"Une grande nouveauté dans l'histoire du monde."
"Que « la loi » soit « l’expression de la volonté générale », et seulement cela, et nullement autre chose, est une grande nouveauté dans l’histoire du monde. Cette proclamation de 1789 n’a pas inventé la démocratie, elle lui a donné un autre contenu. Elle a imposé dans la vie politique une morale nouvelle et un nouveau droit.
Toujours, dans toutes les civilisations jusqu’en 1789 (et ensuite encore, mais alors par survivance de plus en plus fragile, de plus en plus implicite), la loi était l’expression d’une réalité supérieure à l’homme, d’un bien objectif, d’un bien commun, que l’homme traduisait, interprétait, codifiait librement, mais non arbitrairement. Le législateur faisait ce qu’il pouvait, pas toujours ce qu’il devait : mais sa fonction reconnue était de formuler de grands impératifs qu’il n’avait pas inventés, mais découverts, à moins qu’il ne les ait simplement reçus comme Moïse sur le Sinaï. La loi était l’expression humaine de la volonté de Dieu sur les hommes, conformément à la nature qu’il leur a donnée, à la destinée qu’il leur veut. Quand Dieu était inconnu ou méconnu, la loi demeurait néanmoins l’expression d’une raison, d’une justice, d’un ordre supérieurs aux volontés humaines :
« Tes décrets à toi, Créon, déclare Antigone, n’ont pas le pouvoir d’obliger un mortel à transgresser d’autres lois, les lois non écrites, inébranlables, des dieux. Elles ne datent ni d’aujourd’hui ni d’hier, et nul ne sait le jour où elles ont paru. Ces lois-là, pouvais-je donc, par crainte de qui que ce fût, m’exposer à leur vengeance chez les dieux ? »
Ainsi la légitimité de la loi, celle du pouvoir, celle des gouvernants, résidaient dans leur conformité à cet ordre supérieur, indépendamment d’une désignation régulière des magistrats et des législateurs. Cette régularité est une légalité qui a son importance. Mais la légitimité, c’est-à-dire la justice, se fonde sur le bien commun, c’est-à-dire sur le décalogue, c’est-à-dire en Dieu. Les païens eux-mêmes, faute d’en avoir une connaissance claire, en avaient au moins le sentiment très vif. Date terrible dans l’histoire du monde, la date où des hommes ont décidé que désormais la loi serait « l’expression de la volonté générale »…"
J. Madiran, Les deux démocraties. La suite demain. Vous aurez remarqué que les hommes dont il est question dans la dernière phrase étaient des Français, hélas !
<< Home