Incarnations.
Nous en avons bientôt fini avec le livre de Marc Fumaroli. Je pourrais à l’occasion revenir sur l’opposition, pas si manichéenne que j’ai pu moi-même vous le donner à croire, entre David et Mme Vigée Le Brun ; revenir sur des points plus accessoires - entre autres : pourquoi ne reprend-il jamais la piste indiquée par les Goncourt dans l’une des phrases qu’il cite au début de son livre (http://cafeducommerce.blogspot.com/2018/12/une-exageration-de-la-femme.html), l’ennui comme mal du siècle ?
Mais restons-en pour l’heure à ce qui est le plus important. L’extrait que je reproduis aujourd’hui suit immédiatement, dans Mundus muliebris, la citation d’hier. On verra que M. Fumaroli y exprime plus son opinion propre que lorsqu’il évoque les Goncourt.
Je me permets de rappeler que j’ai récemment commis quelques développements à propos de la phrase de Baudelaire que M. Fumaroli va reprendre : ici (http://cafeducommerce.blogspot.com/2018/10/la-femme-est-naturelle-cest-dire.html), là (https://cafeducommerce.blogspot.com/2018/10/baudelaire-les-femmes-et-le-monde-suite.html), et là (https://cafeducommerce.blogspot.com/2018/10/baudelaire-les-femmes-la-metaphysique.html).
"Baudelaire a précédé, mais sur le mode épigrammatique, dans son éloge de Constantin Guys et dans plusieurs poèmes des Fleurs du mal et du Spleen de Paris, l’exploration goucourtienne du mystère français. Le poète ne s’est pas contenté de l’identifier au mystère féminin, il y a fait reconnaître, trop longtemps cachée sous le masque de marbre impassible de la Beauté antique, le secret de la fuyante, moirée et morbide modernité féminine, repoussée, réprimée, martyrisée par un virilisme militaire, marital, bureaucratique, industriel.
Prenant pour principe misogyne « La femme est naturelle, c’est-à-dire abominable », le poète de Fusées renverse néanmoins la condamnation millénaire du « monde féminin ». Là où philosophes, politiques, prédicateurs, voulaient voir, dans les arts, les artifices, dans le luxe, sans cesse renouvelé par la mode, corruption et vice trahissant la nature et sa vraie beauté, le poète s’émerveille au contraire de découvrir à l’oeuvre l’imagination créatrice masculine s’ingéniant à couvrir et à rendre délectable cette « abomination » naturelle que les arts métamorphosent en fêtes d’artifice de délectables et enivrantes beautés inconnues.
- autrement dit (AMG), Baudelaire, une fois l’altérité entre les sexes décrétée de façon polémique, se place du point de vue de leurs relations, et de leurs relations en mouvement, ce que permet notamment le thème de la mode « sans cesse renouvelée »
La suite de citations qui m’ont servi d’épigraphe (AMG : j’en ai démarré la copie ici : http://cafeducommerce.blogspot.com/2018/12/la-ou-existe-la-pudeur-la-beaute-est.html), énoncées dans l’ordre chronologique, d’âge en âge dessine, sur la très longue durée, la topique ancienne d’un mundus muliebris sans cesse amplifié, souvent par ceux-là mêmes qui la dénoncent avec violence comme l’essence diabolique du mal. Contenue par l’Antiquité païenne dans les marges ornementales et peu compromettantes de la vie virile, dénoncée âprement par les théologiens moraux du jeune christianisme, du Moyen Age, puis de la contre Réforme catholique, la féminité, opus diaboli, n’en a pas moins augmenté son domaine et accru ses pouvoirs depuis la Renaissance. Pour mieux la condamner et la tenir en lisières le rigorisme chrétien du XVIIe siècle se fixe sur la lecture biblique d’Ève, corruptrice d’Adam et de tout le genre humain issu de leur couple, et reprend à son compte la polémique des philosophes grecs (notamment de Platon) contre les séductions lascives du fard des courtisanes et les attitudes alléchantes des actrices, concurrencées par les mercenaires sophistes. Une réhabilitation angélique du monde féminin n’a cessé d’accompagner néanmoins, depuis le Moyen Age gothique, la montée irrépressible du culte marial. Celui-ci s’adresse à la seconde Ève, mère de Dieu, pure de tout péché, et première initiée, avec Joseph, avec Élisabeth, avec Jean-Baptiste, au mystère joyeux de l’Incarnation rédemptrice et de la vie cachée du Rédempteur enfant et adolescent dans le sein de la Sainte famille. Innombrables sont les tentatives pour déchiffrer les facettes contradictoires du mystère féminin. La France les a toutes essayées. Elles sont toutes vraies. Aucune ne l’est tout à fait."
Et surtout pas la tentative actuelle, celle qui finit par nier qu’il y ait un monde féminin, tout en expliquant qu’il est meilleur que le monde masculin. L’âge de la désincarnation et de la pure idéologie… au moins, dans les approches misogynes et pudibondes, la femme existe-t-elle. (Je vous conseille à cet égard, chef-d’oeuvre de puritanisme obsédé sexuellement, La garce, de King Vidor, avec Bette Davis).
Le chapitre suivant du livre de M. Fumaroli a pour nom : "Pour une histoire chrétienne et moderne du mundus muliebris", ce pourrait déjà être le titre de ce chapitre, reproduit ici in extenso. Il est bien entendu que Marc Fumaroli y va par trop gros traits, mais la piste qu’il nous propose, dans sa variété, son recul historique, sa prise en compte des différentes attitudes chrétiennes (et certes en ouvrant ce livre et en commençant à le citer je n’imaginai pas que le christianisme allait y apparaître en conclusion…), la piste qu’il nous propose me semble être la bonne.
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