Foutre...
(Ajout le lendemain.)
...j'aurais pu y penser plus tôt : le péché originel, c'est l'absence du don / contre-don, tout simplement.
Lorsque l'on fait référence au péché originel, on évoque souvent (avec d'ailleurs, semble-t-il, une certaine imprécision de langage) la néoténie , i.e. la longue incapacité du petit d'homme à survivre, se nourrir, s'occuper de lui-même, par rapport aux petits des animaux, bien plus vite autonomes.
Dans le texte qui inaugure ses Idées politiques (1937, réédité par Fayard en 1968, ce qui s'appelle aller à contre-courant), Maurras entend illustrer la nécessité de la hiérarchie par un tableau du nouveau-né, dont voici quelques extraits (p. 17-18 ; je ne signale pas les coupures) :
"Au petit homme, il manque tout. Le peu qu'il a d'instincts est impuissant à lui procurer les soins nécessaires, il faut qu'il les reçoive, tout ordonnés, d'autrui.
Il est né. Sa volonté n'est pas née, ni son action proprement dite. Il n'a pas dit Je ni Moi, et il en est fort loin, qu'un cercle de rapides actions prévenantes s'est dessiné autour de lui. Le petit homme presque inerte [c'est bien un sourd qui écrit ça…], qui périrait s'il affrontait la nature brute, est reçu dans l'enceinte d'une autre nature empressée, clémente et humaine.
Son existence a commencé par cet afflux de services extérieurs gratuits. Son compte s'ouvre par des libéralités dont il a le profit sans avoir pu les mériter, ni même y aider par une prière, il n'en a rien pu demander ni désirer. Des années passeront avant que la mémoire et la raison acquises viennent lui proposer aucun débit compensateur. Cependant, à la première minute du premier jour, quand toute vie personnelle est fort étrangère à son corps, qui ressemble à celui d'une petite bête, il attire et concentre les fatigues d'un groupe dont il dépend autant que sa mère lorsqu'il était enfermé dans son sein.
Cette activité sociale a donc pour premier caractère de ne comporter aucun degré de réciprocité. Elle est de sens unique, elle provient d'un même terme. Quant au terme que l'enfant figure, il est muet, infans, et dénué de liberté comme de pouvoir ; le groupe auquel il participe est parfaitement pur de toute égalité : aucun pacte possible, rien qui ressemble à un contrat. Ces accords moraux veulent que l'on soit deux. Le moral de l'un n'existe pas encore.
On n'en saurait prendre acte en termes trop formels, ni assez admirer ce spectacle d'autorité pure, ce paysage de hiérarchie absolument net."
La démonstration, dont je n'aborderai pas la discussion, est fort claire - et même très classique, la thématique anti-Rousseau, anti-Contrat social, explicite, mais ce qui m'a intéressé est la phrase : "Cette activité sociale a donc pour premier caractère de ne comporter aucun degré de réciprocité." Pour qui s'est accoutumé à la suite de Mauss à voir dans les « figures de la réciprocité », et l'architecture complexe du système du don / contre-don (et je rappelle, comme toujours, que les schémas du contrat et du donnant-donnant n'en sont que des formes non seulement simplistes mais, au moins dans le cas du contrat, dégradées), un des invariants forts de la définition de notre humanité, le lien est vite fait : ce qui manque à l'enfant, c'est la notion de réciprocité, qui justement nous fait humains. Le péché originel, c'est ne pas connaître la relation à l'autre, et ce sera le travail de la société (ou de la culture) que de contrebalancer cette ignorance originelle en insérant l'individu dans des réseaux de réciprocité plus ou moins complexes, jusqu'à des merveilles civilisationnelles comme l'architecture rituelle de la Kula.
J'ai écrit "contrebalancer", et non pas "annuler" ou "faire disparaître", car l'homme aura toujours justement tendance à vouloir s'échapper de ces réseaux : je ne parle pas des besoins normaux de solitude et de repli sur soi, mais de la tentation du « tout pour ma gueule » - c'est bien ce qui s'est passé, au niveau global des sociétés, avec le libéralisme, les robinsonnades, la dégradation du don / contre-don (où l'on doit donner plus que ce qu'on a reçu) en contrat, etc., vous connaissez l'histoire, Sarkozy n'en est qu'un chapitre supplémentaire et particulièrement ridicule, croustillant, consternant… - cette histoire générale de pompiers pyromanes qui font tout pour rendre une société sauvage (pardon pour les Sauvages !) et s'étonnent après qu'elle soit ingérable, ingouvernable, invivable. Et il n'y a pas de lieu de s'étonner que tous les si fiers théoriciens et praticiens du « tout pour ma gueule » aient des comportements d'enfants (pardon pour les enfants !).
Le libéralisme, m'est-il arrivé d'écrire, par son insistance sur les besoins comme par sa volonté d'atomisation de la condition humaine, rapproche l'homme de l'animal (pardon pour les animaux !) : nous en voyons ici un double aspect, à la fois anthropologique et démonologique. De ce point de vue il n'est d'ailleurs nullement exagéré de voir en lui quelque chose de diabolique - ce qui ne signifie certes pas qu'il faille recréer l'Inquisition et envoyer au bûcher tous les Minc et Strauss-Kahn de la terre (veinards de Polonais, ça n'arrive vraiment qu'aux autres, des accidents pareils, je pleurerais de joie si Sarko…).
On ajoutera, à l'autre pôle de l'existence, la possibilité pour Dieu de s'exempter, si j'ose dire, du don/contre-don - c'est la formule de Bernanos que je vous ai citée plusieurs fois déjà : "Entre nous, il n'est qu'échange, Dieu seul donne, lui seul." Cette sortie par le haut du don/contre-don - un don n'appelant pas de contre-don, et, d'ailleurs que pourrait-on rendre à Dieu de plus que la grâce ? on l'accepte si on peut, et on ferme sa gueule - allant tout à fait dans mon sens…
Fort bien, mais on ne peut en rester là. Si l'approche de Mauss a pour grand avantage notamment de puiser dans toutes les régions, spatiales et temporelles, de l'histoire de l'humanité, je l'ai conjointe à une théologie, chrétienne, qui pour riche de sens qu'elle soit, ne peut être considérée comme résumant toutes les autres.
Pourquoi cette interrogation ? Le libéralisme étant une création occidentale, il n'y a rien que de naturel que de le relier - et l'on sait que les liens sont complexes - avec les traditions religieuses occidentales. Mais cela n'évacue pas la question : le libéralisme, ou comment s'en débarrasser, et c'est ici que d'autres cultures, et donc d'autres religions - l'on pense vite à l'Islam - peuvent entrer en scène.
Je suis bien incapable d'aborder ce problème, mais il faut en signaler l'importance, et le hasard (avec de gros guillemets…) de mes lectures, Maurras vendredi soir, Laurent James hier matin (merci à M. Cinéma pour le lien, qui m'avait échappé) ne peut que m'y inciter.
Je vous recommande la lecture intégrale de ce texte,
dont je souhaiterais certes qu'il comporte moins de « évidemment » (je suis désolé, l'expérience prouve que c'est souvent lorsque l'on dit ou écrit cet averbe que les choses ne sont pas si évidentes - ce qui ne signifie pas non plus qu'à chaque fois que Laurent James l'emploie ce soit pour dire une bêtise ou une erreur),
qui comporte des contresens sur l'oeuvre de Muray, lui attribuant des pensées que justement il critique,
mais qui est très riche d'indications, et a l'intérêt, au moins pour moi, de se situer sur l'autre versant de mes réflexions : lorsque je triture un concept comme celui de nation, je m'arrête souvent au stade où l'on pourrait imaginer d'autres communautés - notamment religieuses. L'optique de L. James est autre, puisqu'il part de la Tradition (guénonienne), et ne rencontre la nation qu'après coup :
"La lente élaboration historique du concept de nation a été un des principaux ennemis de la mission catholique durant dix-huit siècles (je ne crois pas qu’il ait existé beaucoup de Rois ou d’Empereurs en Europe qui n’aient considéré le Pape comme autre chose qu’un rival). Ce sont les francs-maçons, les juifs talmudistes et les bourgeois commerçants qui imposèrent définitivement en France la nation dans son sens moderne ; et aujourd’hui, ce sont les mêmes qui veulent la détruire ! Ce n’est pas parce que ces messieurs ont changé d’avis, que Benoît XVI et moi-même devons immédiatement changer le nôtre ! On n’est pas à leur botte ! Ceci dit, si l’on cherche des êtres humains dans le milieu de la politique aujourd’hui, il est évident qu’il n’y a que chez les nationalistes que l’on a des chances d’en trouver (...) Personnellement, le rôle de la nation ne me semble pas être particulièrement crucial dans le programme de rénovation intégrale qui doit être mis en œuvre. (...) L’Empire est allé trop loin dans l’atomisation du genre humain : il est trop tard pour en appeler à une quelconque communauté sociale de rassemblement. Le seul salut possible consiste à opposer une solitude transcendantale de sens ascendant à la solitude nihiliste conglomératique imposée par le système ultra-libéral. Etre seul sans soi avec Dieu, plutôt qu’être seul sans Dieu au milieu des autres."
D'où l'importance de l'Islam :
"L’Islâm possède un atout majeur, une spécificité qu’aucune autre religion n’a jamais eue auparavant : il croit si fort en Dieu qu’il ne croit pas en l’homme. Voilà pourquoi son succès va grandissant de jour en jour. Ne pas croire en l’homme est en effet la seule manière d’apprêter les fastes du Jugement Dernier dans une époque où l’homme est entièrement démonisé. L’Islâm est donc la religion la plus à même de combattre l’Empire avec efficacité, puisque celui-ci repose justement sur la négation de l’être humain. Le combat se fait à armes égales."
Précisément, on ne comprend pas très bien pourquoi, avec de telles prémisses, il est si « évident » que les milieux nationalistes soient les seuls pourvoyeurs d'« êtres humains », même si ce n'est pas nécessairement faux. Est-ce de plus compatible avec ces idées sur l'Islam ? N'y a-t-il pas là presque une pente glucksmanienne, faisant se rejoindre islamisme et nihilisme ? - « Évidemment », ce n'est pas la même chose, mais jusqu'à quel point peut-on fonder un espoir sur la non-croyance en l'homme ? A suivre...
Ajout le 12.04 :
Un bref échange de mails avec L. James, que je remercie pour sa disponibilité, m'a fait recueillir la précision suivante :
"Je n'ai jamais voulu dire que les milieux nationalistes soient les seuls pourvoyeurs d'êtres humains, mais que si un être humain voulait faire aujourd'hui de la politique réelle et concrète, il ne pourrait se retrouver que dans le camp nationaliste (ou celui du PAS [Parti Anti-Sioniste, note de AMG]), ce qui n'est pas la même chose. Les raisons en sont humaines et sociologiques, et non pas principielles. Cela n'était pas vrai il y a 5 ans, et cela ne sera peut-être plus vrai dans 3 ou 4 ans."
Dont acte, j'avais résumé un peu à la truelle la pensée de L. James sur ce point. La difficulté me semble-t-il, et j'évoque ici la difficulté de notre situation, est la suivante : il y a un truc, qui s'appelle la nation, qui est une création historique récente, contemporaine de nombreuses horreurs humaines et spirituelles, mais qui a par moments fonctionné - il suffit de voir comment certains anti-nationalistes, internationalistes d'extrême-gauche ou traditionnalistes (dans un sens plus maistrien que guénonien) de droite la regrettent aujourd'hui qu'elle s'étiole. Je n'ai jamais quant à moi prétendu que la nation était l'horizon indépassable de l'humanité, je me suis au contraire efforcé de rappeler aussi souvent que je l'estimais nécessaire, qu'il y avait eu, si j'ose dire, de l'humanité avant. Le problème est que l'on ne sait pas quelle humanité il y aura après, et que, pour reprendre ce que disait Chaunu, "on ne sait pas quoi mettre à la place" de la nation - en tout cas, Chaunu et moi, L. James a plus de suggestions à faire - ceci dit, je précise au cas où, sans ironie aucune.
De ce fait, nous nous trouvons ici devant des « alternatives » assez analogues à celles qui ont fleuri dans les courants révolutionnaires de gauche au fil du XXe siècle, que les termes de réformisme, politique du pire, etc, ont pu illustrer. Et il ne faut pas plus schématiser ces « vieux » débats que les positions respectives de L. James et de bibi, qui sont sans doute plus proches d'ailleurs qu'il n'y paraît. Si vous voulez, je suis tout à fait conscient que la nation disparaîtra un jour - le verrai-je moi-même, c'est autre chose -, je souhaite seulement que cela se fasse sans trop de dégâts, et que ce qui arrive après soit mieux, ce qui n'est pas impossible, mais n'est pas franchement gagné.
D'où l'importance de savoir ce que nous sommes en train de perdre (et à quel point), afin d'essayer de comprendre si cela peut être remplacé, sous quelle forme, si on jette le bébé avec l'eau du bain ou si, la société ayant horreur du vide, elle parviendra à pourvoir à peu près bien à ses besoins principaux, etc. La difficulté (bis) étant de se situer à la fois du point de vue de ce que nous connaissons ou croyons connaître, la nation, parce que cela reste notre donné actuel, et du point de vue de ce qui arrive.
- Sur l'Islam, et en l'occurrence sa négation de l'homme par rapport à celle effectuée par le libéralisme, on peut faire le même type de raisonnements. Je laisse de plus compétents que moi en la matière les préciser, tout en maintenant pour l'heure ce qui était non pas une objection en tant que telle, mais une réserve : que peut-on fonder sur une non-croyance en l'homme ? - A quoi s'ajoute la question, mais je ne l'aborderai pas aujourd'hui : comment être seul avec Dieu ?
...j'aurais pu y penser plus tôt : le péché originel, c'est l'absence du don / contre-don, tout simplement.
Lorsque l'on fait référence au péché originel, on évoque souvent (avec d'ailleurs, semble-t-il, une certaine imprécision de langage) la néoténie , i.e. la longue incapacité du petit d'homme à survivre, se nourrir, s'occuper de lui-même, par rapport aux petits des animaux, bien plus vite autonomes.
Dans le texte qui inaugure ses Idées politiques (1937, réédité par Fayard en 1968, ce qui s'appelle aller à contre-courant), Maurras entend illustrer la nécessité de la hiérarchie par un tableau du nouveau-né, dont voici quelques extraits (p. 17-18 ; je ne signale pas les coupures) :
"Au petit homme, il manque tout. Le peu qu'il a d'instincts est impuissant à lui procurer les soins nécessaires, il faut qu'il les reçoive, tout ordonnés, d'autrui.
Il est né. Sa volonté n'est pas née, ni son action proprement dite. Il n'a pas dit Je ni Moi, et il en est fort loin, qu'un cercle de rapides actions prévenantes s'est dessiné autour de lui. Le petit homme presque inerte [c'est bien un sourd qui écrit ça…], qui périrait s'il affrontait la nature brute, est reçu dans l'enceinte d'une autre nature empressée, clémente et humaine.
Son existence a commencé par cet afflux de services extérieurs gratuits. Son compte s'ouvre par des libéralités dont il a le profit sans avoir pu les mériter, ni même y aider par une prière, il n'en a rien pu demander ni désirer. Des années passeront avant que la mémoire et la raison acquises viennent lui proposer aucun débit compensateur. Cependant, à la première minute du premier jour, quand toute vie personnelle est fort étrangère à son corps, qui ressemble à celui d'une petite bête, il attire et concentre les fatigues d'un groupe dont il dépend autant que sa mère lorsqu'il était enfermé dans son sein.
Cette activité sociale a donc pour premier caractère de ne comporter aucun degré de réciprocité. Elle est de sens unique, elle provient d'un même terme. Quant au terme que l'enfant figure, il est muet, infans, et dénué de liberté comme de pouvoir ; le groupe auquel il participe est parfaitement pur de toute égalité : aucun pacte possible, rien qui ressemble à un contrat. Ces accords moraux veulent que l'on soit deux. Le moral de l'un n'existe pas encore.
On n'en saurait prendre acte en termes trop formels, ni assez admirer ce spectacle d'autorité pure, ce paysage de hiérarchie absolument net."
La démonstration, dont je n'aborderai pas la discussion, est fort claire - et même très classique, la thématique anti-Rousseau, anti-Contrat social, explicite, mais ce qui m'a intéressé est la phrase : "Cette activité sociale a donc pour premier caractère de ne comporter aucun degré de réciprocité." Pour qui s'est accoutumé à la suite de Mauss à voir dans les « figures de la réciprocité », et l'architecture complexe du système du don / contre-don (et je rappelle, comme toujours, que les schémas du contrat et du donnant-donnant n'en sont que des formes non seulement simplistes mais, au moins dans le cas du contrat, dégradées), un des invariants forts de la définition de notre humanité, le lien est vite fait : ce qui manque à l'enfant, c'est la notion de réciprocité, qui justement nous fait humains. Le péché originel, c'est ne pas connaître la relation à l'autre, et ce sera le travail de la société (ou de la culture) que de contrebalancer cette ignorance originelle en insérant l'individu dans des réseaux de réciprocité plus ou moins complexes, jusqu'à des merveilles civilisationnelles comme l'architecture rituelle de la Kula.
J'ai écrit "contrebalancer", et non pas "annuler" ou "faire disparaître", car l'homme aura toujours justement tendance à vouloir s'échapper de ces réseaux : je ne parle pas des besoins normaux de solitude et de repli sur soi, mais de la tentation du « tout pour ma gueule » - c'est bien ce qui s'est passé, au niveau global des sociétés, avec le libéralisme, les robinsonnades, la dégradation du don / contre-don (où l'on doit donner plus que ce qu'on a reçu) en contrat, etc., vous connaissez l'histoire, Sarkozy n'en est qu'un chapitre supplémentaire et particulièrement ridicule, croustillant, consternant… - cette histoire générale de pompiers pyromanes qui font tout pour rendre une société sauvage (pardon pour les Sauvages !) et s'étonnent après qu'elle soit ingérable, ingouvernable, invivable. Et il n'y a pas de lieu de s'étonner que tous les si fiers théoriciens et praticiens du « tout pour ma gueule » aient des comportements d'enfants (pardon pour les enfants !).
Le libéralisme, m'est-il arrivé d'écrire, par son insistance sur les besoins comme par sa volonté d'atomisation de la condition humaine, rapproche l'homme de l'animal (pardon pour les animaux !) : nous en voyons ici un double aspect, à la fois anthropologique et démonologique. De ce point de vue il n'est d'ailleurs nullement exagéré de voir en lui quelque chose de diabolique - ce qui ne signifie certes pas qu'il faille recréer l'Inquisition et envoyer au bûcher tous les Minc et Strauss-Kahn de la terre (veinards de Polonais, ça n'arrive vraiment qu'aux autres, des accidents pareils, je pleurerais de joie si Sarko…).
On ajoutera, à l'autre pôle de l'existence, la possibilité pour Dieu de s'exempter, si j'ose dire, du don/contre-don - c'est la formule de Bernanos que je vous ai citée plusieurs fois déjà : "Entre nous, il n'est qu'échange, Dieu seul donne, lui seul." Cette sortie par le haut du don/contre-don - un don n'appelant pas de contre-don, et, d'ailleurs que pourrait-on rendre à Dieu de plus que la grâce ? on l'accepte si on peut, et on ferme sa gueule - allant tout à fait dans mon sens…
Fort bien, mais on ne peut en rester là. Si l'approche de Mauss a pour grand avantage notamment de puiser dans toutes les régions, spatiales et temporelles, de l'histoire de l'humanité, je l'ai conjointe à une théologie, chrétienne, qui pour riche de sens qu'elle soit, ne peut être considérée comme résumant toutes les autres.
Pourquoi cette interrogation ? Le libéralisme étant une création occidentale, il n'y a rien que de naturel que de le relier - et l'on sait que les liens sont complexes - avec les traditions religieuses occidentales. Mais cela n'évacue pas la question : le libéralisme, ou comment s'en débarrasser, et c'est ici que d'autres cultures, et donc d'autres religions - l'on pense vite à l'Islam - peuvent entrer en scène.
Je suis bien incapable d'aborder ce problème, mais il faut en signaler l'importance, et le hasard (avec de gros guillemets…) de mes lectures, Maurras vendredi soir, Laurent James hier matin (merci à M. Cinéma pour le lien, qui m'avait échappé) ne peut que m'y inciter.
Je vous recommande la lecture intégrale de ce texte,
dont je souhaiterais certes qu'il comporte moins de « évidemment » (je suis désolé, l'expérience prouve que c'est souvent lorsque l'on dit ou écrit cet averbe que les choses ne sont pas si évidentes - ce qui ne signifie pas non plus qu'à chaque fois que Laurent James l'emploie ce soit pour dire une bêtise ou une erreur),
qui comporte des contresens sur l'oeuvre de Muray, lui attribuant des pensées que justement il critique,
mais qui est très riche d'indications, et a l'intérêt, au moins pour moi, de se situer sur l'autre versant de mes réflexions : lorsque je triture un concept comme celui de nation, je m'arrête souvent au stade où l'on pourrait imaginer d'autres communautés - notamment religieuses. L'optique de L. James est autre, puisqu'il part de la Tradition (guénonienne), et ne rencontre la nation qu'après coup :
"La lente élaboration historique du concept de nation a été un des principaux ennemis de la mission catholique durant dix-huit siècles (je ne crois pas qu’il ait existé beaucoup de Rois ou d’Empereurs en Europe qui n’aient considéré le Pape comme autre chose qu’un rival). Ce sont les francs-maçons, les juifs talmudistes et les bourgeois commerçants qui imposèrent définitivement en France la nation dans son sens moderne ; et aujourd’hui, ce sont les mêmes qui veulent la détruire ! Ce n’est pas parce que ces messieurs ont changé d’avis, que Benoît XVI et moi-même devons immédiatement changer le nôtre ! On n’est pas à leur botte ! Ceci dit, si l’on cherche des êtres humains dans le milieu de la politique aujourd’hui, il est évident qu’il n’y a que chez les nationalistes que l’on a des chances d’en trouver (...) Personnellement, le rôle de la nation ne me semble pas être particulièrement crucial dans le programme de rénovation intégrale qui doit être mis en œuvre. (...) L’Empire est allé trop loin dans l’atomisation du genre humain : il est trop tard pour en appeler à une quelconque communauté sociale de rassemblement. Le seul salut possible consiste à opposer une solitude transcendantale de sens ascendant à la solitude nihiliste conglomératique imposée par le système ultra-libéral. Etre seul sans soi avec Dieu, plutôt qu’être seul sans Dieu au milieu des autres."
D'où l'importance de l'Islam :
"L’Islâm possède un atout majeur, une spécificité qu’aucune autre religion n’a jamais eue auparavant : il croit si fort en Dieu qu’il ne croit pas en l’homme. Voilà pourquoi son succès va grandissant de jour en jour. Ne pas croire en l’homme est en effet la seule manière d’apprêter les fastes du Jugement Dernier dans une époque où l’homme est entièrement démonisé. L’Islâm est donc la religion la plus à même de combattre l’Empire avec efficacité, puisque celui-ci repose justement sur la négation de l’être humain. Le combat se fait à armes égales."
Précisément, on ne comprend pas très bien pourquoi, avec de telles prémisses, il est si « évident » que les milieux nationalistes soient les seuls pourvoyeurs d'« êtres humains », même si ce n'est pas nécessairement faux. Est-ce de plus compatible avec ces idées sur l'Islam ? N'y a-t-il pas là presque une pente glucksmanienne, faisant se rejoindre islamisme et nihilisme ? - « Évidemment », ce n'est pas la même chose, mais jusqu'à quel point peut-on fonder un espoir sur la non-croyance en l'homme ? A suivre...
Ajout le 12.04 :
Un bref échange de mails avec L. James, que je remercie pour sa disponibilité, m'a fait recueillir la précision suivante :
"Je n'ai jamais voulu dire que les milieux nationalistes soient les seuls pourvoyeurs d'êtres humains, mais que si un être humain voulait faire aujourd'hui de la politique réelle et concrète, il ne pourrait se retrouver que dans le camp nationaliste (ou celui du PAS [Parti Anti-Sioniste, note de AMG]), ce qui n'est pas la même chose. Les raisons en sont humaines et sociologiques, et non pas principielles. Cela n'était pas vrai il y a 5 ans, et cela ne sera peut-être plus vrai dans 3 ou 4 ans."
Dont acte, j'avais résumé un peu à la truelle la pensée de L. James sur ce point. La difficulté me semble-t-il, et j'évoque ici la difficulté de notre situation, est la suivante : il y a un truc, qui s'appelle la nation, qui est une création historique récente, contemporaine de nombreuses horreurs humaines et spirituelles, mais qui a par moments fonctionné - il suffit de voir comment certains anti-nationalistes, internationalistes d'extrême-gauche ou traditionnalistes (dans un sens plus maistrien que guénonien) de droite la regrettent aujourd'hui qu'elle s'étiole. Je n'ai jamais quant à moi prétendu que la nation était l'horizon indépassable de l'humanité, je me suis au contraire efforcé de rappeler aussi souvent que je l'estimais nécessaire, qu'il y avait eu, si j'ose dire, de l'humanité avant. Le problème est que l'on ne sait pas quelle humanité il y aura après, et que, pour reprendre ce que disait Chaunu, "on ne sait pas quoi mettre à la place" de la nation - en tout cas, Chaunu et moi, L. James a plus de suggestions à faire - ceci dit, je précise au cas où, sans ironie aucune.
De ce fait, nous nous trouvons ici devant des « alternatives » assez analogues à celles qui ont fleuri dans les courants révolutionnaires de gauche au fil du XXe siècle, que les termes de réformisme, politique du pire, etc, ont pu illustrer. Et il ne faut pas plus schématiser ces « vieux » débats que les positions respectives de L. James et de bibi, qui sont sans doute plus proches d'ailleurs qu'il n'y paraît. Si vous voulez, je suis tout à fait conscient que la nation disparaîtra un jour - le verrai-je moi-même, c'est autre chose -, je souhaite seulement que cela se fasse sans trop de dégâts, et que ce qui arrive après soit mieux, ce qui n'est pas impossible, mais n'est pas franchement gagné.
D'où l'importance de savoir ce que nous sommes en train de perdre (et à quel point), afin d'essayer de comprendre si cela peut être remplacé, sous quelle forme, si on jette le bébé avec l'eau du bain ou si, la société ayant horreur du vide, elle parviendra à pourvoir à peu près bien à ses besoins principaux, etc. La difficulté (bis) étant de se situer à la fois du point de vue de ce que nous connaissons ou croyons connaître, la nation, parce que cela reste notre donné actuel, et du point de vue de ce qui arrive.
- Sur l'Islam, et en l'occurrence sa négation de l'homme par rapport à celle effectuée par le libéralisme, on peut faire le même type de raisonnements. Je laisse de plus compétents que moi en la matière les préciser, tout en maintenant pour l'heure ce qui était non pas une objection en tant que telle, mais une réserve : que peut-on fonder sur une non-croyance en l'homme ? - A quoi s'ajoute la question, mais je ne l'aborderai pas aujourd'hui : comment être seul avec Dieu ?
Libellés : Bernanos, Chaunu, Defoe, Glucksmann, Guénon, islam, Laurent James, Maubreuil, Maurras, Mauss, Minc, Muray, Rousseau, Sarkozy, Strauss-Kahn
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