"En état de déséquilibre et de tension..." (Anthropologie érotique, I)
(La jeunesse, c'est un état d'esprit...)
A l'heure où paraît-il tout le monde s'arrache le "Pléiade" Lévi-Strauss - Gauchet dit quelque part que l'on ressort périodiquement le grand anthropologue, pour faire oublier que la France n'a plus produit personne de sa stature depuis 50 ans -, je n'ai pas voulu être en reste et suis enfin allé voir moi-même à quoi ressemblait l'oeuvre du « père du structuralisme ». Pour la bonne bouche, voici ma première trouvaille - qui a dû distraire des générations d'étudiants en ethnologie.
"Il existe un équilibre biologique entre les naissances masculines et les naissances féminines. Sauf dans les sociétés où cet équilibre se trouve modifié par l'intervention des coutumes, chaque individu mâle doit donc avoir une chance, se rapprochant d'une très haute probabilité, de se procurer une épouse. Est-il possible, dans de telles conditions, de parler des femmes comme d'une commodité raréfiée, dont la répartition réclame l'intervention collective ? Il est difficile de répondre à cette question sans poser le problème de la polygamie, dont la discussion déborderait par trop les limites de ce travail. Nous nous bornerons donc à quelques considérations rapides, qui constitueront moins une démonstration, que l'indication sommaire de la position qui nous semble la plus solide en cette matière. Depuis quelques années, l'attention des ethnologues, surtout de ceux qui se réclament de l'interprétation diffusionniste, a été attirée par le fait que la monogamie semble prédominante dans les sociétés dont le niveau économique et technique apparaît, par ailleurs, comme le plus primitif. De cette observation, et d'autres similaires, ces ethnologues ont tiré des conclusions plus ou moins aventureuses. Selon le père Schmidt et ses élèves, il faudrait voir là le signe d'une plus grande pureté de l'homme dans ces phases archaïques de son existence sociale ; selon Perry et Elliot Smith, ces faits attesteraient l'existence d'une sorte d'Age d'Or antérieur à la découverte de la civilisation.
- ô rousseauistes...
Nous croyons que l'on peut accorder à tous ces auteurs l'exactitude des faits observés, mais que la conclusion à tirer est différente : ce sont les difficultés de l'existence quotidienne, et l'obstacle qu'elles mettent à la formation des privilèges économiques (dont on aperçoit aisément que, dans des sociétés plus évoluées, ils constituent toujours l'infrastructure de la polygamie), qui limitent, à ces niveaux archaïques, l'accaparement des femmes au profit de quelques-uns. La pureté d'âme (...) n'intervient donc nullement dans ce que nous appellerions volontiers, plutôt que monogamie, une forme de polygamie abortive. Car, aussi bien dans ces sociétés que dans celles qui sanctionnent favorablement les unions polygames, et que dans la nôtre propre, la tendance est vers une multiplication des épouses. Nous avons indiqué plus haut que le caractère contradictoire des informations relatives aux moeurs sexuelles des grands singes ne permet pas de résoudre, sur le plan animal, le problème de la nature innée ou acquise des tendances polygames. L'observation sociale et biologique concourt pour suggérer que ces tendances sont naturelles et universelles chez l'homme, et que des limitations nées du milieu et de la culture sont seules responsables de leur refoulement. La monogamie n'est donc pas, à nos yeux, une institution positive : elle constitue seulement la limite de la polygamie, dans des sociétés où, pour des raisons très diverses, la concurrence économique et sexuelle atteint une forme aiguë. Le faible volume de l'unité sociale dans les sociétés les plus primitives, rend fort bien compte de ces caractères particuliers.
Même dans ces sociétés d'ailleurs, la monogamie ne constitue pas une règle générale. Les Nambikwara semi-nomades du Brésil occidental, qui vivent de cueillette et de ramassage pendant la plus grande partie de l'année, autorisent la polygamie de la part de leurs chefs et sorciers : l'accaparement de deux, trois ou quatre épouses, par un ou deux personnages importants, au seins d'une bande comptant parfois moins de vingt personnes, oblige leurs compagnons à faire de nécessité vertu [qu'en termes élégants ces choses là sont dites... cf. tout de suite après]. Ce privilège suffit même à bouleverser l'équilibre naturel des sexes, puisque les adolescents mâles ne trouvent parfois plus d'épouses disponibles parmi les femmes de leur génération.
Quelle que soit la solution donnée au problème - homosexualité chez les Nambikwara, polyandrie fraternelle chez leurs voisins septentrionaux les Tupi-Kawahib - la raréfaction des épouses ne s'en manifeste pas moins durement dans une société, pourtant à prédominance monogame.
Mais dans même dans une société qui appliquerait la monogamie de façon rigoureuse, les considérations du paragraphe précédent conserveraient leur valeur : la tendance polygame, dont on peut admettre l'existence chez tous les hommes, fait toujours apparaître comme insuffisant le nombre de femmes disponibles. Ajoutons que, même si les femmes sont, en nombre, équivalentes aux hommes, elles ne sont pas toutes également désirables - en donnant à ce terme un sens plus large que son habituelle connotation érotique - et que, par définition (comme l'a judicieusement remarqué Hume dans un célèbre essai) les femmes les plus désirables forment une minorité. La demande de femmes est donc toujours, actuellement ou virtuellement, en état de déséquilibre et de tension." (Les structures élémentaires de la parenté, Mouton, 1967 [1947), pp. 43-45]
Bref, trompez vos femmes, l'anthropologie vous excuse par avance... Elle est pas belle, la vie ?
L'essai de Hume auquel Lévi-Strauss fait référence (comme dans Race et histoire d'ailleurs) est La dignité de la nature humaine : Hume y montre qu'il y a toujours des femmes plus belles que d'autres (selon les canons en vigueur), et donc des femmes plus laides que d'autres ; il est par conséquent vain de souhaiter que toutes les femmes soient belles, puisque même si leur niveau de beauté (selon les canons en vigueur) augmentait, nous referions illico une différence entre les plus belles, les moins belles, etc.
On trouve par ailleurs dans ce texte une explication par la rareté assez fréquente dans Les structures élémentaires... et qui mériterait discussion, en ce que Lévi-Strauss peut sembler parfois confondre rareté et disponibilité. Admettons que pour ce passage le problème ne se pose pas vraiment.
A suivre !
Je n'ai appris qu'avec quelque retard la disparition d'une des plus grandes incarnations de « l'éternel féminin », Cyd Charisse. En matière d'admiration comme dans le domaine de la différence des sexes, il vaut souvent mieux ne pas chercher l'originalité à tout prix, et savoir en en rester aux fondamentaux. La scène que je vous propose de revoir, en guise de de dernier (pourquoi dernier, d'ailleurs ?) hommage amoureux, est donc archi-célèbre. Mais ne crée pas un tel mythe, ethnologique et biblique, qui veut.
C'est la femme qui rend l'homme viril - Cyd Charisse (avec l'appui d'un flingue, tout de même) donne de la virilité à Fred Astaire !
Libellés : Astaire, Burns, Charisse, Gauchet, Hume, Lévi-Strauss, Minnelli
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