jeudi 14 mai 2009

Parenthèse littéraire.

Oui, tout le monde, si j'ose dire, connaît le portrait que Proust a laissé d'Anatole France dans la Recherche, cet admirable personnage de Bergotte, dont l'oraison funèbre par le narrateur a de quoi arracher les larmes, mais le diagnostic de France sur Proust est moins connu. L'ayant lu en feuilletant un digest de l'oeuvre de France, j'en ignore la date comme le contexte, mais cela peut-être amplifie la justesse du propos - qui sait ? dans le texte d'origine, il est possible qu'il se perde au milieu de banalités ou d'aperçus moins suggestifs. Le voici :

"Marcel Proust montre une sûreté qui surprend en un si jeune archer. Il n'est pas du tout innocent. Mais il est si sincère et si vrai qu'il en devient naïf et plaît ainsi. Il y a en lui du Bernardin de Saint-Pierre dépravé et du Pétrone ingénu."

Pas du tout innocent, c'est le moins que l'on puisse dire. Même sans évoquer les célèbres perversions du grand écrivain - les rats et les allumettes, etc. -, il est de fait que l'univers de Proust ignore l'innocence. D'ailleurs il disait ne pas croire en l'amitié, et cela revient à peu près au même. (J'irais presque jusqu'à dire, mais je ne connais pas assez le divin marquis pour formuler cela autrement qu'à titre d'hypothèse, qu'il y a sans doute plus d'innocence chez Sade que chez Proust.) Et pourtant il (Proust, son univers, c'est pareil) est « vrai », « sincère », parfois même « ingénu » - et évidemment bouleversant. France met le doigt sur un ressort essentiel de la personnalité de Proust. Avec le tombeau que celui-ci lui a érigé pour la postérité, c'était bien le moins : les deux hommes sont redevables l'un à l'autre.


Deux autres citations, tant que j'y suis :

- avec une dialectique assez proche : "Verlaine ressemble beaucoup à Villon ; ce sont deux mauvais garçons à qui il fut donné de dire les plus douces choses du monde." ;

- sur Victor Hugo, mais cela s'applique aisément à d'autres écrivains qui ont traversé leur siècle au point de s'y identifier, comme Sartre ou Sollers (à chaque fois on descend d'un cran, c'est l'époque...) : "Il naquit et mourut enfant de choeur. En toutes choses, il changeait d'idées à mesure que les idées changeaient autour de lui. A quatre-vingts ans, ses croyances n'avaient pas pris une ride." Le succès littéraire comme portrait de Dorian Gray... sachant que chez certains, il y a une vraie pourriture en-dessous, et chez d'autres - Hugo, donc -, non (mais est-ce seulement un bien ?).

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