lundi 25 novembre 2019

Complément réaliste au précédent.

Oui, au sujet de la pauvreté. Je lis chez P. Yonnet ces lignes sur Céline : 

"Le Voyage est un grand livre sur les pauvres, la vie des pauvres, la vie pas toujours tragique mais douloureuse, remplie de peines et de plus ou moins grandes indignités, des pauvres, mais un ouvrage à double entente. Dans un premier discours, que je qualifierai de façade, réel mais en dissimulant un autre, Céline ne fait pas de cadeau aux pauvres. Ça ne me fait pas peur. C’est même pour moi une sorte de minimum vital. C’est ce qui crédibilise le reste."

Le réalisme, toujours. Passons au deuxième discours : 

"Céline écrivait : « Ils rajeunissent c’est vrai plutôt du dedans à mesure qu’ils avancent les pauvres, et vers leur fin pourvu qu’ils aient essayé de perdre en route tout le mensonge et la peur et l’ignoble envie d’obéir qu’on leur a donnée en naissant ils sont en somme moins dégoûtants qu’au début. Le reste de ce qui existe sur la terre c’est pas pour eux ! Ça les regarde pas ! Leur tâche à eux, la seule, c’est de se vider de leur obéissance, de la vomir. S’ils y sont parvenus avant de crever tout à fait alors ils peuvent se vanter de n’avoir pas vécu pour rien. » Avec mes mots laborieux d’une conscience naissante [P. Yonnet a lu le Voyage durant son adolescence] (…), j’avais compris : une vie de pauvre réussie, c’est une vie occupée à purger son être et son âme de la soumission reçue en héritage « de classe », consubstantiellement à la naissance."


Le pauvre qui n’a pas perdu sa vie, ce n’est pas celui qui devient riche (ça, c’est le rêve américain, une forme de concurrence de tous contre tous), ce n’est pas nécessairement celui qui se révolte (il faut voir les raisons de cette révolte, si par exemple elle vient d'une envie de commander plutôt que d'obéir, ce qui n'est pas mieux), c’est celui qui apprend au fil de sa vie qu’il ne vaut pas moins (au regard de Dieu ? pourquoi pas ?) que les autres, que les patrons, les riches, les notables, etc., tout ceux dont il croit au début qu'ils lui sont ontologiquement supérieurs. Ce ne peut être un but à l’origine, puisque c’est un savoir que seule l'expérience, et l'expérience d'une vie, permet éventuellement d’accumuler, mais c’est déjà pas mal. Et c’est bien sûr ce que la crétinisation de masse actuelle, de même que le refus de toute transcendance autre que politique ou sociale, vise à éviter autant que possible. 

(- Et vivent les Gilets Jaunes !)