Muray expliqué par Girard - ou comment les religions détruisent, entre autres, les libéraux-libertaires.
"Les modernes s'imaginent toujours que leurs malaises et leurs déboires proviennent des entraves qu'opposent au désir les tabous religieux, les interdits culturels, et même de nos jours les protections légales des systèmes judiciaires. Une fois ces barrières renversées, pensent-ils, le désir va s'épanouir ; sa merveilleuse innocence va enfin porter ses fruits.
Ce n'est jamais vrai. A mesure que le désir élimine les obstacles extérieurs, savamment disposés par la société traditionnelle pour prévenir les contagions du désir, l'obstacle structurel suscité par les interférences mimétiques, l'obstacle vivant du modèle immédiatement métamorphosé en rival se substitue fort avantageusement, ou plutôt désavantageusement, à l'interdit défaillant. Au lieu de cet obstacle inerte, passif, bénévole et identique pour tous, donc jamais vraiment humiliant ou traumatisant, que leur opposaient les interdits religieux, les hommes, de plus en plus, ont affaire à l'obstacle actif, mobile et féroce du modèle métamorphosé en rival, un obstacle activement intéressé à les contrarier personnellement et merveilleusement équipé pour y réussir.
[Car les hommes désirent ce que leurs modèles désirent et ont déjà obtenu avant eux... Il faudrait par ailleurs nuancer l'usage du terme "traumatisant", qui présuppose - à raison, mais c'est un point intéressant - que les gens sont, ou sont devenus, "traumatisables".]
Plus les hommes croirent réaliser leurs utopies du désir, en somme, plus ils embrassent leurs idéologies libératrices, plus ils travaillent, en réalité, au perfectionnement de l'univers concurrentiel au sein duquel ils étouffent. Mais loin de s'aviser de leur erreur, ils continuent de plus belle et confondent systématiquement l'obstacle exterrne de l'interdit avec l'obstacle interne du partenaire mimétique. Ils ressemblent aux grenouilles mécontentes de ce roi soliveau que leur a envoyé Jupiter [allusion à une fable de La Fontaine, à relire pour les élections à venir], et qui, à force d'importuner les dieux par leurs criailleries, sont de plus en plus exaucées par eux. La meilleure façon de châtier les hommes, c'est de leur donner toujours ce qu'ils réclament [excessif peut-être, mais plein d''à-propos].
Au moment même où les derniers interdits s'effacent, d'innombrables intellectuels continuent à parler d'eux comme s'ils étaient de plus en plus accablants. Ou alors ils remplacent le mythe de l'interdit par celui d'un "pouvoir" omniprésent et omniscient [référence à Foucault, sans doute], nouvelle traduction mythique des stratégies mimétiques."
Des choses cachées depuis la fondation du monde, Grasset, 1978, "Poche", pp. 404-405.
Ce n'est jamais vrai. A mesure que le désir élimine les obstacles extérieurs, savamment disposés par la société traditionnelle pour prévenir les contagions du désir, l'obstacle structurel suscité par les interférences mimétiques, l'obstacle vivant du modèle immédiatement métamorphosé en rival se substitue fort avantageusement, ou plutôt désavantageusement, à l'interdit défaillant. Au lieu de cet obstacle inerte, passif, bénévole et identique pour tous, donc jamais vraiment humiliant ou traumatisant, que leur opposaient les interdits religieux, les hommes, de plus en plus, ont affaire à l'obstacle actif, mobile et féroce du modèle métamorphosé en rival, un obstacle activement intéressé à les contrarier personnellement et merveilleusement équipé pour y réussir.
[Car les hommes désirent ce que leurs modèles désirent et ont déjà obtenu avant eux... Il faudrait par ailleurs nuancer l'usage du terme "traumatisant", qui présuppose - à raison, mais c'est un point intéressant - que les gens sont, ou sont devenus, "traumatisables".]
Plus les hommes croirent réaliser leurs utopies du désir, en somme, plus ils embrassent leurs idéologies libératrices, plus ils travaillent, en réalité, au perfectionnement de l'univers concurrentiel au sein duquel ils étouffent. Mais loin de s'aviser de leur erreur, ils continuent de plus belle et confondent systématiquement l'obstacle exterrne de l'interdit avec l'obstacle interne du partenaire mimétique. Ils ressemblent aux grenouilles mécontentes de ce roi soliveau que leur a envoyé Jupiter [allusion à une fable de La Fontaine, à relire pour les élections à venir], et qui, à force d'importuner les dieux par leurs criailleries, sont de plus en plus exaucées par eux. La meilleure façon de châtier les hommes, c'est de leur donner toujours ce qu'ils réclament [excessif peut-être, mais plein d''à-propos].
Au moment même où les derniers interdits s'effacent, d'innombrables intellectuels continuent à parler d'eux comme s'ils étaient de plus en plus accablants. Ou alors ils remplacent le mythe de l'interdit par celui d'un "pouvoir" omniprésent et omniscient [référence à Foucault, sans doute], nouvelle traduction mythique des stratégies mimétiques."
Des choses cachées depuis la fondation du monde, Grasset, 1978, "Poche", pp. 404-405.
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