vendredi 2 avril 2010

Le cinéma l'a tuer.

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A bien des égards, La Grande Peur..., comme sans doute l'oeuvre de Drumont qu'elle présente et analyse, est une réflexion sur le passage de la tradition à la modernité - et sur le rôle des Juifs dans ce passage. J'y reviendrai de façon générale, voici pour aujourd'hui un texte à cet égard exemplaire - et qui met en jeu de surcroît le rôle du cinéma (i. e., avec le recul, des media) dans ce processus.

Bernanos évoque l'institution du duel - et Drumont en eut plusieurs - et sa disparition :

"Aujourd'hui personne ne comprend plus. Mais personne ne comprend rien. Et d'ailleurs il est possible, il semble probable que ces anciens usages à présent démodés, paraîtront demain frivoles, ou stupides, ou cruels. On a bien pu tourner en dérision, dès avant 1914, l'« actualité » classique qui passait comme rituellement chaque semaine sur l'écran des salles de cinéma : les deux hommes au torse blanc, qu'encadrent cinq ou six hommes noirs, se poursuivant mollement, l'épée à la main, devant l'appareil de prises de vues, ou plus solennels encore, le bras tendu, le col de la redingote relevé, sur le faux col, tout à coup environnés de fumée... Mais à ce moment déjà le duel n'était plus : l'abus de cinéma l'avait tué. Reste qu'aux environs de 1892, un journal portant le titre de Libre Parole devait rompre d'abord le premier barrage opposé alors à toute parole libre, pourvu qu'elle prétendît se faire entendre de tous, aller jusqu'au grand public, coûte que coûte. Tel ou tel pieux paroissien, ou même dévot, qui réveille le médecin pour un cauchemar ou une colique, tel marguillier enfin sourira dans sa barbe, et, devant sa géniture attentive, déjà dressée aux durs combats de l'argent, couvrira de ridicule ces spadassins bénévoles, à cent cinquante francs par mois, qui risquaient leur peau par gloriole... Mais personne, non plus, n'a jamais entendu dire qu'un pays avait été sauvé par ses marguilliers et ses chantres.

Car le préjugé du duel est un préjugé comme un autre. Toutes les raisons du monde ne peuvent rien contre lui tant qu'il existe. Après quoi les moralistes ont beau jeu. Ridicule ou non, la crainte d'une affaire n'en a pas moins tenu en respect, trop souvent, au cours du dernier siècle, des polémistes bien-pensants qui s'en donnent aujourd'hui à coeur joie contre M. Maurras ou M. Léon Daudet. (...) J'ajoute que pour les chrétiens de bonne foi (...), c'est l'honneur d'un Léon Bloy, par exemple, du vieux soldat de Cathelineau, d'avoir un jour consenti à passer pour un lâche [en refusant un duel] aux yeux de ces bigots qu'il méprisait, et qui n'en maintinrent pas moins, d'ailleurs, contre le réfractaire, leur condamnation sans appel au silence et à la faim." ("Pléiade", pp. 208-209)

L'institution inattaquable tant qu'elle existe, le renonçant qui a le courage de ne pas entrer dans le jeu de cette institution (et d'une certaine manière contribue à lui donner son sens, j'y reviendrai aussi... pour paraphraser Brel, n'ai-je jamais rien fait d'autre que revenir ?), par opposition à celui qui critique l'institution une fois qu'elle a disparu, d'une part sans danger, d'autre part sachant bien que lui n'aurait pas eu le courage, ni de se battre, ni de passer pour un lâche : qu'il aurait juste été un lâche... Si l'on ajoute à cela l'aperçu sur le rôle historique du cinéma - aperçu trop lapidaire sans doute... mais c'est comme si Bernanos écrivait : "A ce moment là le sexe n'était plus : le porno l'avait tué." - peut-on tout à fait le nier ? -, nul besoin de développer plus avant les raisons de l'intérêt que l'on peut porter à ce texte.


Linder

A bientôt mes amis !

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