La politesse et le tact… Christianisme, humilité, aristocratie.
Bonnard était-il catholique ? Je l’ignore. Olivier Mathieu, au début de sa biographie, en parle comme d’un esprit nietzschéen. Sur ce que j’ai lu - y compris des textes sur l’Allemagne nazie, pas toujours défavorables… -, cela ne m’apparaît pas si évident. Mais l’intéressant, en tout pour moi aujourd’hui, n’est pas tant le cas particulier d’Abel Bonnard, que les rapports problématiques, et pas seulement à cause de certaines prises de position d'un François qui semble manquer de quelque assise..., entre le christianisme, le catholicisme et certaines valeurs dites de droite.
L’ouvrage de Rémi Fontaine sur Jean Madiran, que j’ai cité ici plusieurs fois, est à mon avis un de ceux qui clarifient le plus cette question épineuse. D’une manière générale, si l’on peut toujours reprocher aux auteurs chrétiens de subsumer la question politique sous la question religieuse (s’ils sont vraiment croyants, c’est logique, tout de même…), au moins ont-ils l’avantage de connaître tous les aspects de la question, ce qui est loin d’être toujours le cas d’esprits revendiqués de droite, qui manifestement n’ont pas fait le travail d’étude et de maîtrise des dogmes. Pour prendre un exemple non polémique, Julien Rochedy, dans son intéressante dernière vidéo, dit comme souvent partir de Nietzsche, mais utilise à plusieurs reprises (y compris en citant son maître, 40’) le concept d’incarnation, sans avoir l’air de soupçonner qu’approfondir l’aspect chrétien de ce concept cardinal pourrait, d’une part lui ouvrir des pistes, d’autre part lui permettre de mieux saisir ce que Nietzsche lui-même entendait par-là…
Bref ! Voici le début du chapitre "Le prince" du livre de Bonnard sur saint François d’Assise :
"C’est un prince, et peut-être touchons-nous ici au centre même de sa nature : François est évidemment un aristocrate dans la période mondaine de sa vie ; il l’est plus secrètement, mais plus intimement encore dans sa vie religieuse. Sans doute il ne pense alors qu’à pratiquer les préceptes de l’Évangile, mais loin de l’obliger à contrarier sa nature, ces préceptes devaient lui donner bien des occasions de la satisfaire, car nombre d’entre eux sont, en vérité, inspirés par l’esprit le plus aristocratique. Ce n’est certes pas une conception commune de la justice, celle qui accorde aux ouvriers de l’onzième heure autant qu’à ceux qui ont peiné tout le jour, et qui enveloppe la vraie Justice dans la robe éclatante de la Faveur. Ce n’est pas une opinion populaire, que d’estimer davantage la contemplation de Marie que la besogne de Marthe. Ce n’est pas une sentence vulgaire, que de dire qu’il ne faut pas jeter des perles aux pourceaux. Ce qui est dans l’esprit du peuple, c’est de s’indigner, comme les Apôtres n’y ont pas manqué, de l’offrande fastueuse que Madeleine fit de son parfum. Ce qui est du goût le plus haut, c’est d’approuver et de justifier cette largesse. Quoi de plus raffiné que de vouloir que ceux qui ont fait un long jeûne, bien loin de l’annoncer par une mine exténuée, se lavent et se parfument pour empêcher les autres de soupçonner les privations qu’ils s’infligent ? Cette recommandation plaisait tellement au Saint qu’il l’a insérée dans sa règle. Rien ne pouvait lui agréer davantage que cette dissimulation exquise qui, toute opposée à l’hypocrisie, n’est pas moins savante, puisqu’on y dépense autant d’art pour se préserver des louanges que l’hypocrite emploie de ruse pour s’en attirer. Peu après la conversion de François, quand il était d’autant mieux soi-même qu’il était encore seul, Bernard de Quintavalle, qui se sentait attiré vers lui, mais qui voulait l’éprouver, l’ayant hébergé un soir et lui ayant offert un lit excellent, François parut bien aise de s’y étendre et feignit de s’y reposer, et ce fut seulement quand il crut toute la maison endormie qu’il se releva, pour passer la nuit en prières."
(Ceux qui connaissent comme moi l’oeuvre de Jean-Pierre Voyer seront peut-être sensibles à certains aspects de ce texte, notamment dans l’évocation du parfum de Madeleine…)
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