samedi 3 décembre 2005

Que vivent les scientifiques belges. (Ajout le 14.01.06)

Je n'ai pas eu à me fatiguer beaucoup pour dénicher ce texte, Rezo ayant fait le travail pour moi, mais je m'en voudrais de ne pas le signaler. Pour les paresseux ou les gens pressés, quelques extraits :

- "La politique de Bush lui-même n’a pas été très populaire dans les milieux qu’on peut appeler de gauche, y compris dans la mouvance favorable à l’ingérence humanitaire. La politique qui a été vraiment populaire, c’était celle de Clinton ; durant toute la période où il a été président, il y a eu un embargo contre l’Irak qui a fait sans doute plus de morts que la guerre, et j’ai vu très peu de protestations contre cet embargo de la part des gens qui chantaient les louanges de l’ingérence humanitaire, par exemple en Yougoslavie. Si les gens ne soutiennent pas la politique de Bush, c’est parce qu’il a l’art de la présenter très mal, ce qui a pour effet de la rendre impopulaire ; il est aussi très arrogant, ce qui aggrave son impopularité, surtout à l’étranger. Clinton n’était pas comme cela."

- "Les Occidentaux ne comprennent pas que la nature du conflit israélo-palestinien dépasse de loin les frontières d’Israël ou de la Palestine pour une raison très simple : ce que les Européens ont fait, c’est de faire payer par les Arabes les crimes commis par les Européens contre les juifs." (C'était déjà chez Jean Genet, mais il ne faut pas se lasser de répéter les vérités).

- "L’important, c’est la dérive du mouvement écologique. Quand ce mouvement est né, il était non-violent, contre toute armée, et maintenant il soutient une politique d’ingérence humanitaire qui suppose une armée importante. Exiger une politique d’ingérence humanitaire cela suppose d’avoir des moyens, une armée puissante, la possibilité de transporter des troupes à des milliers de kms. Cette transformation du mouvement écologique est extraordinaire ! À l’époque de la guerre froide, il y avait vraiment une menace de guerre, peut-être exagérée, mais l’URSS était néanmoins puissante et son armée nous était potentiellement hostile. Pourtant, à l’époque, les écologistes prônaient une défense civile non violente, même en cas d’agression soviétique. Donc l’idéologie de l’ingérence a produit des transformations profondes, irréconciliables avec la perspective écologiste de départ, à cause justement de la militarisation que leur nouvelle posture politique suppose."

- "Si, en Irak, il n’y avait pas eu de résistance, tout le monde aurait dit : c’est très bien, Bush les a débarrassés de Saddam Hussein, et hop, ils auraient fait la guerre à l’Iran, à la Syrie, ou à Cuba, jusqu’à ce qu’ils soient arrêtés quelque part." (C'était déjà chez Michel Collon, mais il ne pas faut pas se lasser...).

- "Il y a une espèce de course de vitesse entre la superpuissance américaine et l’opinion publique mondiale : si cette opinion est suffisamment forte, les Etats-Unis vont se trouver dans une situation où l’on peut espérer qu’ils seront bloqués. La situation militaire en Irak est le nœud de tout ; tant qu’ils sont immobilisés par la résistance en Irak, je ne les vois pas attaquer d’autres pays, sauf par des bombardements. Ils peuvent bombarder l’Iran et la Syrie, mais n’ont pas assez de troupes pour les envahir. En plus, il y a l’Amérique latine où la situation n’est pas du tout bonne pour les Américains. Ce qui est très dangereux, c’est la nouvelle posture du Pentagone qui envisage ouvertement l’usage d’armes nucléaires contre des pays qui n’ont pas de telles armes. C’est leur nouvelle doctrine. Beaucoup de scientifiques américains et français se mobilisent contre cette politique. Il faut quand même espérer qu’il y ait une réaction, aux États-Unis, qui les empêche d’utiliser l’arme toute puissante qu’est l’arme nucléaire. Ils ont toujours eu une double stratégie : les armes conventionnelles, en quantité absurde, plus l’arme nucléaire. Ils ont démontré en Irak, à la surprise de beaucoup de gens, que les armes conventionnelles n’étaient pas suffisantes. Donc, la seule chose qui leur reste, c’est l’arme nucléaire. Il faut empêcher qu’ils l’utilisent ! Pour convaincre l’opinion, ils disent " on va miniaturiser l’arme nucléaire ", elle sera moins dévastatrice, donc son usage sera plus acceptable politiquement. C’est très dangereux. Il y a bien une course de vitesse entre un militarisme américain qui risque de ne pas accepter sa défaite, et l’opinion publique mondiale, y compris une bonne partie de l’opinion publique américaine, puisqu’il y a une fraction importante de celle-ci qui pense qu’il faut destituer Bush, ce qui n’est déjà pas si mal."

- "Il y a une extraordinaire bonne conscience occidentale qui consiste à dire : " ces gens sont des dictateurs, ou des musulmans fanatiques, des extrémistes, etc. ", qui permet d’ignorer et de ne pas écouter ce que pense une grande partie du genre humain. J’espère que le mouvement altermondialiste, mettra en place des canaux permettant une meilleure compréhension des points de vue du Sud. Pour l’instant, la gauche occidentale a tendance à rester dans son coin, tout en ayant très peu d’influence là où elle vit et en jouant indirectement le jeu de l’impérialisme en démonisant l’adversaire , l’autre, l’Arabe, le Russe, le Chinois ... au nom de la démocratie et des droits de l’homme. Ce dont on est principalement responsable, c’est de l’impérialisme de son propre pays. Commençons donc par nous attaquer à cela et à nous y attaquer de façon efficace ; les crimes des autres, Saddam, Milosevic, Ben Laden, on en parlera après." On ne saurait mieux dire !


NB : Jean Bricmont est aussi le coauteur de Impostures intellectuelles, saine et drôle critique de certains excès de la philosophie française. Avoir trop de talents est suspect, en avoir plusieurs est bon signe.



(Ajout le 14.01.06). Depuis, deux interventions au moins de Jean Bricmont sont venues ajouter quelques idées aux prédédentes.

La première vient du Collectif Bellaciao :

- "Prenons la qualité des soins de santé à Cuba. Il s’agit du développement tout à fait remarquable d’un droit socio-économique. Il est pourtant totalement ignoré. Admettons que Cuba corresponde parfaitement à la description très critique qu’en fait Reporters sans frontières, cela ne diminue en rien l’importance de la qualité des soins de santé. Lorsque l’on parle de Cuba, si l’on émet des réserves sur le respect des droits politiques et individuels, il faudrait, au moins, mentionner l’importance des droits économiques et sociaux dont les Cubains bénéficient. On pourrait alors se demander ce qui est le plus important : les droits individuels ou les soins de santé? Pourtant, personne ne raisonne comme cela. Le droit au logement, à l’alimentation, à la sécurité d’existence ou à la santé est en général ignoré par les défenseurs des droits de l’homme."

- "Le manque de libertés individuelles peut-il être justifié par les soins de santé performants? Cela se discute. Si, à Cuba, un régime pro-occidental était en place, les soins de santé ne seraient sûrement pas aussi performants. C’est, du moins, ce que l’on en déduit si l’on constate l’état sanitaire dans les pays « pro-occidentaux » d’Amérique latine. Donc, en pratique on se trouve devant un choix : quels types de droits sont les plus importants : sociaux-économiques ou politiques et individuels?
On voudrait avoir les deux ensemble. Le président vénézuelien Chavez, par exemple, essaie de les concilier. Mais la politique d’ingérence américaine rend cette conciliation difficile dans le tiers monde. Ce que je veux souligner, c’est que ce n’est pas à nous, en Occident, qui bénéficions des deux types de droits, à faire ce choix. Nous devrions plutôt consacrer notre énergie à permettre un développement indépendant des pays du tiers monde. En espérant qu’à terme, le développement favorise l’émergence de ces droits."

- "Lorsque nous voyons des politiques qui ne nous plaisent pas dans le tiers monde, il faut commencer par en discuter avec les gens qui vivent là-bas, et le faire avec des organisations représentatives des masses, pas avec des groupuscules ou des individus isolés. Il faut essayer de voir si leurs priorités sont les mêmes que les nôtres.

J’espère que le mouvement altermondialiste mettra en place des canaux permettant une meilleure compréhension des points de vue du Sud. Pour l’instant, la gauche occidentale a tendance à rester dans son coin, tout en ayant très peu d’influence là où elle vit et en jouant indirectement le jeu de l’impérialisme, en diabolisant l’Arabe, le Russe, le Chinois... au nom de la démocratie et des droits de l’homme. Ce dont nous sommes principalement responsables, c’est de l’impérialisme de nos propres pays. Commençons donc par nous attaquer à cela. Et de façon efficace."


La seconde transite par le Réseau Voltaire :

- "Comme l’explique très bien le juriste canadien Michael Mandel, le droit international contemporain a pour but, pour citer le préambule de la charte des Nations unies, de « préserver les générations futures du fléau de la guerre ». Et, pour cela, le principe de base est qu’aucun pays n’a le droit d’envoyer ses troupes dans d’autres pays sans le consentement de son gouvernement. Les nazis avaient fait cela de façon répétée et le premier crime pour lequel ils ont été condamnés à Nuremberg est celui d’agression, crime qui « contient et rend possible tous les autres ».
« Gouvernement » ne veut pas dire ici « gouvernement élu » ou « respectueux des droits de l’homme », mais simplement « qui contrôle effectivement les forces armées », parce que c’est ce facteur qui détermine s’il y a guerre ou non lorsque des frontières sont franchies. Il est facile de critiquer ce principe de base, et les défenseurs des droits de l’homme ne se privent évidemment pas de le faire. D’une part, il arrive très souvent que les frontières des États soient arbitraires, car elles résultent de processus anciens qui étaient totalement non démocratiques, et que ces frontières ne satisfassent pas de nombreuses minorités ethniques. Ensuite, rien ne garantit que les gouvernements soient démocratiques ou même minimalement soucieux du bien-être de leur population. Mais le droit international n’a jamais prétendu résoudre tous les problèmes ; comme pratiquement tout le reste du droit, il cherche simplement à être un moindre mal par rapport à l’absence de droit. Et ceux qui critiquent le droit international feraient bien d’expliquer par quels principes ils veulent le remplacer. L’Iran peut-il occuper l’Afghanistan voisin ? Le Brésil, qui est au moins aussi démocratique que les États-Unis, peut-il envahir l’Irak pour y instaurer une démocratie ?"

- "Finalement, lorsque l’on se plaint, comme c’est souvent le cas, de l’inefficacité de l’ONU, il faut penser à tous les traités et à tous les accords de désarmement ou d’interdiction d’armes de destruction massive auxquels s’opposent principalement les États-Unis. Ce sont les grandes puissances qui sont les plus hostiles à l’idée que leur carte ultime, le recours à la force, puisse être contrée par le droit. Mais de même que, sur le plan interne, personne ne suggère que l’hostilité de la mafia vis-à-vis de la loi soit un argument en faveur de l’abolition de celle-ci, on ne peut pas utiliser le sabotage de l’ONU par les États-Unis comme argument pour discréditer cette institution."

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