samedi 2 juin 2018

Quand le fondateur du MacMahonisme et un post-situationniste se rencontrent à mon comptoir, ils parlent de Balzac.

Je rouvre le livre de M. Mourlet, Une vie en liberté, pour vous trouver une citation… et je retombe sur un passage de Balzac que notre ami Jean-Pierre Voyer avait cité dans le temps, et où l’on retrouve les thèmes que j’évoque depuis deux jours. Michel Mourlet parle des démagogues, qui "nous entraînent, avec la même assurance, le même entrain qu’autrefois Aristide Briand et Léon Blum [je ne me suis toujours pas remis de la découverte de sa phrase citée ici le 24 mai dernier, note de AMG], vers le même type de catastrophe - ou probablement pire - qu’ont vécue ensuite les Français. Ce sera enfin la dissolution de notre patrie (…), dissolution préparée avec tant de soin, espérée depuis si longtemps par tant de gens." - des noms, M. Mourlet, des noms ! Et voici la tirade de Balzac : 

"Qu’est-ce que la France de 1840 ? un pays exclusivement occupé d’intérêts matériels, sans patriotisme, sans conscience, où le pouvoir est sans force, où l’élection, fruit du libre arbtre et de la liberté politique, n’élève que des médiocrités, où la force brutale est devenue nécessaire contre les violences populaires, et où la discussion, étendue aux moindres choses, étouffe toute action du corps politique ; où l’argent domine toutes les questions, et où l’individualisme, produit horrible de la division à l’infini des héritages qui supprime la famille, dévorera tout, même la nation, que l’égoïsme livrera quelque jour à l’invasion. On se dira : Pourquoi pas le tzar, comme on s’est dit : - Pourquoi pas le duc d’Orléans ? On ne tient pas à grand-chose ; mais dans cinquante ans, on ne tiendra plus à rien."

Pourquoi pas le Calife, aussi - on retrouve Houellebecq, versant Soumission… M. Mourlet rappelle les invasions qui se sont produites depuis le diagnostic de Balzac, des forces allemandes à l’UE ou à la mise sous protectorat américain, remarque que la France de 1840 était un pays beaucoup plus fort que l’espèce de truc qui se défait chaque jour un peu plus sous nos yeux (je reformule), ce qui l’amène à écrire que Balzac "[peint] simplement la décomposition qu’il avait déjà sous les yeux." 



Et c’est le dernier point important, intellectuellement et psychologiquement parlant : mêmes causes, mêmes effets, même processus. Ce qui était vrai du temps de Balzac est resté vrai : cela se voit plus, mais n'est pas différent de nature. Si on ne freine pas les forces de décomposition, à un moment ou un autre, elles finissent pas l’emporter. Et comme une grande partie des élites, c’est-à-dire, pour parler comme Balzac, des médiocrités qui dirigent la France font les mêmes erreurs depuis deux cents ans, et en rajoutent dans l’erreur pour essayer de cacher les erreurs précédentes, et ainsi de suite… 

Réciproquement : il n’y a pas de fatalité, il n’y a pas d’impossibilité, il n’y a que des difficultés croissantes. Elles suffisent certes à notre malheur.