"La France, condamnée par ses chefs spirituels..."
"Une seconde cause de canonisation [après celle de Christophe Colomb] a longuement mobilisé Léon Bloy : celle de Jeanne d’Arc. « Sans elle, écrit-il dans Jeanne d’Arc et l’Allemagne, tout est impossible, avant comme après, puisque tout porte sur elle. C’est la clef de voûte. » Jeanne d’Arc fut béatifiée en 1909, soit près de cinq siècles après sa mort. « Je veux bien que Jeanne d’Arc soit une sainte, mais non pas la sainte de ces gens-là, qui l’eussent autrefois couverte d’ordures, avant de la brûler, exactement comme le célèbre Cauchon », relève alors Bloy en constatant l’héroïsme facile des catholiques français déployé à l’occasion de la première fête liturgique. En 1915, sur fond de Grande Guerre, il se réjouit de l’avancée de la cause de canonisation tout en déplorant « la sottise et la dégoûtante sentimentalité de ses admirateurs catholiques, absolument incapables de comprendre la mission réelle de cette fille de Dieu. » Comme l’a noté Henri Quantin, pour Léon Bloy « les êtres exceptionnels réchauffent l’humanité, en manifestant la vocation à l’éternité de chaque homme ; Jeanne dresse un pont par-dessus les abîmes temporels : elle troue le ciel bas et lourd et soulève un peu le couvercle qui cherche à nous enfermer dans notre siècle comme sur une île déserte ». A l’heure où l’« empereur de l’hérétique Allemagne offre la Croix de fer aux assassins et aux incendiaires pour les récompenser de leurs crimes », la France, condamnée par ses chefs spirituels qui ont refusé le message de la Salette, n’a peut-être plus d’autre chemin que de s’attacher à « la pauvre Croix de bois de Jeanne d’Arc dont elle ne veut pas en ce moment, mais qui la sauverait miraculeusement à la dernière heure pour que le genre humain ne fût pas perdu ». Mais il y a encore davantage pour Léon Bloy. Le Royaume a été sauvé par la Pucelle. Or « la Vierge est l’objet de la concupiscence divine et l’Esprit-Saint qui est l’Amour même n’y résiste pas. Elle peut donc engendrer par Lui et c’est toute l’histoire de la mystérieuse Jeanne d’Arc donnant à Dieu un royaume qui n’existait pas visiblement avant elle et qui, sans elle, n’aurait pas pu naître ». Au final, « Bloy entraperçoit la Vierge triomphant du dragon au dernier jour. En somme, chez Bloy, tout grand personnage historique est aussi figure eschatologique, ou, pour le dire autrement, annonciateur et même accélérateur de parousie. » [H. Quantin]"
Augustin Laffay, préface à l’édition des Essais et pamphlets de Bloy en collection Bouquins.
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