jeudi 1 juin 2006

Domaine d'extension de la tartufferie. (Ajouts le 9 et le 11.06.)

Sans doute y a-t-il quelque superfluité à consacrer une part de son temps à un parvenu geignard comme Guy Birenbaum.


portrait.3


Que l'on veuille donc bien interpréter ce qui suit comme une nouvelle variation sur l'arrivisme, et le cas de M. Birenbaum comme une illustration, un "type idéal" : l'homme qui a toujours deux fers au feu.



De brefs passages prélevés sur son blog devraient convaincre assez rapidement de l'étonnante hypocrisie de ce monsieur.

Trois exemples j'espère suffiront.

Voyons ce que Guy Birenbaum dit de lui-même :
"Je suis éditeur (Editions Privé). Je suis universitaire (maître de conférence en disponibilité à Montpellier I). Je déteste la censure, l'auto censure, les lâchetés des "milieux" et les compromissions des "entourages" quels qu'ils soient. J'écris (Le Front national en politique, Balland 1993, La défaite impossible (avec Jean-Luc Mano), Ramsay, 1997, Nos délits d'initiés, Stock, 2003). Je chronique (une fois par semaine dans VSD, j'y tiens mon "Journal d'un initié"). Je débats (sur RTL dans "On refait le monde", émission animée par Pascale Clark (19h17-20h). J'écrivais pour le Vrai Journal de Karl Zero. Je suis en train de travailler à une série (fiction, 8X52mn) sur la politique pour Canal + (chez Tétra-Média). Je suis le scénariste d'une BD sur la présidentielle 2007 (dessinée par Samuel Roberts) qui sort tous les mois dans Technikart."

Faut-il épiloguer ? Un personnage qui se présente comme détestant "la censure, l'auto censure, les lâchetés des "milieux" et les compromissions des "entourages" quels qu'ils soient" ne craint pas le ridicule, il n'a même plus idée de ce que c'est. Oser écrire ça et croire qu'on ne va pas faire rire, ce n'est ni de l'aplomb ni de la naïveté, mais de la bêtise à l'état pur. D'autant bien sûr que la suite est éloquente : participation à l'anti-fascisme de pacotille, délit de racolage actif dans un tabloïd, talent évident pour manger à tous les rateliers, y compris ce qui se fait de plus répugnant en la matière - Technikart, crime permanent contre l'esprit, fait resurgir chez quelqu'un d'aussi proverbialement tolérant que moi des envies d'autodafé -, croyance bien contemporaine hélas en la pluralité de ses compétences (radio, presse écrite, fiction - BD et cinéma...) - tout cela est pour le moins éloquent. Vous aurez aussi remarqué l'air décidé mais finement ironique, sérieux mais aussi décontracté, que M. Birenbaum croit utile de prendre sur la photographie qu'il a estimé nécessaire de faire figurer sur son site. Vanité, vanité...

Ce n'est pas là néanmoins où je voulais en venir. Tout cela, pour amusant que cela puisse être quand on n'a rien de mieux dont s'occuper, est d'une grande banalité. Voyons donc comment notre personnage si honnête et irréprochable exerce ses talents de preux chevalier.

Sa cible actuelle ? Le couple Chirac-Villepin, régulièrement pris à partie - notamment il y a quelques jours. Fichtre, que de courage, patriote ! Deux canassons complètement vidés, en fin de course, lâchés par leurs propres amis, pour lesquels la curée a commencé il y a belle lurette, quelles belles cibles ! On a les Robespierre ou les Gambetta que l'on peut. Le moraliste politique d'aujourd'hui ne sait guère plus que tirer sur des ambulances en panne. Se préoccuper des périls à venir, Sarkozy, Royal et les autres, chercher autant que faire se peut à les prévenir, risquer donc de se faire des ennemis susceptibles de devenir dans les mois à venir plus puissants qu'ils ne le sont actuellement ... Là, non, bizarrement, ça bloque, le Birenbaum peut bien râler pour la forme (consultez ce petit chef-d'œuvre de prétention et de jésuitisme, genre "je ne me mouille jamais plus qu'il ne faut"), il ne fait pas de ces gens-là ses cibles privilégiées, Jacques Chirac et Dominique de Villepin sont tellement plus dangereux... On a beau être un fonctionnaire en disponibilité et donc ne pas risquer grand-chose si on se fait virer de RTL ou de VSD pour outrages aux majestés à venir, on a beau dire détester "l'auto censure", on sait jusqu'où ne pas aller trop loin. Sombre catin, va.

Mais je crois que le meilleur exemple de la petitesse morale de notre donneur de leçons, le meilleur exemple de sa façon de ne s'attaquer, flamberge au vent, qu'à ce qui n'est plus dangereux, se trouve dans son attitude à l'égard de gens qui lui ont rendu des services. G. Birenbaum a récemment mis en ligne un texte écrit depuis plusieurs mois, au sujet de Thierry Ardisson et Marc-Olivier Fogiel, en voici l'intégralité :

"Le « spectacle » est fini.

Plus aucun doute à avoir, le spectacle est terminé. Depuis une dizaine d’années l’actualité, le débat, les enjeux sociaux ou politiques mais aussi leurs passeurs et leurs porteurs se doivent d’être « spectaculaires » pour franchir la rampe des « talk-show ». Lieu ultime de « performance » pour toutes les sortes de témoignages, la télévision. Parmi la jungle de programmes, dédiés au show plus qu’au talk, deux personnalités ont réussi à capter la quasi-totalité des débats organisés sur le service public : par ordre d’apparition à l’écran, Thierry Ardisson et Marc Olivier Fogiel. Il n’est pas question de fustiger ici ces deux animateurs de talent, juste d’annoncer que le système qui les a faits roi est en train de s’écrouler. Nous approchons de la « dernière séance ».

Éditeur de profession depuis 7 ans, j’ai pris l’habitude – mauvaise - comme beaucoup de mes confrères de leur confier en exclusivité, à l’un ou à l’autre, la primeur des réflexions, des enquêtes ou des émois des auteurs que je publie. Pendant des années – l’âge d’or – il suffisait effectivement que l’un d’entre eux montre sa bouille un tout petit quart d’heure sur leurs plateaux pour que les courbes s’affolent et que les ventes s’envolent. Ce temps m’apparaît révolu. Certes, deux ou trois jours après que Fogiel ou Ardisson (et réciproquement) ont « vendu » nos livres, les libraires en commandent davantage. Il arrive même que nos auteurs pénètrent alors par effraction sur ces fameuses listes de « meilleures ventes », sans doute inventées par des admirateurs de feu le hit parade. En dépit de brefs frémissements commerciaux, une honnêteté minimale implique d’avouer qu’en matière de ventes réelles de livres on aurait grand tort de confondre les « sorties » quotidiennes et les « ventes nettes après retours ». Soyons ici précis. Oui, bien sûr, les libraires commandent davantage les livres des auteurs qu’ils ont vu « chez » Fogiel ou « chez » Ardisson - jamais « chez » les deux, c’est INTERDIT ! Mais, au fait, les vendent-ils ? Et bien franchement à 500 ou 1000 exemplaires près, la plupart du temps, la réponse est négative. Après avoir commandé trop de livres qui stagnent quelques jours sur puis sous leurs tables, les libraires nous les renvoient (les fameux « retours ») et nous devons les stocker dans des entrepôts géants puis les pilonner ou les solder.

Entendons nous bien, concernant certains témoignages bien trash (nos pauvres « people » souffrent de plus en plus ces derniers temps…) et quelques OLNIS (Objets littéraires non identifiés) la recette fonctionne encore. Mais pour des livres plus classiques, ou des enquêtes, à part faire plaisir aux auteurs, qui adorent renifler les grands fauves de près, le passage, souvent très tardif, dans l’une des deux émissions n’a à lui seul que des effets marginaux sur les ventes. En revanche, concernant les stars, les vraies, celles dont les initiales seules valent reconnaissance, les PPDA et autres BHL, sans parler de Jean d’O, ce ne sont pas leurs passages fréquents dans ces émissions qui font de leurs livres des best-sellers. Ils n’ont vraiment pas besoin de cela. À l’inverse, leur cote et leur présence très régulière sur les deux plateaux, ils y ont un rond de serviette, valent caution et confirment la légitimité des deux interviewers. Du coup, à faire croire aux auteurs encore méconnus que ces stars vendent parce que « Tout le monde en parle » ou qu’ « On ne peut pas plaire à tout le monde », on se trompe et on les trompe. Malheureusement, si la notoriété télévisuelle suscite bel et bien le succès, le bref passage télévisé d’un inconnu, même talentueux, entre une bimbo au décolleté pigeonnant, un acteur victime de sévices dans sa prime enfance ou un ancien alcoolique anonyme ne génère nullement une notoriété suffisante pour provoquer des ventes. Ne souhaitant pas blesser publiquement certains des auteurs qui se sont trouvé - parfois forcés par leur éditeur, je le reconnais - dans cette situation, je ne les citerais [sic !] pas. Mais, croyez-moi sur parole, ceux que je publie ont bien mesuré le rapport coût(coups)/avantage et on ne les y reprendra plus…

Ils ne sont pas, il est vrai, du « calibre » de ces femmes et hommes politiques qui n’acceptent de venir, en ouverture solitaire de ces émissions, qu’à leurs conditions. À savoir si l’on a auparavant nettoyé le plateau au karcher des potiches et autres agités qui font l’ordinaire des deux émissions. Une Bernadette, un Nicolas ou même une MAM ne fraient pas avec le menu fretin eux. Sans parler de ceux dont la « pointure » les autorise a [re-sic !] exiger d’être reçus – fêtés plutôt - hors des dispositifs traditionnels : dans une loge pour un Houellebecq (Ardisson) ou chez lui pour l’Abbé Pierre (Fogiel). Belle trouvaille du service public : l’interview à plusieurs vitesses ; selon que vous serez puissant ou misérable… Un Bernard Violet, par exemple, maltraité chez Fogiel pour sa biographie de Mylène Farmer pourrait en témoigner. Que décida-t-il après le tabassage ? De migrer chez Ardisson pour défendre son livre suivant sur PPDA… Aux « forts » du moment les privilèges, aux « faibles » les humiliations, en live ou en différé ; sans parler des annulations à trois heures de l’antenne voire même de celles parfois tentées tardivement dans la coulisse d’un enregistrement… Et encore, je n’évoque pas ici toutes les formes de pressions inventées par les programmatrices des deux émissions pour vous convaincre que l’herbe est plus tendre de leur côté, lorsque vous êtes l’heureux éditeur d’un livre que les deux équipes s’arrachent. Qui n’a pas subi les foudres matinales (8h15…) d’une Catherine Barma déchaînée (productrice d’Ardisson), prête à presque tout (des pires promesses aux menaces les plus amusantes) pour récupérer un invité (Pierre Martinet en l’occurrence, « Un agent sort de l’ombre ») promis à MOF, ne sait rien de la vraie vie… Et si par chance votre livre devient un best-seller (nul n’est à l’abri…), n’oubliez pas de dire merci : ce sera forcément beaucoup grâce à eux et fort peu en raison du reste des médias.

Sans doute, Fogiel et Ardisson, dont le professionnalisme n’est pas en cause, m’en voudront-ils beaucoup. Mais je prends avec le sourire le risque qu’en guise de représailles, ils n’invitent plus les auteurs que je publie, vu les effets que je décrits. Surtout, je les sais plus fin [re-re...] que cela, l’un et l’autre ! Quant aux gentils confrères qui sortiront des chiffres pour me démentir et s’allonger encore devant nos deux divas, je leur cède bien volontiers la place.

Reste à se demander pourquoi ce « vu à la télé » fait aujourd’hui moins recette. Pourquoi Fogiel et Ardisson ont-ils perdu une bonne partie de leur caractère prescripteur ? La réponse est assez évidente. À force de promouvoir tout et parfois n’importe quoi, de bourrer - sans discernement - leurs plateaux d’imposteurs notoires, d’imprécateurs malhonnêtes mais aussi de sincères provocateurs, de vanter surtout à l’identique, et sans toujours vouloir les départager, les mérites du plus bidon des témoignages comme ceux du document le plus novateur, Ardisson et Fogiel ont lourdement entamé leur crédit. Bien sûr, les téléspectateurs les regardent – encore… – comme on peut assister fasciné à des jeux du cirque. Mais ils ne les croient plus du tout, ni eux, ni leurs invités. Ils savent surtout très bien, pour avoir été forcément déçus par un achat compulsif au lendemain d’une émission, qu’au prétexte d’informer, ces émissions sont devenues des machines à promo. Les livres, les disques, les films ou les spectacles vendus ne sont que les prétextes à des interviews destinées à faire rire, frémir ou émouvoir, pourvu qu’ils les protège de l’arme fatale, l’épée de Damoclès qui menace et sanctionne les deux animateurs : la redoutable médiamétrie du lendemain matin. D’ailleurs, le dimanche, dès potron-minet – juste avant la messe - Ardisson vous envoie en personne - par texto – les chiffres d’audience de son émission de la veille (PDA et PDM), pour peu que l’un de vos auteurs ait débuté la nuit en sa compagnie ! Un véritable « service après vente » au sens propre du terme sans parler de l’effet du message dominical sur l’ego de l’éditeur moyen ! Si cela part d’un bon sentiment, et si l’on est évidemment heureux pour nos deux « amis » d’avoir parfois participé à leurs succès, sachez que cela ne fait plus le nôtre".

On est bien sûr libre d'apprécier les renseignements donnés ici sur les mœurs des animateurs payés par nos impôts. Mais laissons tout de suite notre debordien de choc nous expliquer d'où viennent ces lignes :

"J'ai souhaité publier ce texte.

Je me suis dis que Le Monde des Livres était le bon endroit.

J'en ai envoyé une première version à son nouveau patron Franck Nouchi.

Il a immédiatement été intéressé par la démarche : un éditeur qui ose se confronter à Ardisson et Fogiel, c'est, disons, peu fréquent.

Nous nous sommes donc parlés. Il m'a demandé de "durçir" le texte. J'étais à Nîmes, ça m'a pris trois jours.

Il voulait, me disait-il, le publier page 2, sa page de "débats". Nous nous sommes alors rencontrés avec Bob, la chargée de comm de Privé.

La rencontre fut étrange. "Vous sentez le soufre" m'expliqua-t-il. "Le texte" ? "Oui oui" il allait le publier.

Mais ça ne pouvait pas aller si vite. Il fallait qu'un journaliste enquête sur ces émissions, sur les ventes de livres, etc.

Et puis, lui, il prenait juste ses fonctions, alors quelques semaines et il le publierait, etc.

Au bout de plusieurs semaines de silence, je lui ai finalement demandé - par mail - de ne pas le publier, parce que j'avais le sentiment qu'en fait ce type me baladait. Fin de l'histoire.

Du coup, ce texte vieux de 7 mois, j'ai pensé que ce serait dommage que personne ne le lise jamais..."


Effectivement, c'eût été regrettable. J'ose espérer que le lecteur est aussi sensible que moi à cet écœurant mélange de mise en avant de soi (que je suis courageux ! - mais aussi : que je suis complexe, impur ! romanesque ! faustien, disons-le ! Scrupuleux mais réaliste, don Quichotte mais lucide, intègre mais pas dupe ! - salopard, crapule, racaille, la plus usée et la plus toxico des travailleuses de la rue Blondel a plus de respect pour elle-même que toi) et de cynisme pour le coup presque innocent : Guy Birenbaum réalise-t-il que tout son texte proclame : je n'ose dire du mal de ces gens (et encore, avec les précautions de rigueur sur le "professionnalisme" et le "talent" des animateurs visés) que parce qu'ils ne font plus assez vendre mes bouquins ?

Soyons clairs : qu'en tant qu'éditeur M. Birenbaum ait envoyé ses auteurs faire vendre chez T. Ardisson et M.-O. Fogiel, cela fait partie du "jeu", je n'ai rien à redire, rien à en penser. Qu'il ait eu mal au cœur en ces occasions, tant mieux certes, si l'on y tient. Qu'il exhibe ce mal au cœur - c'est déjà faire la pute, c'est vouloir - on y revient souvent de nos jours - le beurre, l'argent du beurre et le sourire de la crémière : il faudrait le louer pour son efficacité commerciale, pour ses scrupules, et pour ses aveux - rien que ça. Qu'enfin il s'empresse de cracher sur ce système et de s'en dissocier dès que ce système ne sert plus ses intérêts financiers aussi bien qu'avant... Cellulite, placebo, douve de la morale publique !

Dès que vous voyez venir le mot "principe", sortez votre méfiance...

Il est évident sans doute que je n'ai rien contre Guy Birenbaum en particulier. Mais l'époque (et l'apparition des blogs) est propice à l'épanouissement de ces charognards de fins de règne, qui poussent des cris d'orfraie à l'égard de ce qui n'est plus un danger pour personne, afin de mieux se mettre dans le sens du vent et de profiter des nouvelles opportunités que les pouvoirs à venir ne manqueront pas de leur offrir. Ach, c'est la comédie humaine (si je connaissais mieux mon Balzac, probablement trouverais-je un très proche équivalent de M. Birenbaum dans sa peinture des troubles politiques du début du XIXè siècle), il faut un reste d'esprit utopique pour croire que cela peut vraiment changer un jour. Mais on ne voit pas en quoi le fait qu'il y ait toujours eu des canailles les exonère de leur canaillerie et empêche que de temps à autre on leur dise leur fait.



- Jacques Bouveresse, Dieu le bénisse, écrit dans son livre en hommage à Bourdieu : "On peut craindre qu’il n’y ait malheureusement rien à quoi l’homme d’aujourd’hui s’habitue aussi facilement et qui finisse par lui sembler aussi naturel que l’inconséquence. Penser d’une façon et agir d’une autre peut malheureusement devenir un habitus et même constituer l’habitus moderne par excellence." (Ce que j'ai appris de Bourdieu, Agone, 2003 - je crois que c'est surtout Bourdieu qui avait à apprendre de Bouveresse, mais passons). Il serait intéressant de voir jusqu'où, des points de vue synchronique et diachronique, l'on peut étendre ce diagnostic. Les socialistes depuis des temps immémoriaux (l'assassinat de Jaurès ?), Guy Birenbaum en fournissent déjà de pertinentes illustrations.




Ajout le 09.06.

Le hasard (mais l'auteur dont je vais parler dit justement qu'il n'existe pas pour les grands hommes...) fait que je tombe sur ce fragment de Nietzsche, qui m'a tout l'air d'avoir influencé, conscienmment ou pas, Bouveresse (lequel clame dans Le philosophe et le réel son admiration pour le moraliste en Nietzsche) :

"La lâcheté devant les conséquences - le vice moderne -"

(Oeuvres philosophiques complètes, Gallimard, t. XIV, p. 28). Autant dire que le problème ne date pas d'aujourd'hui. J'en profite pour placer une idée qui me trotte dans la tête depuis un certain temps, depuis en fait que j'ai lu la phrase de Jacques Bouveresse. L'aristocratie française du XVIIIè siècle, dépossédée de son rôle historique par la naissance et l'affirmation de l'absolutisme royal, fut, entre deux partouzes, une grande admiratrice des Lumières, qui pourtant allaient de fil en aiguille la conduire à la découpe, et elle joua même dans certains cas un rôle actif pour leur promotion. Voilà un beau cas d'inconséquence, dont je ne sais pas à quel point on peut le comparer avec l'"habitus moderne" évoqué par Bouveresse. Cela ferait en tous cas de nos nobles fin de race les lointains devanciers des petits-bourgeois actuels - ce qu'ils ont été aussi, d'un autre point de vue, durant la Restauration, quand leur attitude communautariste ("Nous les nobles méritons...", "A nous les nobles le pays doit réparation...") avant la lettre désespérait Chateaubriand et de Maistre, et ruinait les espoirs d'une reconstruction point trop chaotique du pays. Nous serions, si je poursuis cette piste, à la fois à la veille d'une révolution et, comme on le dit d'ailleurs souvent (Godard, Hazan...), en pleine Restauration. J'ajouterai la monarchie de Juillet - la "monarchie de l'argent", comme disait François-René -, pour compléter le tableau. Sacré cocktail, il n'y a plus qu'à utiliser le shaker.

Je reviens sur cette idée d'inconséquence, via Max Weber et sa célèbre distinction (La profession et la vocation de politique, La découverte, 2003, à partir de la p. 192) entre "l'éthique de la conviction" et "l'éthique de la responsabilité" :

"Il y a une opposition profonde entre l'action qui se règle sur la maxime de l'éthique de la conviction (en termes religieux : "le chrétien agit selon la justice, et il s'en remet à Dieu pour le résultat" [Luther]), et celle qui se règle sur la maxime de l'éthique de responsabilité selon laquelle on l'on doit assumer les conséquences (prévisibles) de son action."

De façon plus ou moins pertinente, pour l'époque et par rapport à maintenant, Weber (nous sommes en 1919) prend ses exemples de l'éthique de la conviction dans ce que nous appellerions l'extrême-gauche - les syndicalistes révolutionnaires, les pacifistes. L'important en ce qui nous occupe aujourd'hui est son rappel, grâce à cette distinction, de ce qui devrait être une évidence : si l'on fait de la politique, on doit assumer les conséquences politiques (prévisibles, concept approximatif mais opératoire) de son engagement. Ce que ne font pas, mais alors pas du tout, nos communautaristes de tous bords, lesquels semblent avoir pris pour devise la formule de Luther, ainsi mise au goût du jour : "l'homme actuel agit et réclame selon son bon plaisir, et il s'en remet au hasard, dont par ailleurs il nie l'existence, pour le résultat." [14.06.] C'est le Christ revisité : Aimez-vous les uns les autres en commençant par moi. [11.06] Faut-il d'ailleurs encore parler d'éthique de la conviction, ou d'"éthique de ma conviction" ? Les syndicalistes révolutionnaires, les pacifistes avaient une vision altruiste des choses. Les communautaristes ne s'occupent que d'eux-mêmes. [Retour au 9.06]. Et finalement, je ne sais pas si l'Histoire est rusée mais en tout cas elle peut être drôle, ce serait chez les religieux que l'on trouverait aujourd'hui le sens des responsabilités politiques - ou, dans certains cas, que l'on assume soi-même les responsabilités de ses actes.

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Ach, je ne sais pas plus qu'un autre si tout ce que l'on a dit sur lui est vrai, je n'ai pas outre mesure de fascination macho-pédé pour les soldats et/ou les tueurs, mais tout de même, voilà quelqu'un qui est allé au bout de ses idées ! Quand Guy Birenbaum ou Louis-Georges Tin risqueront le centième de ce que lui et ses amis ont risqué, je ferai amende honorable, non au sujet de leurs écrits, mais à l'égard de leurs personnes.

(Le 11.06)
A toutes fins utiles - le café du commerce, lieu de l'irréprochable citoyenneté !

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