B-A BA.
"La détermination des valeurs est indispensable à la compréhension de la conduite humaine, parce que celle-ci n'est jamais strictement utilitaire. Le calcul rationnel des spéculateurs caractérise une activité, plus ou moins étendue selon les civilisations, que limite toujours une conception de l'existence bonne. Guerrier ou travailleur, homo politicus ou homo oeconomicus, obéissent également à des croyances, religieuses, morales ou coutumières, leurs actes expriment une échelle de préférences. Un régime social est toujours le reflet d'une attitude à l'égard du cosmos, de la cité ou de Dieu. Aucune collectivité n'a réduit les valeurs à un commun dénominateur, richesse ou puissance. Le prestige des hommes ou des métiers n'a jamais été mesuré exclusivement par l'argent."
Ces lignes peuvent paraître banales aux habitués de ce comptoir, mais outre leur clarté, c'est pour leur auteur que je les retranscris : malgré la référence à Aristote (« que limite toujours une conception de l'existence bonne... »), on n'est pas ici chez Castoriadis, J.-C. Michéa ou un ponte du MAUSS, mais chez le Raymond Aron de L'opium des intellectuels (Calmann-Lévy, 1955, pp. 147-48). Ce qui indique au passage combien le débat intellectuel, si j'ose dire, a pu se déplacer en cinquante ans, et combien on a tort d'assimiler purement et simplement Aron au camp des libéraux, voire des « néo-libéraux », n'est-ce pas N. Baverez, biographe de R. Aron et auteur d'une certaine OPA intellectuelle sur sa mémoire (au sujet de cette belle petite pute intellectuelle, je vous conseille ce beau portrait à l'ancienne publié il y a quelques semaines par M. Defensa).
Je n'oublie certes pas que Aron fut membre fondateur avec Hayek de la Société du Mont-Pèlerin, temple du néo-libéralisme, et que certaines formulations de L'opium... me donnent de désagréables frissons (peut-être ferai-je une note de lecture lorsque je l'aurai fini). Mais justement, lorsque quelqu'un qui a participé - de près ou de loin - à la mise en place des schèmes mentaux qui ont conduit peu à peu aux sourdes et sans doute bientôt bruyantes catastrophes d'aujourd'hui, lorsque ce quelqu'un explique lui-même le pourquoi du comment desdites catastrophes (« Aucune collectivité n'a réduit les valeurs à un commun dénominateur, richesse ou puissance » : la nôtre a essayé, précisément, avec la richesse, et nous en voyons depuis des années les résultats), il n'est pas inutile de le noter avant la douche froide.
Dieu nous protège...
Libellés : 9/11 financier, Aristote, Aron, Baverez, Castoriadis, Defensa, Enculisme, Hayek, Hitchcock, Michéa, Truffaut
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