Homosexualité et décadence.
Lorsqu'un auteur vous donne des clés nouvelles pour formuler une idée qui vous trotte dans la tête depuis longtemps, il serait dommage de se priver. En empruntant des concepts à René Girard, on peut me semble-t-il comprendre pourquoi l'on voit souvent apparaître dans des périodes de décadence une généralisation relative et une visibilité accrue des comportements homosexuels. La fin de l'Empire Romain, le dernier Moyen Age, la période actuelle, en sont trois exemples.
Comme à l'accoutumée, quelques précisions s'imposent pour circonscrire la portée et le but de mon propos :
- René Girard a lui-même énoncé une très stimulante théorie de l'homosexualité, notamment dans les pp. 467-471 de l'édition "Poche" des Choses cachées depuis la fondation du monde (Grasset, 1978), mais je n'y ferai référence que par la bande. En règle générale, il est possible de considérer les analyses de Girard de façon soft ou hard : on peut, dans le premier cas, lui emprunter quelques intuitions d'ordre sociologique ou anthropologique, et les appliquer à d'autres domaines ; dans le deuxième cas, on adopte ou on affronte consciemment des hypothèses très fortes sur les Origines de la culture (Desclée de Brouwer, 2004). Je suivrai ici, on l'aura compris, la première manière de faire.
- Il y a par rapport à tout ce que je vais écrire au moins un contre-exemple d'école (mais ne faut-il pas se méfier de ce genre d'évidence ?), les Grecs. Je ne pense pas que ce soit gênant pour les phénomènes que je vais tenter de décrire, mais cela montre qu'il s'agit ici, prenons-nous pour Max Weber, d'une hypothèse de causalité, féconde dans certains cas, pas d'une théorie générale. Il m'intéresse en tous les cas moins d'avoir raison ou tort sur les Grecs ou la fin du Moyen Age que sur la période actuelle.
- Par exception, je ne suivrai pas totalement le dictionnaire (Robert), dont voici la définition de la décadence : "Acheminement vers la ruine ; état de ce qui dépérit, périclite." A proprement parler, j'aurais pu intituler cette note "Conséquences de la décadence et homosexualité", même si ce n'aurait pas été non plus parfaitement exact. Mais entrons dans le sujet.
Dans l'"état de ce qui dépérit, périclite", ce qui m'intéresse n'est pas la connotation péjorative, c'est le processus de dissolution des repères constitutifs de la société : les frontières traditionnelles se brouillent, les gens ne savent plus trop où ils (en) sont. L'intérêt des intuitions de Girard (dès Mensonge romantique et vérité romanesque, Grasset, 1961), est de ne pas formuler ce type d'évolution sur le mode traditionnel : "Les gens se croient tout permis" - et donc se jettent les uns sur les autres (vision "réactionnaire" qui a son symétrique dans des formes de propagande pro-homosexualité : si dès qu'il y a moins d'interdits l'homosexualité apparaît, c'est qu'elle était auparavant latente chez chacun). L'approche est plus large et moins moralisatrice : quand il y a des barrières strictes, morales et entre classes sociales, les gens savent ce qu'ils peuvent ou non désirer. Il y a bien sûr toujours des exceptions pour, depuis le fin fond de la société, parvenir à s'élever jusqu'au sommet ou à avoir une aventure avec une femme de la haute, il y a, en plus grand nombre, des percées moins fracassantes et des déclassements plus ou moins définitifs, mais ces dynamiques n'affectent pas la stabilité de l'ensemble et des références communes à tous.
A l'inverse, en période de "décadence", dans tous les domaines les repères se perdent, ce sont donc tous les désirs qui se retrouvent déboussolés : on peut espérer plus ou moins, selon les cas, que ce à quoi on était habitué, un poids d'indétermination se retrouve attaché à chaque désir, qu'il soit financier, lié à la consommation, ou sexuel. Dit autrement : ce qui est intéressant n'est pas que l'on se réjouisse ou se désole de l'effondrement des barrières sociales et culturelles qui assuraient la stabilité de l'ensemble, c'est que ces barrières constituaient des différences, sinon infranchissables, du moins très nettement marquées, et qu'avec la décadence ces différences s'effacent, rendant non seulement réalisables pratiquement, mais surtout intellectuellement envisageables, des désirs auparavant motivés par rien ou presque. Et c'est au sein de ce processus global d'indifférenciation que se produit l'effacement des différences sexuelles et des prescriptions sexuelles, que ce qui était inconcevable et criminel il y a peu se retrouve, sinon favorablement connoté, du moins toléré - indifférent.
Ce processus peut ne pas toucher, ou dans des proportion limitées (fin du XVIIIè siècle français) les moeurs sexuelles - même s'il y n'y a pas tant de domaines que cela où il peut se manifester. Il peut aussi ne pas avoir besoin de les toucher, si l'homosexualité, comme chez les Grecs, fait partie d'un art de vivre peut-être pas constitutif de la société, mais du moins fort lié à la façon dont ses participants les plus actifs et les plus représentatifs, les mâles libres, la conçoivent.
J'ai utilisé tout à l'heure le terme "latente". Dans le cadre de mon analyse, on peut l'accepter, à condition d'en relativiser la portée : l'homosexualité peut être latente chez tout un chacun (remarquons qu'à l'instar ce ce qui se passe chez Girard ces idées n'impliquent aucune prise de position sur les problématiques biologiques et génétiques de l'homosexualité), mais ni plus ni moins, fondamentalement, que le désir d'avoir une belle voiture (ou une plus belle voiture que le voisin), de devenir homme politique, star de cinéma ou de télé-réalité.
Le titre "Conséquences de la décadence et homosexualité" serait donc restrictif par rapport au processus, car bien sûr, si un phénomène de valorisation sociale de l'homosexualité se met en place - comme c'est le cas à notre époque -, ce qui conduit d'ailleurs à la mise en place d'un nouvel ordre, de nouvelles différences, cela suscitera des comportements subordonnés à cette valorisation, comportements qui, s'ils sont assez nombreux, contribueront à leur propre généralisation, dans des limites plus ou moins vastes. Ce qui était effet devient aussi cause. Ce pourquoi, si l'argument entendu périodiquement "C'est à la mode d'être pédé" est bien court pour désigner des choix de vie assez essentiels, il met néanmoins le doigt sur cette réalité qu'en matière de moeurs aussi l'esprit grégaire a droit de cité. (A fortiori lorsqu'il s'agit d'être "fier" des moeurs en question, mais là n'est pas notre sujet.)
Qu'une époque de forte valorisation et de forte visibilité de l'homosexualité puisse aussi croire être une époque de "retour de l'ordre moral" traditionnel est une spécificité qui ne manque pas de sel, mais sur laquelle on ne reviendra pas aujourd'hui. Muray l'a très bien expliqué, c'est connu. En revanche, il me semble qu'il n'a pas poussé son raisonnement jusqu'au bout, et que, dans son rapport compliqué à Girard, que maintenant je suis virtuellement capable d'expliquer, sans vraiment se contredire il a trop laissé de flou dans ses analyses, en attaquant la question de la visibilité homosexuelle actuelle sous les seuls angles de l'indifférenciation et du paradoxe de la naissance d'une sorte d'ordre moral de l'indifférenciation. Bien sûr, tout cela est capital, et quant à moi c'est à Muray que je dois de l'avoir compris, mais il faut aller plus loin dans l'articulation de ce paradoxe à cette indifférenciation.
Car si les associations communautaristes gay sont aussi policières d'esprit, ce n'est pas seulement du fait de l'arrivisme de leurs membres se cramponnant à leur petit pouvoir, ce n'est pas seulement à cause de l'impudeur contemporaine, ce n'est pas seulement parce que la où la Loi recule le plus souvent les flics s'installent, c'est parce qu'à partir du moment où l'homosexualité n'est pas seulement tolérée ou indifférente, mais valorisée, il y a hiérarchisation, il y a création d'un nouvel ordre. Et créer un nouvel ordre à partir de l'indifférenciation, ce n'est pas commode, c'est justement un des paradoxes de la modernité - d'autant plus aigus dans un domaine aussi différenciateur que la sexualité. Il suffit de penser aux volte-face de Mme Royal sur le sujet : on peut y voir de pures préoccupations électoralistes, on peut aussi y voir les difficultés d'une zélatrice d'un "ordre juste", formule empruntée à Benoît XVI, à aller jusqu'au bout de ses idées sur le sujet sans retomber, pour le coup, dans un ordre réactionnaire et inadapté au temps présent.
En deux mots : dans le contexte actuel les associations gay sont une plaie inévitable. Avouons qu'il y a de pires choses à supporter. Pour l'instant.
Prions !
Comme à l'accoutumée, quelques précisions s'imposent pour circonscrire la portée et le but de mon propos :
- René Girard a lui-même énoncé une très stimulante théorie de l'homosexualité, notamment dans les pp. 467-471 de l'édition "Poche" des Choses cachées depuis la fondation du monde (Grasset, 1978), mais je n'y ferai référence que par la bande. En règle générale, il est possible de considérer les analyses de Girard de façon soft ou hard : on peut, dans le premier cas, lui emprunter quelques intuitions d'ordre sociologique ou anthropologique, et les appliquer à d'autres domaines ; dans le deuxième cas, on adopte ou on affronte consciemment des hypothèses très fortes sur les Origines de la culture (Desclée de Brouwer, 2004). Je suivrai ici, on l'aura compris, la première manière de faire.
- Il y a par rapport à tout ce que je vais écrire au moins un contre-exemple d'école (mais ne faut-il pas se méfier de ce genre d'évidence ?), les Grecs. Je ne pense pas que ce soit gênant pour les phénomènes que je vais tenter de décrire, mais cela montre qu'il s'agit ici, prenons-nous pour Max Weber, d'une hypothèse de causalité, féconde dans certains cas, pas d'une théorie générale. Il m'intéresse en tous les cas moins d'avoir raison ou tort sur les Grecs ou la fin du Moyen Age que sur la période actuelle.
- Par exception, je ne suivrai pas totalement le dictionnaire (Robert), dont voici la définition de la décadence : "Acheminement vers la ruine ; état de ce qui dépérit, périclite." A proprement parler, j'aurais pu intituler cette note "Conséquences de la décadence et homosexualité", même si ce n'aurait pas été non plus parfaitement exact. Mais entrons dans le sujet.
Dans l'"état de ce qui dépérit, périclite", ce qui m'intéresse n'est pas la connotation péjorative, c'est le processus de dissolution des repères constitutifs de la société : les frontières traditionnelles se brouillent, les gens ne savent plus trop où ils (en) sont. L'intérêt des intuitions de Girard (dès Mensonge romantique et vérité romanesque, Grasset, 1961), est de ne pas formuler ce type d'évolution sur le mode traditionnel : "Les gens se croient tout permis" - et donc se jettent les uns sur les autres (vision "réactionnaire" qui a son symétrique dans des formes de propagande pro-homosexualité : si dès qu'il y a moins d'interdits l'homosexualité apparaît, c'est qu'elle était auparavant latente chez chacun). L'approche est plus large et moins moralisatrice : quand il y a des barrières strictes, morales et entre classes sociales, les gens savent ce qu'ils peuvent ou non désirer. Il y a bien sûr toujours des exceptions pour, depuis le fin fond de la société, parvenir à s'élever jusqu'au sommet ou à avoir une aventure avec une femme de la haute, il y a, en plus grand nombre, des percées moins fracassantes et des déclassements plus ou moins définitifs, mais ces dynamiques n'affectent pas la stabilité de l'ensemble et des références communes à tous.
A l'inverse, en période de "décadence", dans tous les domaines les repères se perdent, ce sont donc tous les désirs qui se retrouvent déboussolés : on peut espérer plus ou moins, selon les cas, que ce à quoi on était habitué, un poids d'indétermination se retrouve attaché à chaque désir, qu'il soit financier, lié à la consommation, ou sexuel. Dit autrement : ce qui est intéressant n'est pas que l'on se réjouisse ou se désole de l'effondrement des barrières sociales et culturelles qui assuraient la stabilité de l'ensemble, c'est que ces barrières constituaient des différences, sinon infranchissables, du moins très nettement marquées, et qu'avec la décadence ces différences s'effacent, rendant non seulement réalisables pratiquement, mais surtout intellectuellement envisageables, des désirs auparavant motivés par rien ou presque. Et c'est au sein de ce processus global d'indifférenciation que se produit l'effacement des différences sexuelles et des prescriptions sexuelles, que ce qui était inconcevable et criminel il y a peu se retrouve, sinon favorablement connoté, du moins toléré - indifférent.
Ce processus peut ne pas toucher, ou dans des proportion limitées (fin du XVIIIè siècle français) les moeurs sexuelles - même s'il y n'y a pas tant de domaines que cela où il peut se manifester. Il peut aussi ne pas avoir besoin de les toucher, si l'homosexualité, comme chez les Grecs, fait partie d'un art de vivre peut-être pas constitutif de la société, mais du moins fort lié à la façon dont ses participants les plus actifs et les plus représentatifs, les mâles libres, la conçoivent.
J'ai utilisé tout à l'heure le terme "latente". Dans le cadre de mon analyse, on peut l'accepter, à condition d'en relativiser la portée : l'homosexualité peut être latente chez tout un chacun (remarquons qu'à l'instar ce ce qui se passe chez Girard ces idées n'impliquent aucune prise de position sur les problématiques biologiques et génétiques de l'homosexualité), mais ni plus ni moins, fondamentalement, que le désir d'avoir une belle voiture (ou une plus belle voiture que le voisin), de devenir homme politique, star de cinéma ou de télé-réalité.
Le titre "Conséquences de la décadence et homosexualité" serait donc restrictif par rapport au processus, car bien sûr, si un phénomène de valorisation sociale de l'homosexualité se met en place - comme c'est le cas à notre époque -, ce qui conduit d'ailleurs à la mise en place d'un nouvel ordre, de nouvelles différences, cela suscitera des comportements subordonnés à cette valorisation, comportements qui, s'ils sont assez nombreux, contribueront à leur propre généralisation, dans des limites plus ou moins vastes. Ce qui était effet devient aussi cause. Ce pourquoi, si l'argument entendu périodiquement "C'est à la mode d'être pédé" est bien court pour désigner des choix de vie assez essentiels, il met néanmoins le doigt sur cette réalité qu'en matière de moeurs aussi l'esprit grégaire a droit de cité. (A fortiori lorsqu'il s'agit d'être "fier" des moeurs en question, mais là n'est pas notre sujet.)
Qu'une époque de forte valorisation et de forte visibilité de l'homosexualité puisse aussi croire être une époque de "retour de l'ordre moral" traditionnel est une spécificité qui ne manque pas de sel, mais sur laquelle on ne reviendra pas aujourd'hui. Muray l'a très bien expliqué, c'est connu. En revanche, il me semble qu'il n'a pas poussé son raisonnement jusqu'au bout, et que, dans son rapport compliqué à Girard, que maintenant je suis virtuellement capable d'expliquer, sans vraiment se contredire il a trop laissé de flou dans ses analyses, en attaquant la question de la visibilité homosexuelle actuelle sous les seuls angles de l'indifférenciation et du paradoxe de la naissance d'une sorte d'ordre moral de l'indifférenciation. Bien sûr, tout cela est capital, et quant à moi c'est à Muray que je dois de l'avoir compris, mais il faut aller plus loin dans l'articulation de ce paradoxe à cette indifférenciation.
Car si les associations communautaristes gay sont aussi policières d'esprit, ce n'est pas seulement du fait de l'arrivisme de leurs membres se cramponnant à leur petit pouvoir, ce n'est pas seulement à cause de l'impudeur contemporaine, ce n'est pas seulement parce que la où la Loi recule le plus souvent les flics s'installent, c'est parce qu'à partir du moment où l'homosexualité n'est pas seulement tolérée ou indifférente, mais valorisée, il y a hiérarchisation, il y a création d'un nouvel ordre. Et créer un nouvel ordre à partir de l'indifférenciation, ce n'est pas commode, c'est justement un des paradoxes de la modernité - d'autant plus aigus dans un domaine aussi différenciateur que la sexualité. Il suffit de penser aux volte-face de Mme Royal sur le sujet : on peut y voir de pures préoccupations électoralistes, on peut aussi y voir les difficultés d'une zélatrice d'un "ordre juste", formule empruntée à Benoît XVI, à aller jusqu'au bout de ses idées sur le sujet sans retomber, pour le coup, dans un ordre réactionnaire et inadapté au temps présent.
En deux mots : dans le contexte actuel les associations gay sont une plaie inévitable. Avouons qu'il y a de pires choses à supporter. Pour l'instant.
Prions !
Libellés : Benoit XVI, Girard, Muray, Weber
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