mercredi 18 octobre 2017

"Presto, non sono piu forte..."

Puisque les accusations contre un ignoble producteur juif hollywoodien prédateur sexuel (je laisse l’inconscient de chacun établir des liens entre ces différentes précisions, ce n’est pas mon problème) tourne dans l’esprit de certain-e-s (pf ! même pour rigoler ça me dégoûte d’écrire comme ça) au procès contre l’homme-hétérosexuel-blanc-et-riche-et-sa-trop-fameuse-culture-du-viol, peut-être n’est-il pas inutile de rappeler quelques petits principes concernant ce qu’il n’est pas encore tout à fait désuet d’appeler la séduction. 

Je prends donc pour point de départ le duo de l’opéra de Mozart Don Giovanni (Là ci darem la mano, pour ceux qui veulent googler), à ma connaissance LE duo de séduction dans l’histoire de l’opéra. Il se trouve qu’il y a du Weinstein chez Don Giovanni : riche, puissant, cynique, égoïste, il n’hésite pas utiliser toutes les armes à sa disposition pour séduire. Et si cela ne suffit pas, il peut lui arriver d’essayer de forcer physiquement l’entrée du chemin qui lui est explicitement fermé - la pauvre Zerlina, celle-là même qu’il a réussi à séduire, mais sans pouvoir coucher avec elle, dans le duo en question, est tout près d’être violée à la fin de l’acte I et ne doit certes pas son salut à la mansuétude ou à des remords de son agresseur. 

Mais s’il n’est pas sympathique, il peut être charmant, et il est bien sûr séduisant. (C’est d’ailleurs, soit dit en passant, le problème de certains interprètes du rôle, qui n’ont aucun charisme : même s’ils chantent bien, l’essentiel leur fait défaut.) Et le plus bel exemple, dans l’opéra, en est donc ce fameux duo, parce que Mozart et son librettiste Da Ponte jouent à merveille du contrepoint des émotions de la naïve (au moins dans ce passage, et encore pas tout à fait) Zerlina en face de la stratégie de conquête de Don Giovanni. 

Charme, charisme ; stratégie, conquête : j’utilise des champs lexicaux bien déterminés, celui de la magie d’une part, celui de la guerre d’autre part. La séduction en effet est au carrefour de ces deux domaines, celui de l’irrationnel et celui de la lutte. Une lutte à deux qui fait beaucoup plus fond sur la réciprocité agonistique (que dois-tu faire pour m’attirer ? fais-le plus, fais-le mieux ; je veux bien te guider, mais je peux pas tout faire tout(e) seul(e)), que sur une quelconque égalité. A l’homme de faire perdre à la tête à la femme qui, si elle est en train d'être séduite, ne demande qu’à s’oublier mais qui cherche, discrètement et dans un jeu qui peut être paradoxal ou fort subtil avec sa propre conscience, à amener l’homme à la séduire assez pour qu’elle s’oublie. "Vorrei et non vorrei", chante Zerlina, qui n’attend qu’une chose, que Don Giovanni la convainque de vouloir - puis "Presto, non sono piu forte…"

On parle du jeu de la séduction : jeu, c’est aussi le terme utilisé quand quelque chose ne tient pas totalement, une prise, une corde - "il y a du jeu". La séduction est ludique et n’est pas une science exacte, il y a du flou de l’imprécis… Autant de choses que l’on ne peut pas réguler. 

Bien sûr, le schéma que j’ai décrit et qui est celui du duo de Mozart n’est pas le seul que l’on puisse envisager. Bien sûr les choses sont parfois plus explicites, bien sûr parfois la femme prend plus l’initiative (ce qui n’est pas sans évoquer, ma remarque sans devoir être surinterprétée n’est pas innocente, le schéma récurrent de la pornographie américaine actuelle, où la femme fait pour ainsi dire tout), bien sûr enfin les histoires d’amour se déroulent ensuite comme elles le doivent, sans que la façon dont elles ont commencé en détermine complètement la nature ni la durée. Je tenais simplement à rappeler que tout ne peut pas se légiférer, se légaliser, s’égaliser. 


"Pas d’idéologie entre les cuisses. - C’est pas sa place.", s’accordent à reconnaître un vieil anar de droite anar individualiste et une jeune et jolie gauchiste révolutionnaire, dans un film de Mocky, avant de coucher ensemble. Qui peut leur donner tort ?