mercredi 4 juillet 2018

Cachez ce sein qui fait de vous une femme...

Quelques remarques supplémentaires, de François Bousquet et de votre serviteur, sur Michel Foucault, son image, sa postérité. Ces lignes se situent au début du livre : 

"Il aura été le premier en date des philosophes LGBT (et le seul qui qui ne soit pas expressément l’un de ces militants étriqués qui depuis ont fait florès). Plus grand mort que vivant. C’est aujourd’hui la star incontestée des labos de recherche, le coproducteur de la théorie du genre, le gourou de Judith Butler, de la Gay Pride et des pédagogues ; accessoirement, l’auteur en sciences humaines le plus cité dans le monde. (…) Sa parole a été pieusement recueillie dans une montagne de hadiths, les Dits et Écrits du prophète, quatre volumes d’entretiens, de conférences et d’articles, qui vont fixer dans le marbre le seul Foucault autorisé. L’évangéliste des minorités, l’icône homosexuelle béatifiée après son décès, en 1984, des suites du sida. Depuis cette date, il monopolise le champ éditorial."

"On ne peut s’empêcher d’admirer malgré tout le courage qui a animé de bout en bout cette vie et lui confère une dignité stoïcienne. « Le courage est toujours original », dit Wittgenstein. (…) Il a payé de sa personne, souvent à prix coûtant, ses choix. Il y avait chez lui un héroïsme de la pensée. En un temps, le nôtre, où l’homosexualité ne produit guère plus que des petits soldats et des inquisiteurs [et des hommes-blancs-qui-ne-sont-ni-hommes-ni-blancs, nous avons encore progressé depuis l’écriture de ce livre en 2015, note de AMG], il est bon de rappeler qu’elle façonnait dans les âges antérieurs des hommes pour le coup supérieurs, affranchis des chapelles, sans prévention, d’une liberté inconditionnelle, lesquels hommes se sont d’abord élevés contre leur milieu (un milieu qu’on qualifierait aujourd’hui par commodité d’homophobe ou de réac), avant de s’en faire les ultimes défenseurs. Du dernier Pasolini, à qui l’on doit des textes implacables sur l’amnésie identitaire qui allait affecter le monde postmoderne (d’où la demande d’identités parodiques : l’homosexualité, la jeunesse…) aux inclassables Pierre Gripari et Guy Hocquenghem, auteurs, pour le premier, de la Patrouille du conte, fable génialissime sur le politiquement correct, et, pour le second [dont il me semble me souvenir, pour revenir brièvement aux thèmes d’avant-hier, qu’il avait déclaré un jour, en faisant allusion au sale caractère de notre sainte nouvellement panthéonisée, qu’il n’aurait pas aimé être déporté dans un camp où Simone Veil fût kapo, note de AMG], de la Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary, libelle endiablé contre leurs trahisons de soixante-huitards. C’était avant que les gays ne s’embourgeoisent et ne marient devant le maire. (…) Foucault n’entrait assurément pas dans cette catégorie. (…) Il sentait le soufre et se faisait l’avocat de l’infamie, comme Jean Genet, à ceci près que Genet n’allait pas ensuite prêcher ex cathedra dans le temple du savoir - le Collège de France. Pas de tentation académique chez ce dernier. Toutes les ambiguïtés de Foucault sont résumées dans ce grand écart. A travers lui, l’hérésie - dont les « sexualités hérétiques », celles qui s’enseignent dans les boudoirs sadiens et les backrooms californiens - allait déboucher sur une nouvelle orthodoxie."

A vingt ans à peu près, soit il y a maintenant… plus de vingt ans, j’ai beaucoup lu Foucault. Tous ses livres, enthousiasmé par l’Histoire de la folie, Surveiller et punir, La volonté de savoir (le premier que j’ai découvert). Touché par Naissance de la clinique. Plus désarçonné par Les mots et les choses, l’Archéologie du savoir, L’ordre du discours, les deux derniers cités étant peut-être bien sans le moindre intérêt ni contenu. Et un peu ennuyé par les deux derniers tomes de l’Histoire de la sexualité. Lorsque parut le premier tome des Dits et Écrits, j’ai été déçu de ce qui s’y trouvait, et crois bien n’avoir pas dépassé les cinquante premières pages, d’où mon intérêt pour la réflexion de F. Bousquet sur leur statut et leur officialisation de Foucault comme « évangéliste des minorités » et « icône homosexuelle ». Je ne l’avais pas senti - et j’avais été naïf de ne pas le sentir - à l’époque, mais de toutes façons ce n’était pas ce qui m’intéressait chez Foucault : la séduction de son style mise à part, j’y trouvais une certaine générosité envers les plus laissés-pour-compte de l'histoire, ainsi qu'une conception du pouvoir qui me semblait plus riche que ce que l’on trouvait d’ordinaire dans la théorie politique. Conception que certes l’on peut trouver en partie paranoïaque, mais avec laquelle un Pierre Boutang par exemple ne dédaignait pas de discuter, et qui ne me semble pas vraiment infirmée par les dérives actuelles (et à venir). 

Enfin, il y avait un malentendu profond, que d’autres passages du livre de François Bousquet m’ont permis de formuler sur le tard, malentendu dont la clarification d’une part me fait comprendre une partie de mon intérêt pour Foucault, en l’occurrence surtout pour La volonté de savoir, d’autre part confirme certaines de mes idées (et pas seulement les miennes), sur la théorie du genre et ses hommes-blancs-qui-ne-sont-ni-hommes-ni-blancs. "Il n’y a pas à libérer le sexe, il l’est déjà depuis fort longtemps. C’est du sexe qu’il convient de se libérer." Ces phrases de Bousquet glosant Foucault, ce sont les thèses principales de La volonté de savoir, livre dans lequel il est montré que la bourgeoisie du XIXe était beaucoup plus obsédée par le cul que la France de l’Ancien Régime (comme disait à peu près Baudelaire, avant la Révolution, on ne foutait pas moins, mais on savait foutre sans se prendre la tête), et qui apparurent au jeune homme très obsédé que j’étais comme une libération, pour le coup : il n’y a pas que le sexe dans la vie, ce n’en est peut-être même pas le centre. (J’ai déjà d’ailleurs noté il y a longtemps que beaucoup de livres « gauchistes » des années 70, s’ils avaient été moins pleins d’a priori, auraient, par-delà leur critique du XIXe siècle et du capitalisme, retrouvé les vertus de l’Ancien Régime et/ou du Moyen Age.) C’est ainsi que je lus, sans bigoterie aucune, La volonté de savoir.

Il est bien évident que l’habitué des backrooms SM qu’était Foucault avait autre chose en tête que moi - ce qui n’infirme pas d’ailleurs la thèse principale du premier tome de l’Histoire de la sexualité. Cela m’amène au deuxième point annoncé. Certaines formules de Foucault, citées par F. Bousquet, comme « la sexualité sans sexe » pouvaient m’apparaître comme une manière plus tranquille et raffinée de baiser, avec notamment un goût pour et une valorisation des préliminaires et des caresses buccales données et reçues (goût qui ne m’a jamais quitté, plus de vingt ans après…). Il est clair que chez Foucault comme chez les adeptes de la théorie du genre et les hommes-blancs-qui-ne-sont-ni-hommes-ni-blancs, il ne s’agit pas de ça, mais il apparaît aussi de plus en plus clairement qu'il s'agit, tout simplement, d’une haine du corps en général et de leur corps en particulier. C’est paradoxal certes, même si le goût de ces personnes pour les tatouages, scarifications, pratiques masochistes, et tout ce que l’on voit maintenant avec les transsexuels, en est une première indication. Il faut aller plus loin. "Le sexe, c’est le sexe et autre chose que le sexe", écrivais-je souvent il y a quelques années, pour signifier que le sexe est animal et est aussi autre chose. C’est cette part animale, la plus innocente d’une certaine manière d’ailleurs, que nos amis LGBTetc. ne peuvent supporter, c’est l’idée que le sexe puisse donner la vie qui les fait gerber, d’où ce paradigme de « sexualité sans sexe ». Tous les LGBT ne sont pas végan, ou engagés dans la lutte pour la condition animale, mais il n’est pas indifférent que l’on assiste en même temps à une défense des animaux qui, dépassant le souci légitime de limiter les souffrances que nous pouvons leur faire endurer, fait comme si les animaux étaient des humains, et à une offensive LGBT et transhumaniste qui cherche à séparer de plus en plus le sexe de la reproduction et l’homme de son caractère animal. Tout le contraire de ce qu’il faut faire, en somme. (On pourrait évoquer aussi l’intérêt des LGBT pour la promotion de l’avortement, qui ne devrait aucunement les concerner.)


Ce qui est amusant dans l’histoire, si comme F. Bousquet, et il a raison, on garde en tête la différence de stature entre Foucault et ceux qui aujourd’hui se réclament de lui, c’est que ceux-ci d’un certain point de vue se situent tout à fait dans la lignée de ce qu’il décrivait dans La volonté de savoir : ils sont à la fois obsédés et dépassés par le sexe (ou la sexualité), ils veulent se libérer d’oppressions plus ou moins imaginaires ou plus ou moins nécessaires alors qu’ils ne pensent qu’à ça, ne parlent que de ça, et du coup, comme le célèbre homme-blanc-qui-n’est-ni-homme-ni-blanc, ils accusent les autres, finalement, d’avoir des yeux pour voir et des mots pour nommer. D’où d’ailleurs ces attaques sans fin, et qui ne pourront en avoir tant qu’on écoutera ces gens-là (la soumission à la doxa et même à l’écriture inclusive d’un parfait macho hétérocentré comme D. Schneidermann en étant un exemple révélateur…), puisqu’il faut tout centrer sur le symbolique, les perceptions, les assignations, etc. - tout cela au fond par impossibilité d’accepter ces deux faits simples : la majorité de l’humanité jouit encore du fait de l'introduction d'une verge dans un vagin ; et cette jouissance-là peut avoir des conséquences, et des conséquences bénéfiques, une vie de plus. On comprend qu'à certains cela donne le vertige.