Prenant acte de ce que l'on ne peut plus désormais parler de complémentarité entre ces deux apprentis philosophes (l'expression n'a rien de péjoratif, dois-je le préciser), j'ai d'abord pensé bâtir mon analyse sur le modèle, toutes proportions gardées, d'un couple comme je les affectionne : Bossuet-Fénelon, Hegel-Marx, Durkheim-Mauss, Voyer-Badiou (quoique concernant ce tout dernier nom et même si je viens d’utiliser l'un de ses concepts j’ai peine à me séparer du soupçon, que j’espère injustifié, qu’il s’agisse d’un charlatan – talentueux et intéressant, mais tout de même un charlatan) [1]... L’intérêt de ces figures (on pourrait aussi remonter à saint Jean et saint Paul, voire aux rapports entre les deux Testaments, d'un point de vue chrétien tout au moins) est que chaque fois que l’on a l’impression que l’un des protagonistes a résolu le problème, l’autre pointe le bout de son nez pour faire surgir une difficulté – et réciproquement. Je me suis aperçu qu'une confrontation des deux textes de ce point de vue tournait court. Mais comme elle n'est pas néanmoins sans enseignement, c'est par elle que je commencerai. J'ai vite découvert aussi qu'à de nombreux niveaux je me situais résolument du côté de Thibaud de la Hosseraye : c'est donc depuis ce que je crois comprendre à son texte que je critiquerai certains aspects de celui d'Etienne Chouard - ce qui ne m'empêchera d'ailleurs pas de montrer que sur de nombreux autres aspects les deux hommes sont très proches.
M'a quelque peu induit en erreur sur la nature des rapports entre ces deux textes non tant le fait que MM. Chouard et de la Hosseraye ne sont pas d’accord sur de nombreux points et qu'ils ont manifestement, quoique plus ou moins explicitement, rédigé ces textes comme un dialogue entre eux, mais le fait que la confrontation de ces deux textes permet au moins de dresser le tableau non vraiment des solutions qui s’offrent à nous, que des problèmes que ces solutions posent ; et qu'à ce titre ils nous obligent à un va-et-vient de l'un à l'autre.
Précisons d'abord que M. Chouard pose les grands principes d’une constitution à mettre sur pied, si ce n’est par tous, du moins par de vrais représentants du peuple – ce pourquoi d’ailleurs on ne lui cherchera pas ici trop querelle sur des points de détails : il ne s’agit pas encore d’un projet systématique et abouti. M. de la Hosseraye, quant à lui rappelle les principes de la constitution existante, estimant que non seulement elle est parfaitement à même de nous guider encore longtemps, mais même qu’elle le sera de plus en plus, si du moins tout le monde, politiques et surtout citoyens, prend ses responsabilités.
Beaucoup des principes énoncés par Etienne Chouard me semblent discutables, les contre-pouvoirs qu’il appelle de ses vœux parfois illusoires, parfois certainement appelés à ne pas être plus efficaces que les garde-fous du même type qui existent dans la constitution actuelle [2] ; par rapport à ces insuffisances dont je ne sois pas sûr qu’elles soient seulement momentanées, Thibaud de la Hosseraye montre une grande cohérence dans le texte de Debré et de Gaulle – mais que l’on soit convaincu ou non par sa vision, l’on ne peut s’empêcher de penser que ce n’est pas un hasard s’il n’a pas un mot pour la façon dont on peut combler le gouffre entre ce qu’il dit de la constitution et la manière actuelle dont elle est appliquée (et par qui !). M. Chouard parle pour ses projets de réforme d’un "petit côté insurrectionnel" : il suffit de voir à quel point le régime actuel est pratiquement et intellectuellement verrouillé pour conclure que même dans l’optique de M. de la Hosseraye. seul quelque chose comme une "insurrection" peut sauver le régime qui le séduit tant – une sorte de restauration par le peuple d’une constitution gaullienne, sans Général ni qui que ce soit qui semble en mesure d’en jouer le rôle (Fabius, tout de même, bof…) : une mobilisation populaire a plus de chances d’être motivée par un changement de régime. Il est vrai que dès que j’écris ces lignes je me sens moins sûr de moi sur ce point : en réalité, le révolutionnaire, c’est peut-être Thibaud de la Hosseraye ! Car il est finalement plus imaginable que le peuple se mobilise en douceur pour une nouvelle constitution, dans laquelle on peut être sûr que les politiciens actuels, ou du moins dans un premier temps certains d’entre eux, parviendront à retrouver une bonne place, ne serait-ce qu’en avançant l’argument de leur compétence, ce qui signifie qu'ils peuvent encourager, et certains ont commencé à le faire, cette mobilisation en douceur ; mais si on veut les vider pour mettre de meilleurs hommes à leur place, puisque dans le régime actuel ils ont eu tout le temps de faire la preuve de leur incompétence, alors il faudra le faire manu militari (et même là il en restera toujours quelques-uns)… Peut-être que Thibaud de la Hosseraye l’a senti et n’a pas voulu en dire trop sur ce sujet.
Certes, dès que l’on fait des prévisions, on peut dire tout et son contraire. Revenons un peu en arrière. Je cherchais à montrer que M. Chouard montre une conscience plus aiguë que M. de la Hosseraye de la crise de régime qui est la nôtre, quitte à ce que ce que celui-là propose pour l’instant soit moins cohérent que ce que celui-ci voit dans la constitution gaullienne.
(J’ouvre ici une parenthèse. Je n’entrerai qu’exceptionnellement dans les détails juridiques. Non qu’ils soient inintéressants ou que je les maîtrise particulièrement mal, mais parce je les crois secondaires, que certainement ces thèmes nourriront la plupart des commentaires que ces auteurs se sont vus ou se verront adresser, et parce qu’il me semble qu’en réalité les deux auteurs, à ce niveau, tombent d’accord sur de nombreux sujets).
Tenons encore un peu l'hypothèse du "couple". Il est un point sur lequel Thibaud de la Hosseraye ne manque pas de pertinence, c’est quand il montre, dans une optique qui rappelle le Tocqueville de L'Ancien Régime et la Révolution, de quelle manière la Vème République s’inscrit dans une certaine histoire centralisatrice française, et comment ce centralisme colbertiste-jacobin-gaullien peut constituer un rempart contre l’indifférenciation capitaliste au niveau mondial. On n’en déduira pas pour autant, je crois que M. de la Hosseraye va un peu trop vite dans sa démonstration de ce point (section II.4), que le type de constitution auquel pense M. Chouard sera fatalement un cheval de Troie du capitalisme, et ce n’est certes pas sa volonté, mais M. de la Hosseraye pointe néanmoins avec acuité les dangers, dans le contexte actuel, d’un pouvoir uniquement parlementaire. S’inscrivant dans une certains histoire française, le régime actuel est peut-être plus générateur d’union nationale (mais l'est-il en ce moment ?) que ne le serait un régime parlementaire, dans lequel notre propension, par ailleurs louable, à nous disputer trouverait un terrain d’expression par trop fertile. Précisons d’ailleurs, pour aborder un peu le domaine juridique, que Etienne Chouard, qui est toujours à la louable recherche de contre-pouvoirs, confie un pouvoir presque exclusif au Parlement – et se garde bien de dire qui peut le dissoudre, et comment (section III-C). Thibaud de la Hosseraye a beau jeu de lui faire remarquer que dans la constitution actuelle, le fait que le président soit lui aussi élu au suffrage universel forme un contrepoids démocratique au Parlement – mais il peut sembler minimiser les problèmes posés par l’inféodation du Parlement à la présidence. Il est vrai que c’est aux députés à régler ce problème, s’ils y tiennent.
Certes M. de la Hosseraye, qui revendique le droit de ne pas se préoccuper de la genèse de la Vème République, fait l’impasse sur le poids des Etats-Unis dans l’histoire de la France depuis 1944, ainsi que dans le retour du Général au pouvoir en 1958. Mais il est en droit d’estimer que dans ces conditions de Gaulle a mis au point des institutions respectueuses des réflexes culturels français. Quoi qu’il en soit, à mon sens la question n’est pas tellement entre Vème et VIème République mais dans le fait de réussir à déterminer ce qui peut être le plus français en ce moment. Français, ce n’est pas une qualité en soi, oh non, mais c’est ce sur quoi il faut insister en ce moment, comme je le fais de temps à autre sur ce blog, parce que ce qui attaque ce qui reste de l’identité française est très clairement ce contre quoi il faut lutter – l’impérialisme culturel et financier capitaliste. Que "choisir" alors entre des institutions imparfaites mais « françaises » - mais aussi noyautées très tôt par l’atlantisme, dont le moins que l’on puisse dire est qu’il n’est guère affaibli dans les rangs des hommes politiques ; et une nouvelle constitution peut-être voulue directement par le peuple mais (je passe sur la faisabilité) qui risque de noyer l’universel français dans un syncrétisme finalement très capitaliste, ou qui profiterait fatalement, par défaut, au capitalisme.
Je n’ai pas de religion faite sur cette question, mais il me semble que la formuler ainsi est plus pertinent que l’alternative Vème-VIème République. D'un point de vue très général, la question du bon régime, tant que l’on ne dépasse pas certaines limites, me semble assez accessoire, moins importante en tout cas que l’efficacité de ce régime. Mais quoi qu'il en soit, dans le cas présent, il serait bien sûr d'un réductionnisme éminemment médiatique de ne poser le problème qu'en termes de numéro de république, l'éventuelle impossibilité de changer de régime pouvant conduire à légitimer un statu quo qui n'a pas fait ses preuves (j'ai déjà cité cette phrase de Karl Kraus : "L'état dans lequel nous vivons signifie vraiment que le monde sombre : il est stable.").
Ceci dit, revenons à nos deux moutons, et abandonnons ici notre fil conducteur d’une tension entre eux. Ce qui suit ne sera plus va-et-vient, mais constats de différences et de ressemblances.
Les différences. Je l'ai annoncé en introduction, peut-être est-ce sensible dans ce qui précède, à de nombreux égards je me sens plus proche de l'état d'esprit de Thibaud de la Hosseraye que de celui d'Etienne Chouard. Que l'on n'y lise pas en creux un portrait perfide ce celui-ci, mais j'apprécie notamment chez celui-là sa façon de lier souci de la continuité (historique, politique...) et volonté d'ouverture aux autres et à l'avenir. Je vais m'efforcer d'expliciter cela en critiquant certains aperçus de M. Chouard - qui certes propose (ou semble proposer ?) plus de choses que son alter ego - du point de vue de Thibaud de la Hosseraye (rappelons que la mise en ligne des Grands principes... est postérieure d'un mois à celle de Quel avenir...).
Une précision tout de même : je vais ici prendre pour acquis certains points en réalité sujets à discussion, de même d'ailleurs que "l'identité française" évoquée plus haut sans autre forme de précaution. Je réserve à un texte ultérieur une discussion sur ces notions - cela tournera autour de l'égalitarisme et confrontera notamment Thibaud de la Hosseraye et Philippe Muray. Mais chaque chose en son temps : pour le niveau d'analyse où je me situe ici, je peux rester approximatif sur ces points pour moi si difficiles.
Rien ne peut plus donner raison aux déclarations patriotiques de Thibaud de la Hosseraye, rien ne peut plus accréditer ses doutes sur la possibilité d'une constitution universellement valable, objectif déclaré d'Etienne Chouard, au moins au niveau des principes généraux, que ce que l'on peut déceler d'idéologique dans certaines des idées de celui-ci. Je vais évoquer ici la section IV : "Autres principes", dans laquelle l'auteur s'éloigne de l'univers juridique. M. Chouard n'aime pas la guerre. Moi non plus. Il a lu les descriptions d'Arnaud Montebourg sur la façon dont notre Président peut en Afrique nous engager dans des guerres sans même nous en informer - marqué par la découverte de la Françafrique, ce n'est pas moi qui vais le contredire sur ce sujet. Mais de ces deux points inférer que la guerre est toujours une chose négative et qu'elle ne peut se faire qu'après un accord du peuple obtenu par référendum, c'est à la fois méconnaître qu'on ne peut toujours choisir de faire la guerre et qu'il faut parfois se décider très vite. Etienne Chouard avait été jusqu'à prévoir que dans ces référendums, les femmes, "moins va-t-en-guerre que les hommes, plus respectueuses de la vie" pourraient disposer de deux voix chacune - il a depuis retiré cette idée de son texte, aussi ne m'acharnerai-je pas outre mesure à ce sujet, mais cela dénotait tout de même une curieuse conception de la démocratie, d'autant plus étonnante chez un homme qui a démarré sa croisade parce qu'il sentait à quel point le TCE le dépossédait de son pouvoir de choix au profit d'options décidées par avance.
On en dira autant du principe 6 : "Aucun marchand de canons ne devrait pouvoir être candidat à des fonctions électives ni avoir de responsabilité politique." Outre que cela n'empêche en rien, on le sait bien, la corruption des politiciens par ces marchands de canon, c'est de la pure et simple discrimination, une forme d'apartheid.
Et presque autant de l'idée d'"institutionnaliser la beauté des villes et des campagnes". Qu'est-ce que "la beauté" ? Protéger l'environnement est une chose, dont on est libre d'ailleurs de discuter l'importance, mais décréter quelque chose sur la beauté en est une autre. Je n'aime pas les grandes tours et les clapiers, c'est entendu, mais M. Chouard me semble ici aller trop loin.
Je reviens un instant sur le principe des deux votes par femme en cas de possibilité de guerre - où Etienne Chouard a-t-il appris que les femmes n'aimaient pas la guerre ? En est-il si sûr ? Est-ce scientifiquement prouvé, est-ce vrai de toute éternité et pour toujours ? Il y a chez lui une tendance à croire trop aisément universalisables ses propres vérités qui ne peut que gêner.
Le principe 7, relatif à la laïcité, le montre encore : était-il vraiment nécessaire de le faire précéder d'une déclaration tenant "les trois religions monothéistes pour largement responsables des malheurs de l'humanité" ? Outre que ceci est bien injuste à l'égard des Juifs, qui jusqu'à la naissance d'Israël (et encore la part de la religion ici, je ne parle pas de la confession, est-elle difficile à évaluer précisément) n'ont pas vraiment eu la possibilité de "martyriser" grand-monde, M. Chouard, qui aime tant la beauté des villes et des campagnes, devrait se demander si ces trois religions n'ont pas aussi quelque peu contribué, au moins, à l'histoire de la beauté artistique...
Le cas de Thibaud de la Hosseraye, qui justifie le principe de laïcité par la liberté d'aborder les gens sans rien savoir d'intime à propos d'eux et donc par la liberté qu'on a de les découvrir et qu'ils ont de nous donner à savoir de telles choses, cette façon de voir montre que l'on peut très bien légitimer la laïcité sans tomber dans la dévalorisation de la religion ni légitimer le bellicisme fanatique.
Ici comme ailleurs, par des chemins différents les deux utopistes revendiqués arrivent à des conclusions analogues.
Sur le sujet le plus à la mode, le Référendum d'initiative populaire (ou citoyenne) - dont, quant à moi, je ne pense strictement rien -, M. de la Hosseraye ne fait que mettre en garde contre ses dangers comme clé qui ouvre toutes les portes, montre qu'il y a déjà à l'heure actuelle d'autres clés. Il ne s'oppose pas au principe en tant que tel.
Sur la représentativité, MM. Chouard et de la Hosseraye butent, comme toute la philosophie politique avant eux (et là encore ce n'est pas un commentaire dépréciatif) sur ses apories, que je résumerai à la truelle : la représentation, ça ne veut rien dire, c'est la porte ouverte à la dépossession de soi, mais on ne peut faire sans. Thibaud de la Hosseraye note néanmoins que c'est un signe de maturité de se laisser représenter par quelqu'un d'autre, de même lui faire confiance au point qu'il puisse être en désaccord avec vous. Cette conception, qu'il me semble découvrir, n'élimine pas pour autant la possibilité que le représentant ne trahisse purement et simplement le représenté. Mais elle évite de partir à la recherche d'une transparence absolue dans leurs rapports. M. Chouard soulève de son côté la possibilité d'un tirage au sort des représentants politiques - mais s'ils sont incompétents, ne trouvera-t-on pas toujours des éminences grises pour les "aider" ?
Sur l'égalité, on notera avec intérêt que les deux hommes, là encore dans la lignée d'un Tocqueville, évitent la dichotomie artificielle avec la liberté - dichotomie dont il n'est pas difficile de repérer l'origine. M. Chouard place l'égalité en premier, M. de la Hosseraye élabore des liens plus dialectiques, mais cette différence me semble d'autant moins importante que les deux se rejoignent pour célébrer aussi, dans ce contexte, la fraternité et le respect mutuel.
Les points communs entre les deux textes se sont encore accentués depuis que, dans la version datée du 20 octobre, M. Chouard a présenté une théorie du droit de propriété qui n'est pas sans analogie avec celle que l'on trouve chez M. de la Hosseraye, même si celui-ci insiste plus sur le partage. Je me permets d'ailleurs de noter que cela fait penser au texte de Marx dans le Manifeste, où il précise qu'il ne s'agit pas pour les communistes de détruire la propriété en tant que telle, mais la propriété bourgeoise. A ma connaissance, Marx n'est pas beaucoup plus précis que cela, mais on peut trouver un écho à ces préoccupations dans ces textes.
Finalement, à part la question (cardinale, évidemment) de l'élection du Président au suffrage universel, déjà évoquée plus haut, le véritable point de désaccord explicite sur les questions purement constitutionnelles entre les deux hommes réside dans l'estimation de l'importance du mode de scrutin aux élections législatives : M. Chouard estime qu'un scrutin majoritaire mâtiné de proportionnelle peut assurer à la fois un Parlement représentatif et une majorité stable, M. de la Hosseraye estime qu'en absence de Président élu sur un programme le Parlement, quel que soit le mode de scrutin et la majorité, pourra toujours trouver à se déchirer entre partis, alliances et trahisons. Il se peut qu'il ait raison, mais, répétons-le, il n'explique pas pour autant l'actuelle domination du Parlement par le Président.
Evoquer deux textes relatifs à des problèmes constitutionnels sans aborder réellement les questions juridiques a pu laisser le lecteur sur sa faim ; mais c'est tout simplement qu'il m'a semblé que malgré les déclarations de ces deux auteurs sur l'importance de l'organisation politique, l'essentiel à la fois en général et de ce qui les sépare n'est pas d'ordre institutionnel. Thibaud de la Hosseraye est-il catholique ? Je l'ignore, cela ne me regarde pas, mais outre qu'il cite Pascal, Péguy, évoque Bernanos, sa vision d'un achèvement mutuel et réciproque de chacun par chacun, sa conscience du poids de l'histoire, son ambition pour le futur, tout cela m'évoque parmi le meilleur du catholicisme. Quoi qu'il en soit, je crois surtout que Thibaud de la Hosseraye a plus le sens de la communauté qu'Etienne Chouard, qui d'ailleurs, par son insistance sur le respect et sa réflexion sur les limites du droit de propriété dans la seconde version de son texte, semble décidé à combler cette lacune. Ceci n'enlève d'ailleurs rien au fait que M. de la Hosseraye ne propose rien de bien concret - mais moi non plus -, ni qu'il soit peut-être, hélas, trop optimiste sur la persistance d'un "être-français" lorsqu'il claironne - en son propre nom ou au nom des autres ?-, dans sa conclusion : "Nos politiques n'ont aucune idée des sacrifices, y compris financiers, auxquels nous sommes disposés, nous le peuple tout entier de France. pourvu que la raison en soit claire et conforme, jusque dans leurs modalités d'application, à l'incroyable défi d'une République pour le monde qui est le nôtre."
Je viens d'évoquer "le poids de l'histoire" : le catholicisme a une longue histoire que je ne prétends pas bien connaître. Mais j'espère, dans le texte que j'ai déjà annoncé, l'explorer du point de vue si important de l'égalitarisme - ce qui veut dire aussi étudier l'égalitarisme d'un point de vue catholique. Car enfin - je pense entre autres à l'allusion de M. de la Hosseraye aux Français venus du Maghreb -, est-il si nécessaire de se tourner vers l'Islam pour trouver trace d'une communauté d'égaux ?
1.
Résumons de manière très lapidaire ces oppositions : foi collective - foi individuelle ; "idéalisme absolu" - "matérialisme historique" ; la société expliquée par la société - la société expliquée pas seulement par la société ; lutte politique individuelle - lutte politique minoritaire mais collective.
2.
En particulier, on pourrait développer l'histoire du Conseil Constitutionnel, qui a sans doute joué bien plus un rôle de contre-pouvoir que ne le dit Etienne Chouard, du moins jusqu'à ce que le libidineux mitterandien (pléonasme ?) Roland Dumas n'en prenne la présidence et ne ruine la légitimité de cette institution.
PS du 24.10.
D'abord, je signale à M. de la Hosseraye qu'il ne cite pas ses sources concernant les propos du Général.
Mais venons-en tout de suite aux remarques et objections que me fait M. Chouard.
Il précise tout d'abord qu'il n'a rien contre la Vème République si l'on parvient à la réformer "en profondeur" - possibilité à laquelle il ne semble pas donner grand crédit.
Sur ma critique de sa discrimination des marchands d'armes, il est choqué par le terme d'apartheid. Je le crois pourtant juste si on le prend dans un sens large, et cela ne signifie nullement que j'aie le moindre respect pour des gens qui gagnent leur vie de cette manière. Mais encore une fois, je ne vois pas ce que les interdire d'éligibilité peut changer aux possibilités de pots-de-vins, de prévarication, d'hommes de pailles... Et il vaut toujours mieux ne pas donner à ses adversaires des raisons de jouer les martyrs. Ceci posé, cette querelle, qui ne concerne qu'un détail, peut amener à rappeler que ces marchands d'armes jouent un rôle important dans la richesse française et qu'il faudra peut-être un jour que cela change. Ce sera à coup sûr un heureux événement.
Ensuite, si je comprends bien M. Chouard, je me serais emballé dans ma critique de son "institutionnalisation" de la beauté. Il évoque en effet les obligations actuelles des architectes d'être "cohérents avec l'existant" et y voit une possible définition "minimaliste" de la beauté. Si l'on en reste là, très bien. Je rappelle néanmoins que les zones industrielles n'ont pas grand-chose à faire avec la beauté et que l'on sera encore longtemps obligé de faire avec. Cela ne justifie pas tous les abus, mais bon, s'il y a des coins moches ici et là, cela ne me semble pas bien grave - et qui sait s'ils n'acquéreront pas du charme avec le temps ?
Sur l'idée de M. de la Hosseraye selon laquelle laisser une responsabilité aux élus est un signe de maturité, Etienne Chouard insiste fortement sur la nécessité de les contrôler - je n'ai pas dit le contraire, et je ne pense pas que ce soit le cas de M. de la Hosseraye. Il reste qu'il faut se méfier des contrôles permanents et que les élus doivent tout de même avoir une marge d'action.
Venons-en maintenant aux vrais et importants points de désaccord.
La guerre. M. Chouard me rappelle qu'il avait insisté dans son texte sur l'exception à l'obligation d'un référendum avant toute guerre, exception prévue dans le cas d'une agression. J'aurais dû préciser que je n'étais pas d'accord avec cette restriction : il y a des cas où il faut se décider rapidement même sans agression directe (dois-je préciser que je ne pense pas à l'Irak ?). Attaquer l'Allemagne en 1938 ou au début 1939 n'aurait pas donné les mêmes événements que d'avoir attendu qu'elle nous agresse (mais probablement plus de morts du côté français). Et ce que pense le peuple en la matière n'est pas nécessairement le bon choix : sans doute les Français auraient-ils refusé de se battre en 1938. De même et a contrario nos ancêtres furent-ils ravis d'aller se coltiner avec les Allemands en 1914. Je ne cite pas ses exemples dans le but de démontrer qu'il ne sert à rien de demander leur avis aux gens avant une guerre, mais parce que je crois que ce qu'ils pensent alors n'est pas nécessairement le bon choix. M. Chouard n'apprécie pas que je parle de "guerre positive" - cela ne m'enchante pas non plus à dire vrai, et bien sûr ces guerres sont rares, mais je maintiens que c'est un cas envisageable.
Plus généralement, il faut prendre conscience que la guerre n'est pas la même chose pour tout le monde. Il est bien évident que, en Europe, personne n'a très envie d'aller se faire trouer la peau sans une très bonne raison, mais un pays riche comme le nôtre ne fait pas la guerre comme avant ou comme un pays pauvre : il bombarde. Il me semble que si la guerre a pu être quelque chose de tragique certes, mais aussi parfois de grand, cela a cessé le jour où certains des combattants (et ceux qui les commandent) n'ont plus pris les mêmes risques que leurs ennemis - donc quand une supériorité aérienne manifeste permettait de massacrer - comme par hasard, souvent des civils - sans trop de danger. Il n'y a pas à s'étonner que les Américains soient va-t-en-guerre, puisque dans leur histoire ils n'ont que peu vécu de "vrais" conflits (et s'ils se sont montrés victorieux sur les rochers du pacifique contre les Japonais, avant d'employer la plus grande arme de destruction massive jamais inventée, ils se sont pris une belle rouste dans les forêts vietnamiennes). Ce qui signifie que ces gens-là, et certains Européens, peuvent très bien être pour une guerre, puisque justement ils n'en subiront pas les conséquences (cf. le Kosovo). Après, évidemment, quand des métros explosent, on râle - mais là n'est pas tout à fait le sujet.
Tout ceci, je le répète, non pas vraiment contre Etienne Chouard, mais pour apporter d'importantes nuances à son discours.
La religion. D'abord, concernant l'Etat d'Israël, M. Chouard me rappelle ses méfaits envers les Palestiniens. Loin de moi l'idée de les nier, je constatais juste que du point de vue de "l'histoire universelle", les Juifs ont tout de même très largement moins massacré de gens que les Chrétiens et les Musulmans, et encore au début n'était-ce sans doute pas par fanatisme religieux. Il est vrai que chaque jour ils se rattrapent un peu plus.
Ensuite, il évoque à juste titre toutes les horreurs dont les religions se sont rendues coupables. Là encore, je ne les oublie pas - et j'aurais certainement dû les évoquer dans mon texte. Simplement, c'est du passé : d'une part il n'y a donc pas besoin de s'acharner sur ce qui est fait, d'autre part on ne peut vraiment y trier le bon grain de l'ivraie : la religion catholique est notre héritage, nous ne pouvons faire autrement que l'assumer. L'assumer, cela ne veut pas dire revenir en arrière, s'interdire de porter un jugement, répéter les erreurs de nos ancêtres : cela veut dire ne pas se croire si différents d'eux. Ce qu'à ma manière, certes en l'occurrence trop lapidaire, je faisais remarquer en notant que l'on peut aussi justifier le principe de laïcité du point de vue de gens religieux.
Enfin, M. Chouard ne comprend pas ma phrase : "une nouvelle constitution peut-être voulue directement par le peuple mais (...) qui risque de noyer l’universel français dans un syncrétisme finalement très capitaliste, ou qui profiterait fatalement, par défaut, au capitalisme." C'est effectivement un point nodal, et je ne prétends pas avoir résolu cette difficulté. J'ai d'ailleurs signalé qu'à ce sujet je trouvais la démonstration de M. de la Hosseraye trop rapide. Il reste que , d'une part, la voie française vers l'égalité passe peut-être par un président-roi (il faudrait d'ailleurs insister sur sa force symbolique... - une autre fois), et que d'autre part et surtout, si le système parlementaire qu'il cherche à mettre au point débouche sur du désordre, ce sont les forces dominantes de la société qui prendront le relais - et ces forces, en ce moment, ce sont notamment les grands groupes industriels - d'armement, de presse... certes encouragés par la façon dont fonctionne actuellement la Vème République. On voit que je ne crois pas cette question résolue. Et encore laisserai-je de côté la possibilité que les constituants populaires réunis pondent un très mauvais texte - qui sait ?
J'achève sur un point de détail : M. Chouard dans sa lettre précise les conditions de dissolution du Parlement, ce que je lui avais reproché de ne pas faire. J'avoue n'avoir pas bien réussi à comprendre ce qu'il m'écrit à ce sujet : dans la mesure où il m'annonce qu'il va y revenir dans ses Grands principes..., je signale ce point pour mémoire, en attendant d'y voir plus clair. (27.10) Dans la version la plus récente, M. Chouard prévoit la dissolution soit par RIP, ce qui est cohérent (mais pose toujours le même type de problème : avec cette épée de Damoclès, le Parlement peut-il prendre des risques ? Et ne visera-t-il pas toujours à satisfaire les catégories de population les plus influentes ?), soit par le premier ministre, ce qui me semble plus contradictoire, puisque la légitimité de celui-ci ne repose que sur sa désignation par le Parlement - d'où l'avantage d'un Président qui a lui aussi une légitimité populaire.
Autre sujet : je découvre dans une note qui doit dater du 20.10 l'idée de faire voter les adultes pour leurs enfants, "ce qui constituerait un argument de poids pour une politique nataliste." Après avoir rappelé pour mémoire que cette idée a traîné à une époque du côté de M. Le Pen - ce qui n'est pas suffisant à mes yeux pour la disqualifier, précisons-le -, dénonçons cette proposition scandaleusement discriminatoire à l'égard des laiderons, des impuissants et des misanthropes, de ceux qui n'ont pas les moyens de faire plus d'un enfant, de ceux qui font des enfants en nombre impair (si comme E. Chouard on a quatre enfants, il est aisé de se répartir les votes, mais si jamais il y avait tentation d'un cinquième... Qui prend le troisième vote pour lui ?)... Chassez le diable de la discrimination par la porte, il revient toujours par la fenêtre !
Voilà. A suivre ?
Libellés : Badiou, Chouard, Claudel, de Gaulle, Hosseraye, Kraus, marx, Muray, Tocqueville, Voyer
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