La bête humaine. - Quelques idées politiques...
Maurras, aujourd'hui, en attendant des aperçus sur les Décombres, et sans oublier les débats en cours sur Dieu et la solitude face à Dieu...
"Les démocrates libéraux radotent. Ils prétendent ou sous-entendent qu'il suffit de laisser faire les éléments aux prises pour en voir jaillir la solution excellente, ou la moins mauvaise possible. Les lois du monde ne sont pas si douces ! Toutes nous administrent des effets aussi souvent rigoureux que délicieux. Mais leur ordre constant n'est pas hostile à l'homme, et l'homme a la propriété d'extraire le bien de ce qui peut d'abord lui faire du mal. Cette noble industrie de nos courages et de nos esprits vaut mieux que les diatribes ou les jérémiades et surtout que le dogme de fatales plaintes perpétuelles sur d'inguérissables malheurs. L'effort humain est dur. Sa peine méritoire doit être fermement constatée, face à l'arrogante satisfaction qui gonfle un optimisme aveugle, borné et cruel.
Ni les démocrates libéraux, ni les démocrates sociaux, ceux-ci pleurant, ceux-là riant, ne parviennent à légitimer leur monisme simpliste qui leur fait oublier une moitié des choses." (Mes idées politiques, 1937, p. 60)
"Les philosophes véritables refusent constamment de parler des hommes autrement que réunis en société. Il n'y a pas de solitaire." (p. 87)
"Ce qui manque, c'est, dans les esprits dirigeants, cette lumière qui est le signe de leur droit de conduire. Les chefs subsistent et leur pouvoir augmente, mais ce sont des chefs barbares livrés aux impulsions de la passion ou de l'intérêt. Ils commandent, ils conduisent, mais ils commandent mal et conduisent de travers, faute d'avoir appris.
Ils sont donc, eux aussi, plus encore que ces masses prolétariennes pour lesquelles on simule [simulait...] un intérêt si vif, ils sont de véritables déshérités.
Le trésor intellectuel et moral dont il leur appartenait de recueillir l'héritage a été dédaigné et finalement s'est perdu. Ainsi en disposa l'esprit de la démocratie libérale qui a désorganisé le pays par en haut ; empruntant la voix du progrès, feignant de posséder les promesses du lendemain, il a fait abandonner le seul instrument de progrès, qui est la tradition, et la seule semence de l'avenir, qui est le passé. (...)
Tout ce qu'on ôte à la férule [=un enseignement long et laborieux prodigué aux élites] n'est pas ôté à la férule ni à l'autorité qui la tient : cela est retranché à la masse entière du peuple ; c'est la nation et le genre humain qui sont les premiers dépouillés.
La diminution du commun avoir intellectuel et moral est une perte pour tout le monde : les petits y perdront autant que les grands.
Ils y perdront même beaucoup plus que les grands, car ce qui perfectionne, affine, élève les grands constitue, au profit des autres, la garantie la plus précieuse et souvent la seule, contre les abus du pouvoir auxquels exposent précisément les grandeurs. Certaines nuances de vertu et d'honneur, certains beaux accents persuasifs de la voix qui commande sont les fruits directs de la seule éducation.
Il est en de cela comme de la religion.
Celui qui a dit qu'il fallait une religion pour le peuple a dit une épaisse sottise. Il faut une religion, il faut une éducation, il faut un jeu de frein puissants pour les meneurs du peuple, pour ses conseillers, pour ses chefs, en raison même du rôle de direction et de refrènement qu'ils sont appeler à tenir auprès de lui : si les fureurs de la bête humaine sont à craindre pour tous, il convient de les redouter à proportion que la bête jouira de pouvoirs plus forts et pourra ravager un champ d'action plus étendu." (pp. 118-120)
Ce qui permet de comprendre pourquoi le Moyen Age fut une période empreinte de christianisme, alors que l'on sait depuis Duby que l'influence de cette religion sur le peuple a été longtemps surestimée : c'est parce que le christianisme et ses principes moraux dictaient aux élites de l'époque une certaine modération que la période fut dans l'ensemble peu violente (si vous en doutez, relisez Régine Pernoud...).
"La liberté n'est pas au commencement, mais à la fin. Elle n'est pas à la racine, mais aux fleurs et aux fruits de la nature humaine ou pour mieux dire de la vertu humaine. On est plus libre à proportion qu'on est meilleur.
Il faut le devenir. Nos hommes ont cru s'attribuer le prix de l'effort par une Déclaration de leurs droits fameuse, en affichant dans leurs mairies et dans leurs écoles, dans leurs ministères et leurs églises que ce prix s'acquiert sans effort. Mais afficher partout que chacun naît millionnaire vaudrait-il à chacun ombre de million ?
Direz-vous que c'est un droit à la liberté ? Le droit au million ne serait pas plus vain." (p. 122)
"Tradition veut dire transmission.
La tradition rassemble les forces du sol et du sang. On la conserve même en quittant son pays, comme une éternelle tentation d'y faire retour.
La vraie tradition est critique, et faute de ces distinctions, le passé ne sert plus de rien, ses réussites cessant d'être des exemples, ses revers d'être des leçons.
Dans toute tradition comme dans tout héritage, un être raisonnable fait et doit faire la défalcation du passif.
La tradition n'est pas l'inertie, son contraire ; l'hérédité n'est pas le népotisme, sa contrefaçon." (p. 134). Notons ici que si les formulations sont excellentes, les idées sont justes au point d'en paraître banales : il faut vraiment avoir des a priori tordus pour en arriver à nier de telles évidences. D'ailleurs, dans l'ensemble et dans l'usage, on ne les nie pas tant que ça : on a du mal à admettre leurs conséquences.
"Le pouvoir né du vote est obligé, pour ne pas périr, de s'assurer des votants ; rien n'étant plus à craindre pour ce pouvoir que les libertés de ces votants, il est automatiquement induit à les confisquer une à une." (p. 162) Au nom de la liberté qui plus est : et l'on s'étonne que les gens soient quelque peu schizophrènes...
Je finis sur ce passage délectable, éminemment discutable, quelque peu ridicule même... et qui pourtant saisit quelque chose des spécificités françaises :
"Cette Civilisation tout en qualité s'appela seulement, dans ses beaux jours, la Grèce. Elle fut Rome qui la dispersa dans l'univers, d'abord avec les légions de ses soldats et de ses colons, ensuite avec les missionnaires de la foi chrétienne. Les deux Romes conquirent de cette sorte à peu près le monde connu et, par la Renaissance, elles se retrouvaient et se complétaient elles-mêmes, quand la Réforme interrompit leur magnifique développement.
Les historiens et les philosophes sans passion commencent à évaluer exactement quel recul de la Civilisation doit exprimer désormais le nom de la Réforme. Nous devons en France de profondes actions de grâce au bon sens de nos rois et de notre peuple qui, d'un commun effort, repoussèrent cette libération mensongère. C'est leur résistance qui a permis le développement de notre nationalité au XVIe, au XVIIe et même au XVIIIe siècle : si complet, si brillant, d'une humanité si parfaite que la France est devenue l'héritière légitime du monde grec et romain. Par elle la mesure, la raison et le goût ont régné sur notre Occident : outre les civilisations barbares, la Civilisation véritable s'est perpétuée jusqu'au seuil de l'âge contemporain.
Malgré la Révolution, qui n'est que l'oeuvre de la Réforme reprise et trop cruellement réussie [idée elle-même reprise par P. Muray], - malgré le romantisme qui n'est qu'une suite littéraire, philosophique et morale de la Révolution -, on peut encore soutenir que la civilisation montre en ce pays de France d'assez beaux restes : notre tradition n'est qu'interrompue, notre capital subsiste.
Il dépendrait de nous de le faire fleurir et fructifier de nouveau.
Un nouveau-né, selon Le Play, est un petit barbare. Mais, quand il naît en France, ce petit barbare est appelé à recevoir par l'éducation un extrait délicat de tous les travaux de l'espèce.
On peut dire que son initiation naturelle fait de lui, dans la force du terme, un homme de qualité.
Quelques-uns de nos voisins et de nos rivaux s'en doutent... Les Allemands sont des barbares, et les meilleurs d'entre eux le savent. Je ne parle ni des Moscovites, ni des Tartares. Le genre humain, c'est notre France, non seulement pour nous, mais pour le genre humain. Les devoirs qu'elle a envers lui peuvent mesurer nos obligations envers elle." (p. 145-146)
A nos amours !
Libellés : 9/11 financier, Boyer forever, Duby, Godard, Le Play, Maurras, Muray, Pernoud, protestantisme, Strauss-Kahn
<< Home