jeudi 27 décembre 2018

"On eût dit des ennemis en présence…"

Je m’étais penché sur le livre d’Emmanuel de Waresquiel, Juger la reine, par curiosité, il m’a mené au Mundus Muliebris de Marc Fumaroli, qui aborde de façon plus générale les rapports entre hommes et femmes à la veille de la Révolution. Frappé par un indéniable point commun entre le début de cette Révolution et le mouvement des Gilets Jaunes, à savoir la présence importante de femmes en première ligne, alors même qu’il n’est pas contestable que celles-ci ont fini par être reléguées à l’arrière-plan et ont souffert à tous les niveaux lors de la séquence ouverte en 1789 et que l’on peut considérer, de ce point de vue des relations hommes-femmes, fermée avec le Code Napoléon en 1804, j’ai commencé à tirer sur ce fil - en même temps que sur celui de la petite culotte Aubade et de la mini-polémique opportunément venue donner à ce moment un autre éclairage à ces questions. 

Bref ! Il est peut-être temps, avant d’autres citations sur le sujet, de faire une petite synthèse et d’expliciter quel est mon point de vue, fût-il très général, sur ces questions. Le nouvel ordre moral découvert par Élisabeth Vigée Le Brun à son retour à Paris en période post-révolutionnaire, avec vêtements de deuil et séparation des sexes dans les fêtes et spectacles, à coup sûr nous ne pouvons que le trouver sinistre. En lui-même et parce que nous le retrouvons de nos jours dans cette déprimante et destructrice alliance objective entre militants LGBT et censeurs musulmans dont nous n’avons sans doute pas fini de subir le joug. 





(Ceci sans évoquer les rapports entre l’ordre capitaliste naissant au début du XIXe siècle et la conception du vêtement comme uniforme du salarié, ce que l’on n’appelle pas encore le dress code.) Nul doute par ailleurs que les tableaux de Mme Vigée Le Brun ont plus de charme que ceux de son grand rival de l’époque, que nous avons déjà évoqué, David, ses peintures antiques, avec là aussi stricte séparation des sexes



, son rôle de policier pendant la Révolution, bientôt sa lèche à l’Empereur…

Pour autant, cela ne résout pas la question - qui d’ailleurs n’a pas à être résolue. Sur la première partie de cette phrase : la fin de l’Ancien Régime est une période brillante, c’est aussi une période de décadence, qui est allée trop loin dans l’effacement de la "hiérarchie des rangs", parce que, "Festivus" d’esprit avant la lettre, elle a trop souvent laissé hiérarchies et distinctions s’effacer : la jouissive et nécessaire suspension des codes sociaux ne peut qu’être temporaire, elle avait fini par devenir si ce n’est systématique, du moins régulière et normative dans certains milieux. Le mouvement de balancier était à prévoir - il fut excessif et violent. 

Et il fut excessif et violent, entre autres raisons, parce que les forces révolutionnaires ont commis l’erreur de croire, j’en viens à la deuxième partie de la phrase liminaire du précédent paragraphe, que l’on pouvait résoudre la question des rapports hommes-femmes. Voilà au moins une aberration en laquelle l’Ancien régime finissant n’a pas eu la bêtise ou la naïveté de croire : les relations entre les sexes sont trop compliquées, de toutes façons, pour que l’on puisse espérer les simplifier, seules les relations humaines, au jour le jour, à travers les innombrables cas particuliers pris un à un, entre tel homme et tel femme, peuvent permettre, par instants, de tirer le meilleur d’une différence de départ que l’on ne surmontera jamais tout à fait. Et qui resurgit toujours, soit par la volonté masculine de renvoyer les femmes dans ce que l’on estime être leur domaine, soit, c’est le cas de certains mouvements féministes actuels et des idiots même pas utiles qui chez les hommes les soutiennent, par la volonté féminine de faire des hommes des femmes comme les autres. On pourra m’opposer des exceptions plus ou moins prestigieuses, je maintiens que l’on retrouve précisément dans les manifestations politiques liées à la question des rapports entre les sexes, des traits révélateurs de ce que chaque sexe est et ce qu’il pense de l’autre sexe : la peur de l’intrusion des femmes dans le monde des hommes d’un côté, le désir de les assigner à résidence dans ce que l’on juge devoir être leur féminité ; la volonté de changer les hommes de l’autre. (Ce pourquoi, j’y reviendrai peut-être autour de Baudelaire, il me semble qu’un fond de misogynie modéré et assumé est le meilleur moyen pour un homme de parvenir à dialoguer, autant que faire se peut, avec des femmes.) 

Et puisque je précise tout ce matin, ajoutons qu’il est tout à fait légitime, par moments, pour les hommes d’être ensemble sans femmes, pour les femmes d’être ensemble sans hommes. Croire qu’ils et elles doivent toujours être mélangés (notamment dans le monde du travail) est aussi une funeste erreur.



Finissons. L’avantage de la période révolutionnaire, de l’avènement de Louis XVI à l’Empire disons, c’est de fournir une succession de photographies de différentes attitudes possibles, sociologiquement, politiquement et dans la création artistique, quant aux relations entre hommes et femmes. Et de montrer que si certaines périodes  et certains états d’esprit nous semblent plus charmants que d’autres, il y a toujours pour cela un prix à payer, par quelqu’un, à un moment ou un autre.