Bien peu de chose.
Au détour d’une page acerbe du livre de M. Fumaroli, dans laquelle il épingle le film consacré par S. Coppola à Marie-Antoinette, on lit que la réalisatrice "reprend à son compte la légende noire de la reine et même le prétendu adultère avec Fersen."
L’ouvrage de Marc Fumaroli date de 2015, celui d’Emmanuel de Waresquiel, Juger la reine, de 2016. Dans celui-ci, la liaison de Marie-Antoinette avec l’aristocrate suédois est décrite comme un fait avéré, et non comme une rumeur. Les deux livres ont été écrits à peu de temps d’intervalle, E. de Waresquiel ne présente pas du tout ce qu’il raconte comme une révélation ou une découverte que le reste de la profession serait supposé valider, il faut donc en déduire qu'il est sûr que l’un des deux auteurs se trompe. Il s’agit probablement de M. Fumaroli, qui se contente de cette remarque incidente, quand E. de Waresquiel fournit de nombreuses informations sur les rapports de Fersen et de Marie-Antoinette, l’appartement qu’il avait à côté de celui du couple royal, la façon dont il avait organisé la fuite de Varennes, ses très nombreux efforts pour sauver son amie de la mort, le tout avec extraits de leur correspondance à l’appui, extraits où il n’est certes pas explicitement évoqué de coït, de gâterie ou d’orgasme, mais il faut tenir compte aussi bien de l’époque que du statut des épistoliers…
L’information en elle-même est tout sauf négligeable, étant donnée l’importance politique en cette fin d’Ancien Régime du corps du roi et de la reine - a fortiori du corps de celle-ci, si souvent dépeinte dans des pamphlets comme nymphomane, lesbienne, etc., le tout parfois avec des gravures qui, elles, n’hésitent pas à représenter sans la moindre ambiguïté pénétrations et autres douceurs. Il me serait d’ailleurs facile de vérifier ce qu’il en est, je connais bien un bon spécialiste de « l’Autrichienne ». Pour autant, si je vous parle de cela aujourd’hui, c’est parce que j’ai été frappé de voir à quel point, sur une question donc non négligeable, deux bons esprits, deux autorités (M. Fumaroli serait-il plus historien des lettres qu’historien tout court), en qui j’ai moi-même assez confiance pour les citer à ce comptoir à plusieurs reprises, peuvent être en désaccord, avec des formulations aussi péremptoires l’un que l’autre. Continuons à supposer que c’est l’auteur de Mundus muliebris qui ici se trompe, le lecteur de son livre, s’il n’a pas de raison précise de vérifier cette assertion présentée comme une évidence, lui fera confiance et gardera avec lui, peut-être pour des années, une idée fausse.
Et ce raisonnement peut bien sûr être généralisé à des questions plus immédiatement politiques, pour un Français de 2019, que celle de savoir si oui ou non Marie-Antoinette avait effectivement, au moins avec un amant, trompé le Roi. Que d’erreurs ou d’approximations trimbalons-nous ainsi avec nous sans le savoir, qui influencent nos jugements, nos comportements, nos votes, etc. L’exemple qui me vient le plus spontanément à l’esprit est celui de Maurras, notamment parce que certaines des méchancetés que l’on raconte sur lui sont vraies, si tant d’autres sont fausses. C’est justement parce que l’auteur de L’avenir de l’intelligence a aussi commis de regrettables erreurs que les esprits les mieux intentionnés peuvent passer à côté de son oeuvre et ne pas comprendre son importance historique (je le répète : la théorisation, au XXe siècle, d’une droite non affairiste) comme les potentialités qu’elle recèle encore (briser, ce qui nuirait aussi bien aux coeurs auto-proclamés généreux d’un camp qu’aux bourgeois égoïstes de l’autre, l’équivalence trop simple : gauche = défense des pauvres ; droite = soutien des riches).
Il y aurait bien sûr beaucoup d’autres exemples… y compris ceux dont je ne suis moi-même toujours pas conscient !
Cette leçon d’humilité étant prêchée, bonne soirée et bonnes lectures !
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