dimanche 22 octobre 2006

Pont-aux-ânes.

Il y a la phrase : "La démocratie est le pire des régimes, à l'exception de tous les autres" ("Democracy is the worst form of government, except for all those other forms that have been tried from time to time.", novembre 1947 : à la lire en l'extrayant de son contexte, on est tout de même surpris : c'est plutôt la démocratie qui dans l'histoire a été essayée "from time to time", c'est elle l'exception, Churchill semble suggérer le contraire. Passons.), et il y a son usage.

On la cite tellement désormais qu'elle est censée tout excuser. Ce n'est pas grave si nous sommes des enfoirés, puisque nous sommes démocrates ! Un tel essentialisme frôle le racisme.

Imaginons un buveur régulier et un alcoolique. Le premier boit moins que le second : s'il regrette tout de même de boire, et l'avoue, il se juge néanmoins supérieur à l'autre, et ne se gêne pas non plus pour le faire savoir. Effectivement, lorsqu'il est sobre, il mène une vie tout à fait normale, bien plus que l'autre. Mais chaque fois qu'il boit, sous prétexte qu'il n'est pas alcoolique, et que donc il ne peut être vraiment dangereux, il prend sa voiture et provoque ou manque de provoquer un accident. L'alcoolique, plus prudent, rentre à pied ou en taxi quand il a un coup dans l'aile.

Nos bombes, nos accointances de plus en plus marquées avec l'arbitraire, notre arrogance même, où est le problème ? Nous sommes tellement modestes, et tellement démocrates, et modestes parce que démocrates, grâce à saint Churchill, et peut-être même démocrates parce que modestes (ce qui serait plus difficile à prouver). Nous cherchons à gagner sur tous les tableaux : lorsque nous faisons quelque chose de bien, c'est parce que nous sommes démocrates ; lorsque nous faisons quelque chose de mal, c'est malgré notre amour de la démocratie, et, voyez si nous ne sommes pas merveilleux : nous sommes parfois capables de l'admettre, ou certains d'entre nous, en l'admettant, dédouanent tous les autres, puisqu'ils ont le droit de l'admettre (on a eu de beaux exemples de cette manière de faire avec les critiques contre l'armée en Israël après les déboires subis au Liban : regardez cette merveilleuse démocratie, où l'on ose dire du mal du pouvoir. Que le pouvoir en question ne se soit pas du tout comporté de façon démocratique dans les semaines précédentes en devenait d'un coup moins gênant...) Et lorsque les autres font quelque chose de bien, c'est malgré leur régime. Et s'il leur arrive d'admettre qu'ils font quelque chose de mal, c'est toujours grâce à de "courageux opposants", qui ne dédouanent pas leurs compatriotes de leur ignominie, mais au contraire les accablent.

De fait, il est indéniablement plus aisé, pour l'instant, d'être avocat de sans-papiers en France, que militant des droits de l'homme en Arabie Saoudite ou en Syrie (je prends un pays fabriqué par les Américains et un rogue state comme exemples, pas de jaloux). Déjà si l'on prend comme élément de comparaison le sans-papier lui-même, l'écart des situations tend à diminuer. Surtout, il y a deux facteurs à ne pas perdre de vue :

- considérer sans arrêt nos faiblesses comme mineures, puisqu'après tout ce que les autres font est toujours pire, ne va pas dans le sens d'une grande rigueur vis-à-vis de nous-mêmes. Autant dire que nous ne semblons pas sur une très bonne pente, et que les écarts en question risquent de diminuer - surtout si les "non-démocraties" cherchent à nous prendre à notre propre jeu, ce qui serait certes une bonne nouvelle ;

- ce qui a fait acheter aux gens la démocratie, ce n'est pas tant le droit de vote, c'est la perspective d'en finir avec le degré d'arbitraire auquel était parvenu l'Ancien régime. Si la démocratie réintroduit cet arbtraire, il est à parier que les gens ne considéreront pas très longtemps que mettre une enveloppe dans un bulletin une fois de temps en temps, et somnoler leur digestion devant une télé plasma compenseront la crainte du retour du n'importe quoi juridique. Et il y a la situation : on préfère toujours vivre à la dure, avec des règles du jeu claires, que le contraire.

Il est vrai que, sur ces deux dernières phrases, avec les moeurs actuelles, on ne peut jurer de rien. Mais il n'y a tout de même pas que des bobos dans ce pays, il y a encore quelques agriculteurs, quelques vieux, pas mal d'alcooliques et un bon paquet d'Arabes, dont on espère tout de même qu'ils ne sont pas tous prêts à tous les sacrifices pour "s'intégrer".

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