vendredi 29 juin 2018

N’endurer aucun martyre et n'évangéliser que très peu de musulmans...

La puissance de Léon Bloy est telle que lorsqu’il dresse le portrait des ecclésiastiques consensuels de la fin du XIXe, on a l’impression qu’il fixe le cadre dans lequel tous leurs successeurs, comme happés par la violence de son style et la pertinence de son jugement, vont comme malgré eux se glisser. On peut dire que ces remarques sont toujours actuelles, mais l’effet produit par ces lignes me semble plus fort : à leur lecture, on se dit que les gens qui ont le renoncement au coeur s’y soumettent d’eux-mêmes, quand bien même ils ne les connaissent pas, et se dirigent vers la case que Bloy leur a assignée. 

Voici le premier extrait, un portrait du Père Didon, auteur d’un livre sur l’Allemagne qui ne semble pas plus du goût de Bloy que ne l’était de celui de L. Daudet (livraison du 15 juin dernier) l’importation de la philosophie kantienne en France : 

"Le Père Didon est un avaleur de formules comme on est un avaleur de sabres, et Dieu sait si notre siècle est fertile en formules !

Cet homme a tout englouti, tout engouffré. La divinité de la science, l’infini des connaissances humaines, la suprématie absolue de l’intelligence, l’égalité de l’homme et de la femme par l’instruction, le triomphe de l’expérimentalisme, la tolérance sage, le respect de toutes les croyances, l’harmonie de la science et de la foi, l’installation terrestre de la paix et de la fraternité, etc. ; toutes ces viles rengaines écaillées et poussiéreuses, bonnes tout au plus à conditionner un boniment électoral, il nous les rapporte d’Allemagne, dans un livre de néant dont l’unique supériorité est le plus effrayant ennui qui puisse être senti par des hommes."

Le Père Monsabré maintenant, qui officiait à Notre-Dame, rien moins : 

"C’est un robinet d’eau tiède en sortant, glacée quand elle tombe. Et il lui faut toute une année pour nous préparer ces douches !

Il se trouve des naïfs que cette vacuité stupéfie. Mais c’est comme cela qu’on les fabrique tous, depuis longtemps, les annonciateurs du Verbe de Dieu ! 

Une glaire sulpicienne qu’on se repasse de bouche en bouche depuis deux cents ans, formée de tous les mucus de la tradition et mélangée de bile gallicane recuite au bois flotté du libéralisme ; une morgue scolastique à défrayer des millions de cuistres ; une certitude infinie d’avoir inhalé tous les souffles de l’Esprit-Saint et d’avoir tellement circonscrit la Parole que Dieu même, après eux, n’a plus rien à dire. Avec cela, l’intention formelle, quoique inavouée, de n’endurer aucun martyre et de n’évangéliser que très peu de pauvres ; mais une condescendante estime pour les biens terrestres, qui réfrène en ces apôtres le zèle chagrin de la remontrance et les retient de contrister l’opulente bourgeoisie qui pavonne au pied de leur chaire. Tout juste la dose congrue - presque impondérable - de bave amère sur les délicates fleurs du Grand Livre, pour lesquelles fut inventée la distinction laxative du précepte et du conseil. Enfin l’éternelle politique régénératrice, l’inamovible gémissement sur les spoliations de la Libre Pensée et l’incommutable anxiété de péroraison sur l’avenir présumé de la chère patrie… Quand on entend autre chose, c’est qu’on a la joie d’être sourd ou l’irrévérencieuse consolation de dormir."


La messe est dite !