mercredi 10 octobre 2018

"La confusion des cas d'exceptions..."

Respirons avec Chesterton : 

"Il est typique que des gens attaquent [la famille] non pas parce qu’ils peuvent la comprendre mais parce qu’ils ne la saisissent pas du tout. (…) Ils ont pris l’habitude de dériver simplement et de se détacher progressivement de la vie de famille, et ils le font d’une manière purement accidentelle (…). Ce phénomène semble largement reposer sur l’irritation individuelle, une irritation qui varie avec l’individu. On nous dit uniquement que dans telle ou telle affaire un tempérament particulier a été tourmenté par un événement particulier, sans que personne ne prenne la peine de nous expliquer comment le mal est arrivé, et surtout s’il est vraiment fini. On nous dit que dans telle ou telle famille la grand-mère racontait du grand n’importe quoi, et Dieu sait que c’est vrai, ou qu’il est très difficile d’entrer dans l’intimité intellectuelle de l’oncle Grégoire sans devoir lui dire qu’il est un imbécile, ce qui est effectivement le cas [ou que telle pauvre fille a dû se rendre à l'étranger pour avorter, c'est exactement le même raisonnement, note de AMG]. Mais personne ne considère sérieusement le remède, ou même la maladie ; personne ne se demande si l’actuelle dissolution individualiste constitue un remède quelconque. (…)

Il y a une manière simple de caractériser ce manque de réflexion rigoureuse et de sens des principes sociaux, qui a tout supprimé pour ne laisser que la confusion des cas d’exceptions. J’ai lu des centaines et des milliers de fois, dans les romans et les journaux de notre époque, des slogans [probablement à chaque fois présentés comme des nouveautés, note de AMG] concernant le juste droit des jeunes à la liberté, l’injuste revendication des plus âgés de pouvoir les surveiller, l’idée que tous les esprits doivent être libres ou tous les citoyens égaux, l’absurdité de l’autorité ou la déchéance de l’obéissance. Je ne veux pas pour le moment traiter ici de ces sujets en eux-mêmes. Mais ce qui me laisse pantois, logiquement parlant, c’est qu’aucun de ces innombrables romanciers ou journalistes n’a jamais paru se poser la question suivante, qui est pourtant de toute évidence. Il ne semble jamais leur venir à l’esprit de se demander ce que deviendraient dans cette optique les obligations à l'égard de l’enfant. Si dès le départ l’enfant est libre de ne tenir aucun compte de ses parents, pourquoi, dans ces cas, les parents ne seraient-ils pas libres, dès le départ, de ne tenir aucun compte de l’enfant ? Si M. Jones l’Ancien et M. Jones le Jeune sont seulement deux citoyens libres et égaux, pourquoi un citoyen devrait-il vivre aux crochets de l’autre citoyen pendant les quinze premières années de sa vie ? Pourquoi Jones l’Ancien devrait-il nourrir, vêtir et abriter de sa propre poche une autre personne parfaitement émancipée de toute obligation à son égard ? Si on ne peut demander à cette brillante jeune chose [Chesterton fait ici référence aux bright young things, aristos fêtards et décadents de son temps] de tolérer sa grand-mère, devenue quelque peu casse-pieds, pourquoi alors la grand-mère ou la mère aurait-elle dû tolérer la brillante jeune chose pendant la période où celle-ci n’était nullement brillante ? (…) Pourquoi Jones l’Ancien devrait-il offrir des repas à quelqu’un d’aussi désagréable que Jones le Jeune, particulièrement dans les phases immatures de son existence ? Pourquoi n’enverrait-il pas le bébé par la fenêtre, ou du moins ne le flanquerait-il pas à la porte ?"

Il y a ici le symptôme évoqué hier à propos de notre simplette polyamoureuse : ne voir partout que des exceptions individuelles, et vouloir tout de même les ériger en règle (alors même que notre société la laisse parfaitement libre de vivre sa vie d’exception, et que des maris monogames mais sujets à certaines tentations sont tout à fait ravis que de telles femmes non casées circulent…). Et il y a ce que je répète depuis des années : une des fonctions premières de la famille, et donc du mariage, c’est la protection des enfants. Et l’une des façons de nuire à cette fonction de protection, c’est la volonté de mettre de l’égalité là où il n’y en a pas et où il ne doit pas y en avoir. 


La suite aussitôt que possible…