"Figures de la résistance et de l’exil intérieur…"
Le texte que je vous ai cité hier est le début de la préface à un recueil de textes littéraires consacrés à Saint-Pétersbourg, paru chez Omnibus en 2003. La première oeuvre qui y figure est une brève nouvelle en vers de Pouchkine, Le cavalier de bronze, dans laquelle un pauvre hère est poursuivi, ou se croit poursuivi, par une statue équestre de Pierre le Grand. Je vais vous en donner l’ouverture, somptueuse ode à la ville, avant de céder de nouveau la parole à Dominique Fernandez, qui clôt son texte par une brève réflexion sur la ville au XXe siècle… et un autre extrait du prologue du poème de Pouchkine.
"Devant lui, la mer était vide ;
Méditant de graves desseins,
Il regardait vers les lointains.
A ses pieds le fleuve splendide
Où passait un pauvre canot ;
Sur les rives marécageuses,
Çà et là de tristes hameaux
Où des familles besogneuses
De Finnois trouvaient un abri ;
D’immenses forêts frémissantes
Où jamais le soleil n’a lui.
Il songeait : La Suède est puissante ;
D’ici nous la menacerons.
Abattons son orgueil, ouvrons
Sur l’Occident une fenêtre.
Une ville ici doit paraître.
Lorsque nous serons établis
Des hôtes de tous les pays
Viendront, par des routes nouvelles,
Mener une fête éternelle.
Et voici que, cent ans après,
Du Nord merveille incomparable,
Du fond des bois et des marais
A surgi la ville admirable."
1833. Cent ans encore après, pensons à "ce que deviendr[a] la ville pendant les quelque soixante-dix ans de la domination communiste : une cité déchue, détrônée de son rang de capitale, mal aimée de Lénine et de Staline, reléguée au rang de chef-lieu de province, condamnée à une lente décrépitude, refuge incertain de poètes persécutés… Il faudrait interroger là-dessus les vers admirables d’Alexandre Blok, d’Ossip Mandelstam, d’Anna Akhmatova, figures légendaires de la résistance et de l’exil intérieur.
Mais ici, après le mythe de Saint-Pétersbourg, commence le mythe de Leningrad. Et nul écrivain, apparemment, n’a encore réussi à nous faire comprendre comment, dans cette ville épuisée, déclassée, amputée de son intelligentsia par une répression implacable, a pu surgir le courage, la force de tenir tête, pendant les neuf cents jours du siège, à l’écrasante pression de l’armée allemande. Un exploit unique dans les annales de l’humanité. Un million de morts de froid et de faim, mais le refus obstiné de capituler. Comme si, à travers les siècles, le Cavalier de bronze avait continuer à insuffler l’énergie à son peuple.
J’aime le belliqueux tonnerre
Qui gronde dans ton ciel, cité,
Quand la souveraine a donné
Un fils à la maison princière,
Quand la Russie a triomphé
Encore une fois à la guerre
Ou quand la Néva, fracassant
Les murs de glace qui l’enserrent,
Jubile aux souffles du printemps."
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