mercredi 14 novembre 2012

A force de parler des Juifs, je suis sur les moteurs de recherche et reçois de nombreux spams pour devenir propriétaire à Tel-Aviv. Mais je ne suis pas venu pour parler de ça.

(Légèrement modifié le 27.11.)

On connaît la formule d'August Bebel - ou du moins qui lui est couramment attribuée, de façon peut-être aussi rigoureuse que le Credo quia absurdum est attribué à Tertullien - : "L'antisémitisme est le socialisme des imbéciles." Je ne la discuterai pas pour elle-même, le propos est assez clair et vise à briser une certaine équivalence entre Juifs et grand capital. Ajoutons d'ailleurs, en référence à un texte récent, que Drumont lui-même aurait peut-être pu reprendre à son compte cette sentence, puisque, dixit Edouard Beau de Loménie, l'auteur de la France juive a peu à peu élargi son analyse des méfaits dudit grand capital en ne la centrant plus sur les seuls « sémites ».

Ajoutons encore, toujours rapport à ce texte sur Drumont et Bloy, que ce dernier aurait aussi pu écrire que l'antisémitisme est le christianisme des imbéciles.

Mais je ne suis pas venu pour parler de ça. Je repensais à une formule d'Alain Badiou qui me trotte périodiquement dans la tête, selon laquelle la classe moyenne "ne dispose jamais d'une capacité politique autonome." (Heidegger, le nazisme, les femmes, la philosophie, écrit avec B. Cassin, Fayard, 2010, p. 16) Quoi qu'il en soit de la véracité de cette idée,

- le poujadisme ne relevait-il pas d'une "capacité politique autonome" ? Certes on peut compter sur A. Badiou pour nous démontrer, Platon et Cantor à l'appui, que les mouvements politiques droitiers ne sont pas authentiquement politiques ; certes encore le contenu doctrinaire d'un discours de Robert Poujade n'est peut-être pas aussi élevé que certaines envolées lyriques d'un Jean Jaurès. Mais cela résout-il la question ?

, quoi qu'il en soit de la véracité de cette idée, si on croise ces deux sentences, en faisant un glissement me semble-t-il nécessaire de la « capacité politique » à la « pensée politique », on obtient une synthèse simple : "L'antisémitisme est la pensée politique des classes moyennes."

Il y a là du vrai, mais cette synthèse est tout de même et justement trop simple. Il me semble que l'on peut trouver une formulation plus proche de la vérité si l'on fait entrer en jeu, sinon Jean-Jacques Rousseau lui-même, que je n'ai pas lu depuis bien longtemps, du moins le concept de rousseauisme, cette « idée » selon laquelle il y a quelque chose qui ne va pas, sans quoi tout irait bien (ou à peu près bien), ce quelque chose pouvant être, en l'occurrence, « les Juifs ».

Ce qui donne maintenant : "L'antisémitisme est le rousseauisme des classes moyennes." C'est moins ambitieux que la formule précédente, moins polémique aussi (quoi que cette « polémique » dépende du point de vue où on se place...), et, justement, plus neutre, même si, ne soyons pas hypocrites, le « rousseauisme » en question nous semble une illusion. Ce qui ne signifie pas que les choses n'iraient pas mieux si certains Juifs avaient moins de pouvoir, mais c'est une autre question.


Voilà, c'est à peu près tout pour aujourd'hui, trois petites remarques pour finir :

- si Alain Soral est évidemment évoqué entre les lignes dans ce qui précède, et s'il a récemment clamé son admiration pour le philosophe genevois, il ne faut pas, en tout cas pas avant examen, assimiler trop vite l'antisémitisme d'Alain Soral, ce qu'il estime devoir à Rousseau, et le « rousseauisme » dont je viens de parler. Bien sûr que les rapports existent, bien sûr que la formule que je vous suggère aujourd'hui traite de ces rapports, mais je n'irai quant à moi pas plus loin sans lectures supplémentaires ;

- pour ceux qui ont le courage de suivre les liens que je donne : dans le texte où j'ai comparé Edouard Beau de Loménie et Alain Soral, je parle d'un autre auteur qui me semble soralien avant la lettre. Ne cherchez pas, je n'ai jamais creusé cette piste. Il s'agit de Jacques Debû-Bridel, dont le De Gaulle contestataire (Plon, 1970) ne déparerait pas dans une Anthologie des premiers soraliens, ou une Anthologie des soraliens avant Soral, comme on en faisait pour les socialistes avant Marx dans les années 70. Je n'ai pas jusqu'ici pris le temps de travailler sur le bouquin de Debû-Bridel, on verra...

- dans le même ordre d'idées : si le texte de Péguy sur Jaurès auquel je vous ai renvoyés me semble toujours aussi bon, je vous laisse voir jusqu'où on peut poursuivre l'analogie entre le rôle que Péguy fait jouer à Gustave Hervé et celui que joue depuis quelque temps M. Mélenchon. Ajoutons, pour ceux qui vont jusqu'au bout, que le texte de M. Alexandre Adler évoqué sur la fin, reste, pour employer le même terme que l'auteur, d'une incroyable bassesse. Que Bernanos l'encule...

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