Mort à tout le monde.
Le Net d'extrême-gauche, tendance Rezo, fourmille de textes plus ou moins contradictoires sur ces « autonomes » qui auraient fait du mal à nos belles lignes de train, les salauds. Parmi ces textes, celui de Claude Guillon a attiré mon attention. Je ne suis d'ordinaire pas très sensible à ce qu'écrit ce Monsieur, qui dans le temps souhaitait que tous ses compatriotes mâles se retrouvent l'anus aussi écarquillé que l'on peut supposer être le sien « propre », mais il a en l'occurrence raison de signaler - plus dans son titre que dans le contenu même de son texte - cette fascination des policiers pour les livres saisis chez les gens.
Fascination des policiers ou des journalistes d'ailleurs, car si les premiers, tels des sauvages lévi-straussiens, sont par déformation professionnelle soucieux de ne jamais rien négliger, à l'affût de tout ce qui peut être signifiant, les seconds font un peu plus que privilégier, par réflexe de classe (au sens de catégorie socio-professionnelle ; au sens marxiste ; au sens de classe d'école : ces gens sont de « bons élèves » dans le pire sens de l'expression), l'écrit : ils dévoilent ainsi leur « propre » rapport à ce qu'ils lisent.
Il suffirait d'avoir un livre chez soi pour, non seulement l'avoir lu, ce qui n'est déjà pas la règle, mais pour le connaître intimement, et surtout pour considérer son contenu comme une prescription. On serait non seulement influencé mais dirigé par ce qu'on a lu, par ce qu'on lit.
Qu'il y ait des rapports entre la personnalité de tel ou tel et sa bibliothèque est une évidence, mais il est difficile d'aller beaucoup plus loin que cette platitude. Entre la curiosité intellectuelle, l'intérêt pour les beaux livres, les inspirations subites, la paresse à se débarrasser de livres qu'on n'a pas ouverts depuis quinze ans, les cadeaux malencontreux qu'on ne jette pas pour ne pas froisser le donateur, les restes des achats d'ordre scolaire, etc., il y a déjà beaucoup de raisons pour que l'on possède beaucoup de livres dont on n'a en réalité pas grand-chose à faire. Si en plus on a des intérêts variés, cela donne une bibliothèque pour le moins diverse - qui peut même contenir un livre de M. Claude Guillon.
Entendons-nous : je n'ai aucune idée de la culpabilité ou non des « autonomes » dans ces histoires de sabotage, je ne cherche pas à les défendre ni à les attaquer, et la seule indication que j'aie pu avoir, venant de quelqu'un qui connaît (et admire) certaines des personnes arrêtées, est qu'elles peuvent très bien avoir fait le coup. Cela ne justifie pas pour autant la vision de la lecture telle qu'on peut la lire, justement, dans l'inconscient des journaputes : ces gens-là sont aux ordres du « fil AFP », ils en déduisent tout naturellement que les gens lisent comme eux, comme des papiers buvards.
Ce qui soit dit en passant n'est pas très éloigné de l'inconscient de M. Sarkozy, tel qu'il se donne à voir dans les procès que contrairement à ces prédécesseurs il aime à intenter à ceux qui le traitent quelque peu vertement. En toute rigueur, un tel comportement est un aveu : non pas un aveu que les insultes que l'on peut proférer à l'encontre du Président de Neuilly sont justifiées, mais un aveu qu'elles ont une chance de l'être, qu'elles ne sont pas irréelles. Quelqu'un de plus sûr que lui que cette petite frappe de banlieue ouest n'aurait pas besoin de la justice (qui n'a que ça à faire, c'est bien connu, mais passons) pour démontrer l'inanité des insultes reçues. D'une certaine manière, notre président nous épargne du temps : nous n'avons plus besoin de l'accuser de saleté morale, de malhonnêteté, de lâcheté, etc. : par sa façon d'en référer à la justice, de surcroît contre des gens moins puissants que lui, il a lui-même donné crédit à ces jugements, il a lui-même admis que ces jugements pouvaient être vrais.
Entre les deux cas, le journapute cireur-de-
pompes de base, et le président "je n'aime personne, je tringle qui je veux, elles sont trop contentes d'écarter les jambes pour moi - mais je veux qu'on m'aime !!", il y a des points communs, aussi bien dans le rapport aux institutions : la confiance aveugle en la police et la justice ; que dans une conception mécaniste des rapports humains : qui m'insulte est forcément indigne, qui lit, ou même seulement possède des livres hors-norme, est forcément lui-même hors-norme.
Cela rappelle les analyses de Bergson dans son ouvrage sur Le rire : l'hilarité naîtrait de la constatation du décalage entre la fluidité sans solution de continuité de la vie, et la raideur toute mécanique du comportement du personnage comique - avec cette dimension supplémentaire ici que les victimes du rire, le journaliste auxiliaire de la police et le président à gros ego, grosses talonnettes et toute petite bite - petite, forcément petite, aurait écrit Duras... - cherchent à faire partager aux autres leurs mécanisme primaire. Ach, leur mécanisme dans leur cul, et qu'on n'en parle plus.
Libellés : Bergson, Céline, Duras, Garaudy, Goebbels, Guillon, Lévi-Strauss, P. Guillaume, Rezo, Sarkozy, Un ami
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