"Le poil deux" - fourre-tout.
"Les produits naturels utilisés par les peuples sibériens à des fins médicinales illustrent, par leur définition précise et la valeur spécifique qu'on leur prête, le soin, l'ingéniosité, l'attention au détail, le souci des distinctions, qu'ont dû mettre en oeuvre les observateurs et les théoriciens dans les sociétés de ce type : araignées et vers blancs avalés (Itelmène et Iakoute, stérilité) ; graisse de scarabée noir (Ossète, hydrophobie) ; cafard écrasé, fiel de poule (Russes de Sourgout, abcès et hernie) ; vers rouges macérés (Iakoute, rhumatisme) ; fiel de brochet (Bouriate, maladie des yeux) ; loche, écrevisse avalées vivantes (Russes de Sibérie, épilepsie et toutes maladies) ; attouchement avec un bec de pic, du sang de pic, insufflation nasale de poudre de pic momifié, oeuf gobé de l'oiseau koukcha (Iakoute, contre maux de dents, écrouelles, maladies des chevaux, et tuberculose, respectivement) ; sang de perdrix, sueurs de cheval (Oïrote, hernies et verrues) ; bouillon de pigeon (Bouriate, toux) ; poudre de pattes broyées de l'oiseau tilegous (Kazak, morsures de chien enragé) ; chauve-souris desséchée pendue au cou (Russes de l'Altaï, fièvre) ; instillation d'eau provenant d'un glaçon suspendu au nid de l'oiseau remiz (Oïrote, maladies des yeux). Pour les seuls Bouriate, et en se limitant à l'ours, la chair de celui-ci possède sept vertus thérapeutiques distinctes, le sang cinq, la graisse neuf, la cervelle douze, la bile dix-sept, et le poil deux. De l'ours aussi, les Kalar recueillent les excréments pierreux à l'issue de l'hivernage pour soigner la constipation. (...)
De tels exemples, qu'on pourrait emprunter à toutes les régions du monde, on inférerait volontiers que les espèces animales et végétales ne sont pas connues pour autant qu'elles sont utiles : elles sont décrétées utiles ou intéressantes parce qu'elles sont d'abord connues." (C. Lévi-Strauss, La pensée sauvage, 1962, ch. I ; "Pléiade", p. 567-568)
Ce dernier point, qui est une des thèses principales du livre, ne sera pas détaillé, et encore moins discuté, aujourd'hui : je l'introduisais par ce délicieux texte, qui est peut-être un des meilleurs, voire un des seuls exemples de poésie proprement surréaliste, ou de surréalisme effectivement poétique - en l'occurrence, nettement plus ancré dans le réel que l'ordinaire de la littérature surréaliste.
Changeons de sujet (quoique...) et revenons brièvement aux questions posées par M. Limbes dans son commentaire au texte où j'évoquais une discussion de Wittgenstein par Vincent Descombes. Comme je l'indiquais - non sans une abominable faute de français, que Dieu me cisaille - dans ma réponse à ce commentaire, nous sommes pris au piège :
- V. Descombes (et J. Bouveresse), lorsqu'ils critiquent la phénoménologie, visent (et connaissent) principalement Husserl ;
- d'après M. Limbes, ils ont ainsi le grand tort, entre autres, d'oublier le travail critique effectué par Michel Henry sur l'oeuvre de Husserl - dit autrement, V. Descombes a ici un train de retard ;
- c'est possible, mais comment vérifier ? M. Limbes ne connaît pas assez Wittgenstein et son disciple Descombes, pour comparer vraiment et précisément leurs critiques au travail de Henry ;
- et de mon côté je ne suis pas du tout assez qualifié en phénoménologie, en Husserl et en Henry, pour accomplir ce travail comparatif.
Nous ne sommes donc pas sortis de l'auberge. Certes, la question dont en dernier ressort il s'agit - notre rapport au réel (avec ou sans guillemets, c'est évidemment un des aspects du problème) - ne nous a pas attendus pour tourmenter de grands esprits, et en tourmentera encore de plus grands que nous, mais justement, autant disposer d'autant d'éléments que possible.
En attendant, ceux que cela intéresse peuvent aller sur le site du maître y consulter les commentaires sur Hegel et Husserl dans la section "L'apparition et le phénomène". Je précise à toutes fins utiles que dans la récente traduction de la Phénoménologie de l'esprit par Bernard Bourgeois (Vrin, 2006, p. 172) c'est encore le terme « phénomène » qui est utilisé : la traduction (je la retranscris en cas de demande) du passage analysé par J.-P. Voyer ressemble fort à celle de J.-P. Lefebvre.
C'est un peu le bric-à-brac ce matin : suite à un commentaire de M. Grain, je signale ici officiellement, cela fait quelques mois que j'attendais une occasion pour vous en parler, le site de M. Thibault Isabel, qui se présente lui-même fort bien dans cet entretien, où l'on trouve certaines idées sur lesquelles j'espère revenir un jour.
De même que je ne désespère pas de vous parler en détail du dernier livre d'Emmanuel Todd, Après la démocratie,
qui n'est certes pas sans défauts, erreurs et maladresses, mais dont je vous conseille néanmoins la lecture. Cet homme est d'accord avec moi sur de nombreux sujets, c'est tout de même un brevet de qualité ou je ne m'y connais pas.
Enfin, tant qu'on y est, j'ai retrouvé Mauricette, ou plutôt son père, lequel vient de sortir un roman, avis aux amateurs. C'est de toutes les façons le meilleur moment de casser votre tirelire, avant que ni une ni deux la crise ne vide votre compte en banque.
Je vous laisse, ma douce compagne me reproche de passer trop de temps à mon comptoir, d'y rencontrer trop de belles créatures, et se languit de moi.
Bonne lecture - bonne vie !
De tels exemples, qu'on pourrait emprunter à toutes les régions du monde, on inférerait volontiers que les espèces animales et végétales ne sont pas connues pour autant qu'elles sont utiles : elles sont décrétées utiles ou intéressantes parce qu'elles sont d'abord connues." (C. Lévi-Strauss, La pensée sauvage, 1962, ch. I ; "Pléiade", p. 567-568)
Ce dernier point, qui est une des thèses principales du livre, ne sera pas détaillé, et encore moins discuté, aujourd'hui : je l'introduisais par ce délicieux texte, qui est peut-être un des meilleurs, voire un des seuls exemples de poésie proprement surréaliste, ou de surréalisme effectivement poétique - en l'occurrence, nettement plus ancré dans le réel que l'ordinaire de la littérature surréaliste.
Changeons de sujet (quoique...) et revenons brièvement aux questions posées par M. Limbes dans son commentaire au texte où j'évoquais une discussion de Wittgenstein par Vincent Descombes. Comme je l'indiquais - non sans une abominable faute de français, que Dieu me cisaille - dans ma réponse à ce commentaire, nous sommes pris au piège :
- V. Descombes (et J. Bouveresse), lorsqu'ils critiquent la phénoménologie, visent (et connaissent) principalement Husserl ;
- d'après M. Limbes, ils ont ainsi le grand tort, entre autres, d'oublier le travail critique effectué par Michel Henry sur l'oeuvre de Husserl - dit autrement, V. Descombes a ici un train de retard ;
- c'est possible, mais comment vérifier ? M. Limbes ne connaît pas assez Wittgenstein et son disciple Descombes, pour comparer vraiment et précisément leurs critiques au travail de Henry ;
- et de mon côté je ne suis pas du tout assez qualifié en phénoménologie, en Husserl et en Henry, pour accomplir ce travail comparatif.
Nous ne sommes donc pas sortis de l'auberge. Certes, la question dont en dernier ressort il s'agit - notre rapport au réel (avec ou sans guillemets, c'est évidemment un des aspects du problème) - ne nous a pas attendus pour tourmenter de grands esprits, et en tourmentera encore de plus grands que nous, mais justement, autant disposer d'autant d'éléments que possible.
En attendant, ceux que cela intéresse peuvent aller sur le site du maître y consulter les commentaires sur Hegel et Husserl dans la section "L'apparition et le phénomène". Je précise à toutes fins utiles que dans la récente traduction de la Phénoménologie de l'esprit par Bernard Bourgeois (Vrin, 2006, p. 172) c'est encore le terme « phénomène » qui est utilisé : la traduction (je la retranscris en cas de demande) du passage analysé par J.-P. Voyer ressemble fort à celle de J.-P. Lefebvre.
C'est un peu le bric-à-brac ce matin : suite à un commentaire de M. Grain, je signale ici officiellement, cela fait quelques mois que j'attendais une occasion pour vous en parler, le site de M. Thibault Isabel, qui se présente lui-même fort bien dans cet entretien, où l'on trouve certaines idées sur lesquelles j'espère revenir un jour.
De même que je ne désespère pas de vous parler en détail du dernier livre d'Emmanuel Todd, Après la démocratie,
qui n'est certes pas sans défauts, erreurs et maladresses, mais dont je vous conseille néanmoins la lecture. Cet homme est d'accord avec moi sur de nombreux sujets, c'est tout de même un brevet de qualité ou je ne m'y connais pas.
Enfin, tant qu'on y est, j'ai retrouvé Mauricette, ou plutôt son père, lequel vient de sortir un roman, avis aux amateurs. C'est de toutes les façons le meilleur moment de casser votre tirelire, avant que ni une ni deux la crise ne vide votre compte en banque.
Je vous laisse, ma douce compagne me reproche de passer trop de temps à mon comptoir, d'y rencontrer trop de belles créatures, et se languit de moi.
Bonne lecture - bonne vie !
Libellés : B. Bourgeois, Bouveresse, Descombes, Grain de sable, H. Newton, Hegel, Henry, Husserl, Isabel, J.-P. Lefebvre, Lévi-Strauss, Limbes, Mauricette, Surréalisme, Todd, Voyer
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